Images de page
PDF
ePub

main lui envoya foixante-dix mille livres en argent, & dix mille écus en or, renfermés dans un fac de cuir. Le Duc croyant que ce fac ne contencit que de l'argent blanc, le donna par gratification, au commis nommé Lavienne qui lui porta la fomme. Ce commis qui ignoroit lui-même ce que ce fac pouvoit contenir, n'ofa le refufer; mais quand de retour à l'hôtel d'O, il l'eut examiné, il jugea la libéralité fi extraordinaire, que ne doutant pas que le Duc ne fe fût mépris, il lui reporta la fomme fur-le-champ. Mais le Duc la refufa en lui difant : " Puifque la fortune vous a été si fa"vorable, cherchez un autre que le Duc de Guise » pour vous envier votre bonheur. »

Un Gentilhomme qui devoit une fomme confidérable au Comte de Soiffons, vint le trouver, & le pria de lui remettre la moitié de cette fomme. Cette moitié n'est plus à moi, lui dit le Prince, dès que vous avez pris la peine de la venir demander; mais puifque vous me laiffez la difpofition de l'autre, trouvez bon que je vous la donne.

Charles II, Roi d'Espagne, étant fort jeune, & faifant à pied, les ftations du Jubilé, trouva un pauvre for fon paffage, auquel il jetta une croix de diamants, qu'il avoit devant lui, fans que perfonne s'en apperçût. Quand il fut à l'Eglife, fes courtifans ayant pris garde qu'il n'avoit plus la croix, dirent qu'on avoit volé le Roi. Le pauvre qui fuivoit, s'écria à l'inftant: Voilà la croix du Roi, c'eft Sa Majesté qui me l'a donnée : le Roi l'ayoua. On ne jugea pas à-propos de laiffer au pauvre, cette croix qui étoit de pierreries de la couronne; il fut décidé dans le confeil, que de quelque manière que le Roi fit fes dons, ils devoient être facrés. En conféquence la croix ayant été eftimée douze mille écus, on les donna au pauvre: Lettres de Bourfault.

L'illuftre Maupertuis, qui accompagnoit le Roi de Pruffe à la guerre, fut fait prifonnier à la bataille de Molwitz, & conduit à Vienne. Le grand

Duc de Toscane, depuis Empereur, voulut voir un homme qui avoit une fi grande réputation. Il le traita avec eftime, & lui demanda s'il ne regrettoit pas quelqu'un des effets que les huffards lui avoient enlevés. Maupertuis, après s'être fait long-temps preffer, avoua qu'il auroit voulu fauver une excellente montre de Greham dont il fe fervoit pour les observations aftronomiques. Le grand Duc, qui en avoit une du même horloger, mais enrichie de diamants, dit au mathématicien Français C'eft une plaifanterie que les buffards ont voulu vous faire; ils m'ont rapporté votre montre; la voilà, je vous la rends.

:

[ocr errors]

Un fage étoit interrogé pour favoir fi la force -étoit préférable à la libéralité. Il décida pour la dernière, en difant: « Celui qui eft libéral n'a pas » befoin de force; une main pleine d'or, vaut "mieux qu'un bras robufte: » Sadi.

La libéralité, cette qualité estimable dans un particulier, eft fouvent un défaut dans un Souverain. Le Roi de Pruffe n'étant encore que Prince Royal, avoit comblé de préfents, une actrice célèbre: il la récompenfa beaucoup moins lorsqu'il fut Roi. Cette actrice ayant ofé s'en plaindre à lui même, il lui répondit : « Autrefois je donnois "mon argent, aujourd'hui je donnercis celui de » mes furets. »

La libéralité est une vertu, lorsqu'elle a pour objet de foulager les malheureux. Sous le règne de Henri III, Roi de France, un Juiftrès-riche étant mort fans laiffer d'héritiers, ce Prince fit préfent de vingt-cinq mille écus de cette aubaine à Géoffroi Camus de Poncarré. Ce généreux citoyen les distribua auffi-tôt à trois négociants affociés, qu'un incendie venoit de ruiner.

Une femme fort pauvre, mais qui avoit la confolation d'avoir une fille aimable, & dont les graces modeftes annonçoient la fageffe, fe préfenta avec cette jeune perfonne à l'audience du célèbre Cardinal Farnèse. Elle lui expofa qu'elle étoit fur

le point d'être renvoyée avec fa fille, d'un petit appartement qu'elles occupoient chez un homme fort riche, parce qu'elles ne pouvoient lui payer cinq fequins qui lui étoient dûs. Le ton d'honnêteté avec lequel elle faifoit connoître son malheur, fit aisément comprendre au Cardinal, qu'elle n'y étoit tombée, que parce que la vertu lui étoit plus chère que les richeffes. Il écrit un mandat, & la chargea de le porter à fon Intendant. Celui-ci, après l'avoir ouvert, compta fur-le-champ cinquante fequins. Monfieur, lui dit cette femme, je ne demandois pas tant à Monfeigneur, & certainement il s'eft trompé. Il fallut, pour faire ceffer la conteftation, que l'Intendant allât lui-même parler au Cardinal. Son Eminence, en reprenant fon mandat, dit aux deux perfonnes qui étoient préfentes: Vous avez tous raifon, je m'étois trompé; le procédé de Madame le prouve, & au lieu de cinquante fequins, il en écrivit cinq-cents, qu'il engagea la vertueufe mère d'accepter pour marier sa fille.

