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Médecin du canton, qui s'appelloit le Docteur Thi baud. Il me femble, lui dit M. de Rohan, que votre vifage ne m'eft point inconn. Le Docteur Thibaud lui répondit : Cela pourroit être, Monfeigneur, & vous pouvez bien vous souvenir que j'ai été le Maréchal de votre écurie. -Comment donc, dit M. de Rohan, faites-vous ici le Médecin? Et de quelle manière pouvez-vous traiter les malades? Thibaud lui répondit qu'il paffoit pour le plus grand Médecin de tout le canton, & qu'il traitoit les Suiffes comme il avoit traité les chevaux de fon Excellence; qu'à la vérité il en mouroit beaucoup, des remèdes qu'il leur faifoit prendre, mais qu'il en guériffoit auffi quelques-uns, & il le pria de ne point le découvrir, & de lui laiffer gagner fa vie aux dépens de celles de MM. les Suiffes: Chevreana,

Triller raconte qu'un Médecin de fa connoiffance avoit toujours fes poches pleines d'ordonnances & de recettes. Lorfqu'il étoit confulté par des maJades, il leur difoit de prendre au hàzard, & que le remède qu'ils tireroient, feroit fûrement le plus convenable à leur maladie. Une Dame, tourmentée d'un grand mal de gorge, eut recours à cet Efculape, fouilla dans fa poche, & voyant que c'étoit l'ordonnance d'un clyftère, elle se prit fi fort à rire, que fon abcès creva, & elle guérit.

Un homme incommodé de la vue, dit un auteur Perfan, s'adreffant à un Médecin de chevaux, qui lui frotta les yeux du même onguent dont il frottoit ceux de ces animaux, cet homme devint aveugle. Il allafe plaindre au Cadi, qui lui fit cette réponse: Ce Médecin n'a jamais traité que des chevaux, il vous traite comme fes malades.

On a fait ce conte. Un amant en danger de perdre fa maîtreffe, qui étoit malade, cherchoit partout un Médecin fur la fcience duquel il pût fe reposer. Il trouve en fon chemin un homme poffeffeur d'un Talisman, par lequel on appercevoit des êtres que l'œil ne peut voir, Il donne une partie

de ce qu'il possède pour avoir cetalifman, & court chez un fameux Médecin. Il vitune foule d'ames à fa porte. C'étoient les ames de ceux qu'il avoit tués. Il en voyoit plus ou moins à toutes les portes des Médecins, ce qui lui ôtoit l'envie de s'en fervir. On lui en indiqua un dans un quartier éloigné,à la porte duquel il n'apperçoit que deux petites ames. Voici enfin un bon Médecin, dit-il en lui-même, je vais aller le trouver. Le Médecin, étonné, lui demanda comment il avoit pu le découvrir? Parbleu! dit l'amant affligé, votre réputation & votre habileté vous ont fait connoître. Ma réputation! ce n'eft que depuis huit jours que je fuis ici, & je n'ai encore vu que deux malades.

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Les mêmes mots n'ont pas pour tout le monde

E

la même fignification. Il y a telles paroles qui n'expriment que du fon pour de certaines perfonnes, & qui deviennent pour d'autres la matière de Ja plus profonde méditation. On a rapporté à ce fujet, qu'une fille, en réputation de fainteté, paffoit les journées entières en oraison. L'Evêque le fait: il va la voir: Quelles font donc les longues prières auxquelles vous confacrez vos journées? Je récite mon Pater, lui dit la pieufe fille. Le Pater, répond l'Evêque, eft fans doute une excellente prière: mais enfin, un Pater est bientôt dit...... O Monfeigneur, quelles idées de la grandeur, de la puiffance, de la bonté de Dieu, renfermées dans ces deux feuls mots, Pater nofter! En voilà pour une femaine de méditation.

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Q

MÉPRIS DE LA MORT.

VICONQUE a beaucoup de témoins de fa mort, NQUE Le fait une gloire de la braver. Cette pensée eft confirmée par plufieurs faits rapportés à l'article Courage. Les gladiateurs, chez les anciens, qui avoient reçu dans l'arène le coup mortel, confervoient en mourant ce maintien courageux & cette grace dont les maîtres d'efcrime leur faifoient une leçon. Le gladiateur expirant, morceau de fculpture antique, eft affis à terre; il a encore la force de fe tenir fur le bras droit, quoiqu'il aille expirer. On voit qu'il ne veut point s'abandonner à fa douleur & à fa défaillance, & qu'il craint moins la mort que de faire une grimace ou de pouffer un lâche foupir.

Les anciens Danois honoroient un guerrier qui, loin de craindre la mort, la voyoit approcher d'un œil riant. Un auteur Danois, en parlant d'un héros de ce pays nommé Agnar, dit : « Agnar tom» ba, rit & mourut. »

Il y a cette pensée d'un auteur Arabe qui, dans une de fes épigrammes, dit: Que puifqu'il étoit venu au monde en pleurant, au milieu des amis de fa famille qui étoient dans la joie, il étoit réfolu de mourir en riant, & de laiffer pleurer fes amis à leur tour.

