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communique: «Enfants, fi les cornettes vous man» quent, voici le figne du ralliement; vous le trou"verez toujours au chemin de la victoire & de » l'honneur. »

On rapporte que dans un autre jour de bataille, ce même Prince dit à fes troupes : « Je fuis votre » Roi, vous êtes Français, voilà l'ennemi. »

On ignore encore combien un terme de mépris lancé à propos contre l'ennemi, peut, dans une courte harangue, relever le courage abattu des troupes. En 1683, le Duc de Lorraine étoit à la tête d'un corps d'armée en Hongrie, pour empêcher les horribles dévaftations des Turcs & des Tartares. Dans une attaque très-vive, quelques efcadrons Allemands qui avoient beaucoup fouffert, commençoient à fe retirer en affez mauvais ordre. Le Duc de Lorraine court à eux; Quoi! Meffieurs, leur dit-il, vous abandonnez l'honneur des armes de l'Empereur ? Vous avez peur de ces canailles? Retournez, je veux les battre avec vous & les chaffer. Ils font auffi tôt volte-face, marchent aux infidèles, & les battent : Hift. des guerres de Hongrie.

Muftapha II attaquoit, en 1695, Vétérani, qui conduifoit de Tranfilvanie fept mille hommes aux Impériaux. Malgré la prodigieufe inégalité de forces, les Turcs furent repouffés deux fois avec une perte confidérable. Ils paroiffoient entièrement découragés, lorfque le Sultan, au défefpoir, cria à Schabyn Mahomet, un des Officiers Généraux: "C'est bien à tort qu'on t'a donné le nom de Schahyn, puifque tu n'ofes, comme un fier faucon, frapper de tes ferres ton ennemi à la tête

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» n'es qu'une grue, qui traîne après elle une troupe » de fuyards ». Ce reproche amer, dicté par la paffion, ranime le courage des Janiffaires. Ils attaquent de nouveau les Allemands, & remportent enfin fur eux l'avantage: Cantimir, hiftoire de l'Empire Ottoman.

Les Anglais faifoient le fiége de Cadix en 1702.

Comme la vigueur eft néceffaire pour forcer un pofte fi avantageux, le Général des affaillants crut devoir les encourager par une harangue. Elle fut courte & fingulière : « Anglais » leur dit-il « qui » mangez tous les jours de bon bœuf & de la bonne »foupe, fouvenez-vous bien que ce feroit le » comble de l'infamie de vous laiffer battre par » cette canaille d'Efpagnols, qui ne vivent que » d'oranges & de citrons ». Ces expreffions, peu élevées, mais rendues avec beaucoup de vivacité & de franchise, firent fur la multitude une impreffion étonnante.

On fait qu'il eft des harangues d'ufage, & qui font prefcrites par le cérémonial. Un premier Préfident de Parlement, haraguant Monseigneur le Duc de Bourgogne dans fon berceau, fe contenta de lui dire « Nous venons, Monfeigneur, vous "offrir nos respects; nos enfants vous offriront leurs fervices. »

Le Cardinal de Bonzi, d'une naiffance illuftre, & Italien d'origine, vint en France, où il obtint l'Archevêché de Narbonne, & la place de premier Aumônier de la Reine. Quelque temps après le Roi de Pologne lui accorda la nomination au Cardinalat. Comme il paffoit par Montpellier, pour aller au conclave, le Doyen, à la tête de la faculté de Médecine, lui fit cette courte harangue.

Italia te fecit nobilem, Gallia potentiffimum, Polonia eminentiffimum: O utinam & Roma fanctissimum & noftra Facultas incolumem!

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Vous devez à l'Italie la nobleffe de votre naiffance, votre grandeur à la France, le titre d'Éminence à la Pologne: Plût au Ciel que vous duffiez à Rome le titre de Sainteté, & à notre Faculté le don d'une longue fanté!

Louis XIV devoit fe rendre à l'Eglife de NotreDame de Paris, pour affifter à une bénédiction de drapeaux, & avoit témoigné qu'il fouhaitoit qu'on ne lui fit point de harangue. M. de Harlay de Chanvallon qui étoit pour-lors Archevêque de

Paris, fe contenta de lui dire à la porte de l'Eglife, où il le reçut: « Sire, vous me fermez la bouche, » pendant que vous l'ouvrez à la joie publique.

HARANGUEUR S.

Le défaut de mémoire, quelquefois auffi la naï

veté, & même l'ineptie de quelques Officiers Municipaux, chargés par devoir de haranguer les Princes, ont donné lieu à quelques plaifanteries.

Un Officier de l'Empereur Charles-Quint s'étant préfenté devant François I, pour lui faire une harangue, la commença ainfi: «Quand le grand » Scipion arriva devant Carthage, Sire...." Le Roi fe levant tout-d'un-coup de fon fiége, lui dit: Après, après; on fait bien qu'il ne vint pas à pied, il vint à cheval: Corozet.

