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gême nouveau: ils s'affocièrent, à cet effet, une Grecque qui tenoit affemblée dans Paris. Ils la mirent dans un carroffe brillant, fuivi de deux autres, & voyagèrent en Allemagne, publiant partout qu'ils conduifoient une Princeffe Grecque dépouillée de fes Etats par le Grand-Seigneur. Chacun de ces Grecs jouoit un rôle dans cette comédie. L'un étoit le fecrétaire d'état de fon Alteffe, l'autre, fon maître d'hôtel. Celui-ci étoit fon gentilhomme; un quatrième, fon écuyer, &c. Ils avoient pris des habits orientaux, & ne parloient. que la langue Franque, espèce d'Italien corrompu, dont fe fervent les Levantins. On alloit au-devant de la prétendue Princeffe; on cherchoit à la récréer par différentes fêtes; mais rien ne l'amufoit plus que le jeu. Elle commençoir à faire fortune, lorfque dans une petite ville, il fe trouva un auteur qui venoit de donner tout nouvellement en langue Allemande, une hiftoire générale des différentes révolutions de l'Empire Ottoman, & qui n'avoit pas dit un mot de fon Alteffe. On accufa l'hiftorien, d'ignorance. Son jhonneur l'engageoit à éclaircir le fait. Il s'en acquitta avec tant de fuccès, qu'il défabufa les Allemands fur cette prétendue fouveraineté, & prouva très-clairement que la Princeffe & tous ceux de fa fuite étoient une bande de frippons. Son Alteffe craignant fagement les fuites de cette découverte, revint par des routes détournées, reprendre fon tripot à Paris.

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Le voyageur Beaulieu rencontra un de ces Grecs à la Cour du Roi d'Achem. C'étoit un jeune Portugais, nommé Dom Francifco Carnero, qui paffoit pour un joueur habile, & fi heureux, qu'il fembloit avoir enchaîné la fortune. On découvrit néanmoins que la mauvaise foi n'avoit pas moins de part, que le bonheur & l'habileté, aux avantages qu'il remportoit continuellement. Après avoir gagné de groffes fommes à un Miniftre de cette Cour, qui fe dédommageoit de fes pertes, par les

vexations

vexations qu'il exerçoit fur les marchands, il jouoit un jour contre une dame Indienne, alaquelle il avoit gagné une fomme confidérable, lorfqu'en frappant du poing fur la table pour marquer fon étonnement d'un coup extraordinaire, il rencontra un de fes dés qu'il brifa, & dont il fortit quelques gouttes de vif argent. Elle disparurent auffi-tôt, parce que la table avoit quelque pente. Les fpectateurs indiens d'autant plus étonnés de cette avanture, que le Portugais fe faifit promptement des pièces du dés, & qu'il refufa de les montrer, jugèrent qu'il y avoit de l'enchantement. On publia qu'il en étoit forti un esprit, que tout le monde avoit vu fous une forme fenfible, & qui s'étoit évanoui fans nuire à perfonne. Beaulieu pénétra facilement la vérité : mais il laiffa les Indiens dans leur erreur; & loin de rendre aucun mauvais office à Carnéro, il l'exhorta fortement à renoncer au jeu, dont il ne pouvoit plus espérer les mêmes avantages à la Cour d'Achern: Hiftoire générale des Voyages.

Les minéraux s'emploient pour piper les dés. Les grecs font ufage pour les cartes, de craie, de pâtes, de favon & autres drogues, qui, en altérant légèrement la furface de la carte, la fait aifément diftinguer par les doigts exercés. Mais comme cet artifice n'eft point inconnu aux joueurs de gobelets, & à beaucoup d'autres perfonnes, les plus habiles grecs négligent ces petits fecrets, qui, dailleurs, laiffent toujours des témoins irréprochables de la fripponnerie. Le grand talent d'un grec, eft d'avoir une rufe qui ne laiffe point de trace après elle, & ne foit connue que de lui feul. Il étudiera de nouvelles manières de mêler métho→ diquement les cartes, il les combinera par leurs nombres; il apprendra par cœur leurs différentes féquences. On parle d'un fameux grec, qui avoit gagné des fommes immenfes en pontant au pharaon. Il étoit la terreur des banquiers; il lui fuffifoit de voir, dans leurs mains, la feule tranche Tome II.

I

de cartes, pour dire où chacune des douze figures fe trouvoit. Quand un banquier après avoir fini la taille, relevoit fes cartes, il favoit toujours par cœur l'ordre de celles qui étoient dans chacun de ces tas; de manière que fi ce banquier ne mêloit pas bien fes cartes, ou qu'il en laiffât feulement trois de fuite, il étoit débanqué. C'étoit une reffource inutile pour lui de prendre à toutes les tailles un nouveau jeu; comme notre homme favoit fa féquence, il jouoit toujours avec le même avantage.

Un Italien qui étoit venu il y a quelques années à Paris, avoit imaginé une autre rubrique fort fimple, dont cependant on ne s'apperçut que quand il eut bien fait des dupes. Cet Italien avoit une tabatière d'or unie fur fes bords; lorsqu'il fe préfentoit quelques coups décififs, il prenoit une prife de tabac, & pofoit fa boîte affez négligemment fur la table. Le moindre reflet de la tabatière lui fuffifoit pour connoître les cartes qu'il distribuoit; & il jouoit, par ce moyen, à coup fûr. Toutes ces petites rufes font le fecret des frippons, & ne peuvent par conféquent être trop divulguées.