LIBERTÉ.

La liberté confifte à n'obéir qu'aux loix. It en est

de la liberté, a dit un fage, comme de l'innocence & de la vertu, dont on ne fent le prix qu'autant qu'on en jouit foi-même, & dont le goût fe perd fitôt qu'on les a perdues. Je connois les délices de ton pays, difoit Brafidas à un Satrape, qui comparoit la vie de Sparte à celle de Perfépolis; mais tu ne peux connoître les plaifirs du mien.

Un Lacédémonien interrogé sur ce qu'il favoit; être libre, dit-il.

L'hiftoire ancienne eft remplie d'actions les plus courageufes, produites par un vifamour de la liberté. L'hiftoire moderne nous en offre quelques-unes qui peuvent leur être comparées. Philippe II, avoit en 1574, fait inveftir la ville de Leyde, pour la

3

foumettre au joug Efpagnol. Les affiégeants, inftruits qu'il n'y avoit point de garnifon dans la ville, y jettèrent des lettres pour engager les habitants à fe rendre. On leur répondit, du haut des murailles, qu'on favoit que le deffein des Espagnols étoit de réduire la place par la famine; mais qu'ils ne devoient pas compter tout le temps qu'ils entendront les chiens aboyer; que, lorsque ce fecours & toute autre espèce d'aliment manqueront, on mangera le bras gauche, tandis qu'on fe fervira du droit pour fe défendre; que privé enfin de tout, on se réfoudra plutôt à mourir de faim qu'à tomber entre les mains d'un ennemi barbare. Après cette déclaration, on fit une monnoie de papier avec cette infcription: Pour la liberté. Ce papier fut, après le fiége, fidellement converti en monnoie d'argent : De Thou.

On fait que pour la proclamation d'un Roi de Pologne, il faut un confentement général. Lors du couronnement de Ladiflas, frère aîné du Roi Cafimir, le Primat ayant demandé à la noblesse fi elle agréoit ce Prince, un fimple gentilhomme répondit que non. On lui demanda quel reproche il avoit à faire à Ladiflas: Aucun, répondit-il, mais je ne veux point qu'il foit Roi. Il tint ce langage pendant plus d'une heure, & fufpendit la proclamation. Enfin, il fe jetta aux pieds du Roi, & dit qu'il vouloit voir si fa nation étoit encore libre; qu'il étoit content, & qu'il donnoit fa voix à Sa Majefté Mémoires & Anecdotes pour fervir à l'Hiftoire de Pologne,

Dans une ville prise d'affaut, un pauvre aveugle profitant de la confufion du carnage, alla fe cacher dans un puits: il y fut découvert quelque temps après; & il répondit à ceux qui lui demandoient comment il avoit pu defcendre: Les aveugles ne voient que le chemin de la liberté. On la lui rendit, pour récompenfer ce bon mot.

LIMOSI N.

Le Limofin, né au milieu d'un pays peu fertile,

eft exercé de bonne-heure à une vie dure & frugale. Un Limofin, Maître Maçon, voyoit fon petit Manœuvre tremper un morceau de pain trop fec dans un seau de mortier pour l'attendrir: Et qu'eftce donc, s'écria-t-il, Lionard, je crois que tur donnes dans la friandise.

Des Limofins fort fimples, & qui croyoient que rien n'étoit impoffible au faint Siége, demandoient à un Pape, qui étoit de leur nation, qu'il leur accordât deux récoltes de bled dans une année. Je le veux bien, répondit le Pape; mais vos années auront dorénavant vingt-quatre mois.

U

LOI.

NE loi fouvent ne paroît jufte, que parce qu'on ne se l'eft pas représentée fous toutes les faces poffibles. C'eft ce qu'on a tâché de faire comprendre par cet apologue oriental. Nandiskar étoit borgne & législateur; il avoit affemblé les vieillards de fa nation pour leur faire jurer, au nom de la République, de ne jamais rien changer à fes loix. Nantéou, lui feul, s'y oppofoit; mais Nandiskar fe défendit fi adroitement, qu'il aigrit tous les efprits contre Nantéou. Celui-ci, défespérant de ramener fes compatriotes par des discours, s'approcha de Nandiskar, & lui dit : Tu veux que tes loix foient ftrictement obfervées, le peuple y confent; & moi, je demande à être puni fuivant tes loix. En proférant ces dernières paroles, il lui creva, d'un coup de poing, l'œil qui lui reftoit. Nandiskar avoit fait une loi conçue en

« PrécédentContinuer »