Les députés de Marfeille voulant haranguer Henri IV, & mettre leur érudition à profit, commençoient leur difcours par ces paroles: Annibal partant de Carthage... A ces mots, le Prince les interrompant, leur dit : « Annibal, partant de Car"thage, avoit dîné, & je vais en faire autant. »

Trois députés des Etats de Bretagne étant venus pour haranguer le Roi, L'Evêque qui étoit le premier, oublia fa harangue, & ne put en dire un feul mot. Le gentilhomme qui le fuivoit, fe croyant obligé de prendre la parole, s'écria: Sire, mon grand-père, mon père & moi fommes tous morts à votre service. Le Roi fe retourna, en difant qu'il n'entendoit pas les harangues des morts: Menagiana.

Chriftine, Reine de Suède, ayant écouté une harangue dont la longueur l'avoit ennuyée, M. Voifin la fupplia de témoigner fa fatisfaction à celui qui l'avoit faite. Cela eft jufte, dit-elle, quand ce ne feroit qu'à caufe qu'il vient de finir.

Un Maire, chargé de haranguer Louis XIV à la

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porte de la ville, lui préfenta les clefs: « Sire » lui dit-il la joie que nous avons en voyant votre » Majefté, eft fi grande, que.... » Il fut alors fi interdit, qu'il rappella en vain fa mémoire. Un Seigneur, pour le tirer de ce mauvais pas, lui dit : "Oui, la joie que vous avez eft fi grande, que » vous ne pouvez l'exprimer. »

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M. le Prince (le Grand Condé) devoit paffer par une petite ville de Bourgogne. Le jour venu, la ville's'étant mife fous les armes, le Maire, en robe, à la tête des Echevins, alla recevoir M. le Prince

à la porte. " Monfeigneur » lui dit-il « de toutes

» les villes qui ont l'honneur d'être dans le Gou» vernement de VOTRE ALTESSE SERENISSIME, la » plus petite feroit ravie de vous faire connoître » qu'il n'y en a point qui ait un fi grand zèle. Elle » fait qu'un moyen infaillible de plaire au guer»rier le plus grand de notre fiècle, c'est de le re»cevoir au bruit d'une nombreuse artillerie, mais » il nous a été impoffible de faire tirer le canon » par dix-huit raifons. La première, c'eft, Mon» feigneur, qu'il n'y en a point, & qu'il n'y en a » jamais eu en cette ville" Je fuis fi content de cette raifon, dit M. le Prince, que je vous tiens quitte des dix-fept autres.

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Ce même Prince paffant par la ville de Sens, fut harangué par l'Abbé Boileau, qui étant alors Doyen de la Cathédrale de Sens, fut chargé de porter la parole, à la tête du Chapitre. M. le Prince voulant fe procurer le plaifir de déconcerter l'orateur, affecta d'avancer la tête du côté du Doyen, comme pour le mieux entendre, mais en effet pour le faire manquer. L'Abbé Boileau, qui s'apperçut de la malice, feignit d'être étonné & interdit, & commença ainfi fon compliment, avec une crainte affectée « Monfeigneur, votre Alteffe ne doit pas » être furprise de me voir trembler en paroiffant » devant elle à la tête d'une compagnie d'Eccléfiaf»tiques; car fi j'étois à la tête d'une armée de trente mille hommes, je tremblerois bien da

"vantage ». M. le Prince, charmé de ce début, qui annonçoit un homme d'efprit, embraffa l'orateur; & quand on lui dit que c'étoit le frère de Defpréaux, il redoubla fes careffes, & le retint à dîner.

Le Maire d'une petite ville ne pouvant fortir d'une harangue qu'il avoit commencée, un de nos Rois qu'il haranguoit, las de le voir peiner, lui dit: Finiffez en trois mots. Le Maire s'arrêta tout court, puis il cria: Vive le Roi.

Louis XIV, paffant par Rheims en 1666, fut harangué par le Maire, qui lui présentant des bouteilles de vin avec des poires de rouffelet sèches lui dit: « Sire, nous apportons à votre Majefté no>> tre vin, nos poires & nos cœurs, c'eft ce que "nous avons de meilleur ». Le Roi lui frappa fur l'épaule, en lui difant: Voilà comme j'aime les harangues.

Un bourg connu dans la province par une foire d'ânes qui s'y tient tous les ans, avoit député son Magiftrat au-devant d'un Prince, pour le haranguer. Un courtifan de la fuite de ce Prince, s'appercevant que la barangue commençoit à l'ennuyer, crut devoir faire diversion à l'ennui, en demandant à l'orateur, combien les ânes valoient dans fon pays: Celui-ci s'arrêta, & après avoir regardé depuis les pieds jufqu'à la tête celui qui faifoit cette demande déplacée : « Quand ils font » lui répondit-il « de votre poil & de votre taille, ils »valent dix écus ». Et ilreprit le fil de fa harangue.

Les harangères de la halle à Paris, ont quelquefois eu liberté de complimenter la famille Royale. Lors de la convalefcence de Monfeigneur, après une maladie qui faifoit beaucoup craindre pour Les jours, les harangères députèrent quatre de leur troupe à Versailles, pour lui faire compliment fur fa convalefcence. Ces Ambaffadrices fe préfentèrent à la porte de fon appartement; mais l'huiffier ne jugea pas à propos de les faire entrer: ainfi elles s'en retournèrent fort mécontentes! Le foir on ren- .

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