Les grecs, tout grecs qu'ils font, ont quelquefois été pris pour dupes. Trois de ces Meffieurs logoient dans une même auberge, avec un jeune Provincial, venu à Paris pour recueillir une riche fucceffion. Ils réfolurent de changer les intentions du teftateur, en s'appropriant une partie de cet héritage. Un foir ils proposèrent à cet effet au Provincial, de jouer. Celui-ci, qui avoit des affaires preffantes pour le moment, demanda que la partie fût remife au lendemain, ce qui fut accepté de bon cœur de la part des grecs. Ils s'affemblèrent même une heure avant le temps marqué pour le rendez-vous, dans la chambre où étoit dreffée la table du jeu, & délibérèrent de quelle manière ils gagneroient le Provincial. Il fut décidé que l'on joueroit au lanfquenet, & que pour écarter tout foupçon, on lui laifferoit gagner, au

commencement, cent louis; ils avoient d'ailleurs éprouvé que les dupes fe livrent toujours au jeu avec plus d'ardeur par cet appåt. Le projet étoit bien concerté, & ne pouvoit manquer de réuffir, fi le Provincial, qui étoit rentré dans l'auberge fans qu'on le foupçonnât, n'eût entendu cette converfation d'une chambre voifine. Il dreffa en conféquence fa contre- partie. Une demi-heure après, il fe rendit dans la falle, fe mit au jeu. & lorfqu'il eut gagné les cent louis, fon laquais qui étoit averti, vint lui dire dans le moment, qu'une perfonne vouloit lui parler. Il sortit, & alla loger ailleurs.

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Les grecs n'en ont pas toujours été quittes à fi bon marché. Un d'eux jouoit au piquet avec un vieux Capitaine de cavalerie, dans une ville de province, & le filoutoit fans ufer de beaucoup d'adreffe. Toutes les fois qu'il vouloit avoir beau jeu, il mouchoit d'une main la chandelle, & de l'autre escamotoit le talon. L'ancien militaire, qui n'étoit pas dupe, s'étant apperçu deux ou trois fois de cette manœuvre, lui dit, en s'arrêtant, & posant ses cartes fur la table : « Monsieur, je re» marque que toutes les fois que vous mouchez la >> chandelle je n'ai point d'as. Je vous ferois obli»gé de vouloir bien vous difpenfer de prendre » tant de peine; car j'aime encore mieux n'y voir » pas fi clair & avoir des jeux moins louches ". Sur ce premier avis, le grec fe retint quelques moments; mais une heure après, étant queftion de la fin d'une partie décifive, & ayant ce coup-là un jeu fi mauvais, qu'il ne lui falloit pas moins que les huit cartes du talon pour le raccommoder, il prit de nouveau les mouchettes, & dit au capi taine : « Je vous demande bien pardon, Monfieur, » mais c'est une vieille habitude que j'ai prife au » piquet, de moucher ». Et moi, dit le militaire, en l'arrêtant fur le fait, comme il escamotoit le talon : « C'est auffi un ufage que j'ai de moucher >> ceux qui me volent au jeu ». En même temps

il tira de fa poche un pistolet, & lui brûla la cervelle.

Il y a un autre fait connu d'un homme, qui, jouant avec un grec, s'apperçut qu'on le prenoit pour dupe. Il tira un couteau de fa poche, cloua la main du filou fur la table, dans le temps qu'il ramaffoit les dés, & dit froidement : S'ils ne font pas piqués, j'ai tort. Il fut prouvé qu'il n'avoit pas

tort.

A

JEU DE MOTS.

LLUSION fondée fur la reffemblance des mots. Ces fortes d'allusions sont ordinairement bien fades. Auffi ceux qui veulent en ufer ont foin de les affaifonner du fel de la malignité.

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Un poëte avoit gliffé dans une comédie, quelques traits malins contre un Seigneur fort riche. Ce Seigneur chargea fes valets de fa vengeance, Ils la poufsèrent un peu trop loin. L'auteur intenta un procès criminel; mais un préfent de troiscents piftoles l'engagea à fe défifter de fa procédure. Comme fa comédie eut un grand fuccès, un plaifant dit qu'elle avoit beaucoup valu à l'auteur, fans y.comprendre le tour du bâton.

Le fameux financier la Noue montroit une magnifique maifon qu'il venoit de faire bâtir, à un Seigneur qui favoit bien qu'en penfer. Le Financier, après lui avoir fait parcourir plufeurs beaux appartements: Voyez, lui dit-il, cet efcalier dérobé. Il eft, reprit ce Seigneur, comme tout le refle de la maison.

Si quelque chofe peut me confoler de ma femme, difoit un homme veuf, c'eft qu'elle est bien morte. Deux prédicateurs prêchoient dans la même Eglife, dont l'un avoit une voix très-forte. Quelqu'un dit que la différence entre le prédicateur du atin & celui du foir, étoit que le premier

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