Péregrin le cynique, fe fentant vieux & méprifé parce qu'il ne faisoit plus rien de nouveau, ambitionna de fe rendre illuftre par un mort extraordinaire. Il publia, qu'à la prochaine affemblée des jeux olympiques, il fe brûleroit. Il tint parole. Les jeux étant finis, il fit dreffer un grand bûcher, & accompagné de plufieurs autres cyniques, il y vint mettre le feu, ôta fa beface, fon manteau & fon bâton, l'équipage des cyniques, jetta de l'encens dans le feu, &, tourné vers le

midi: «Génies de mon père & de ma mère » s'écria-t-il «<< recevez-moi favorablement Auffi-tôt il fauta dans le feu & difparut, tant la flamme étoit grande: Fleuri.

Maximilien d'Egmond, Comte de Buren, grand Général & favori de Charles-Quint, inftruit par un Médecin que le moment de fa mort approchoit, fit prier fes amis à un feftin magnifique, où, luimême, armé de pied en cap, leur distribua ses tréfors. Après cette libéralité, ayant bu un verre de vin à la fanté de l'Empereur fon maître, il mourut tranquillement: Journal Litt.

Il y a des peuples entiers qui fe procurent la mort pour se délivrer des infirmités de la vieilleffe, & des chagrins de la vie. Lorfque les fauvages de la baie de Hudson viennent à un âge tout-à-fait décrépit, & font hors d'état de travailler, ils font faire un feftin & y convient toute leur famille. Après avoir fait une longue harangue, dans laquelle ils les invitent à fe bien comporter, & à à vivre en bonne union les uns avec les autres, ils choififfent celui de leurs enfants qu'ils aiment le mieux, ils lui préfentent une corde qu'ils fe paffent eux-mêmes autour du cou, & le prient de les étrangler pour les tirer de ce monde, où ils ne font plus qu'à chargeaux autres. L'enfant ne manque pas auffi-tôt d'obéir à fon père, & l'étrangle le plus promptement qu'il eft poffible: Voyage du Nord.

Parmi les Taprobaniens, celui qui commençoit à fentir les glaces de la vieilleffe, alloit de gaieté de cœur fe coucher fur une herbe venimeufe, qui faifoit doucement paffer d'un fommeil tranquille au fommeil de la mort: Diodore de Sicile.

Ces faits généraux qui font en grand nombre, & d'autres faits particuliers dont quelques-uns feront ici rapportés, femblent prouver que la crainte de la mort n'eft qu'un mal d'opinion.

Atticus, attaqué d'une hydropifie cruelle, & las de traîner une vie languiffante, fans qu'on pût lui donner de foulagement, prit la réfolution de fe

laiffer

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Jaiffer mourir de faim; ce qu'il exécuta fi heureufement, que fes Médecins trouvèrent qu'au lieu d'abréger les jours, il avoit mis fin à fa maladie. Ils lui dirent qu'il n'avoit déformais, pour se bien porter, qu'à prendre courage, & fe difpofer à vivre. Puifque la mort, répondit Atticus, eft le terme néceffaire de notre vie, & que je m'en fuis vu fi proche, il feroit indigne de moi, de retourner fur mes pas : il fe laiffa effectivement mourir.

Peu de jours avant notre voyage de Suède, dit M. Huet, Evêque d'Avranches, ilarriva à Stokholm, une étrange aventure. Un jeune-homme qui ne manquoit ni de biens, ni de fortune, & dont la conduite avoit toujours paru affez réglée, fe faifit en plein jour, d'un enfant qui jouoit devant la boutique de fon père, & lui coupa la gorge. On l'arrêta auffi-tôt, & on le mena devant le Magiftrat, qui l'interrogea fur les motifs d'une fi méchante action. Monfieur, dit-il, j'avoue mon crime, & je reconnois que j'ai mérité la mort. Bien loin de chercher à me juftifier, & à obtenir le pardon de ma fause, je vous repréfente que vous feriez une injuftice, fi vous me la pardonniez. J'ai considéré la vie, & j'ai étudié la mort. L'une m'a paru une fource de misères & de crimes; l'autre, un état d'innocence & de paix. J'ai donc jugé la mort préférable à la vie, & j'ai cherché les moyens de fortir de ce monde. Après beaucoup de réflexions, voyant que je ne pouvois aller au but que je tendois, que par un crime, je me suis déterminé à celui que j'ai commis, comme le moins méchant & le plus excufable. J'ai tué un enfant dans l'âge d'innocence,& je lui aiaffuré fon falut. J'ai foulagé fon père chargé d'une nombreuse famille, & de peu de moyens pour la faire fubfifter. Je fais néanmoins que je fuis coupable, mais j'espère que la punition que j'attends de vous, & la manière dont je la recevrai, obtiendront de Dieu, le pardon de ma faute. Il court au lieu de fon fupplice,en chantant,& il reçut la mort avecune fermeté&une joiequi étonna tout le monde. Tome II.

N

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