Images de page
PDF
ePub

ment,

à

dit compte au Roi, du concours de monde qui étoit venu pendant le jour, & l'on ne manqua pas de parler des harangères. Sa Majefté dit qu'on avoit eu tort de leur refufer la porte, & que leur zèle méritoit qu'on leur laiffât voir Monfeigneur. Les harangères furent le lendemain matin ce que le Roi avoit dit elles affemblèrent leur confeil, : & une nouvelle députation fut réfolue. Auffi-tôt que leurs Excellences furent arrivées à Versailles, & qu'elles fe préfentèrent à la porte de Monfeigneur, on les introduifit en cérémonie, dans fon apparte& l'on fut en avertir le Roi, qui s'y rendit pour entendre leur harangue. Sa Majesté les trouva genoux devant Monfeigneur, qui étoit tout debout, en robe-de-chambre. L'une lui baifoit les pieds, l'autre le bord de fa robe : le Prince fouffroit cela patiemment. Pendant que les unes s'occupoient à lui baiser les pieds, une autre difoit fort cordialement : Que ferions-nous devenues, fi notre cher Dauphin fût mort, nous aurions tout perdu. Oui, répliqua la quatrième; tu as raison, nous aurions tout perdu; car notre bon Roi n'auroit jamais pu furvivre à fon fils, & il feroit fans doute mort de douleur. On admira la politique de cette femme, qui redreffoit fa compagne, de peur que le Roi ne fût jaloux de l'affection qu'elle témoignoit à Monfeigneur. Sa Majesté ordonna qu'on leur donnât un de fes carroffes pour les promener par-tout, & qu'on leur fît voir tout ce qu'il y a de beau à Versailles. Elles fouhaitèrent d'aller entendre vêpres à la Chapelle, & on les plaça toutes les quatre dans un banc de Ducheffe. Monfeigneur leur fit donner vingt louis, & le Roi autant : après quoi, comblées de biens & d'honneur, le carroffe du Roi les remena à Paris. On leur fit traverfer la ville d'un pas d'Ambaffadeur, & on les conduifit de ce train-là à la halle, où elles furent rendre compte à tout leur corps de l'heureux fuccès de leur voyage. On les conduifit enfuite chacune dans fa maifon. Le lendemain elles s'affemblèrent

[ocr errors]

encore, pour voir à quoi elles emploieroient les quarante louis qu'on leur avoit donnés, & elles délibérèrent de les employer à faire chanter un Te Deum pour la convalefcence de Monseigneur : ce qui fut exécuté dans l'Eglife de Saint Eustache: Lettres de Madame Dunoyer.

L'HISTOR

HISTOIRE.

[ocr errors]

'HISTOIRE eft le livre des Rois: c'eft leur confeiller le plus fidèle; mais il faut qu'elle foit écrite par des hommes libres & amis de la vérité. Il a toujours exifté, & il exifte encore en Chine, un tribunal hiftorique, chargé, par une loi fondamentale, de configner dans les faftes de l'Empire, les vertus & les vices du Monarque régnant. L'Empereur Tai-t-fong ordonna un jour à ce tribunal,de lui montrer l'hiftoire de fon règne. Tu fais, lui dit le Préfident, que nous donnons un récit exact des vertus & des vices de nos Souverains, & nous ne ferions plus libres de dire la vérité, fi tu jetois les yeux fur nos dépôts. Quoi! reprit l'Empereur, tu veux tranfmettre à la postérité l'histoire de ma vie, & tu prétends auffi l'informer de mes défauts, l'inftruire de mes fautes ?-Il n'eft, répond le Préfident, ni de mon caractère, ni de la dignité de ma place, d'altérer la vérité : je dirai tout. Si tu fais quelque injuftice, tu me feras de la peine, fi tu te rends coupable feulement d'une légère indifcrétion, j'en ferai pénétré de douleur; mais je ne tairai rien : telle est l'exactitude & la sévérité des devoirs que m'impofe la qualité d'hiftorien, que même il ne m'eft pas permis de paffer fous filence la converfation que nous avons ensemble. Tai-tfong avoit de l'élévation dans l'ame: Continue, dit-il au Préfident; écris & dis, fans contrainte, la vérité. Puiffent mes vertus ou mes vices contribuer à l'utilité publique & à l'inftruction de mes fuc

ceffeurs! Ton tribunal est libre, je le protège, & lui permets d'écrire mon hiftoire avec la plus grande impartialité: Hiftoire de la Chine.

L'hiftoire n'eft pas toujours, comme on le penfe communément, à la portée des enfants. Voici une anecdote qui le prouve. C'eft M. Jean-Jacques Rouffeau qui la rapporte dans fon traité de l'Education. J'étois, dit-il, allé paffer quelques jours à la campagne, chez une bonne mère de famille, qui prenoit grand foin de fes enfants & de leur édu cation. Un matin j'étois préfent aux leçons de l'aîné fon gouverneur, qui l'avoit très-bien inftruit de l'histoire ancienne, reprenant celle d'Alexandre, tomba fur le trait connu du Médecin de Philippe qu'on a mis en tableau, & qui fûrement en valoit bien la peine. Le gouverneur homme de mérite, fit fur l'intrépidité d'Alexandre plufieurs réflexions qui ne me plurent point; mais j'évitai de les combattre, pour ne pas le décréditer dans l'efprit de fon élève. A table on ne manqua pas, felon la méthode française, de faire beaucoup babiller le petit bon-homme. La vivacité naturelle à fon âge, & l'attente d'un applaudiffement fûr, lui firent débiter mille fottifes, tout-à-travers lesquelles partoient de temps en temps quelques mots heureux qui faifoient oublier le refte. Enfin vint l'hiftoire du Médecin de Philippe : il la raconta fort nettement, & avec beaucoup de grace. Après l'ordinaire tribut d'éloges qu'exigeoit la mère, & qu'attendoit le fils, on raifonna fur ce qu'il avoit dit. Le plus grand nombre blâma la témérité d'Alexandre; quelques-uns, à l'exemple du gouverneur, admiroient fa fermeté, fon courage ce qui me fit comprendre qu'aucun de ceux qui étoient préfents, ne voyoit en quoi confiftoit la véritable beauté de ce trait. Pour moi, leur disje, il me paroît que s'il y a le moindre conrage, la moindre fermeté dans l'action d'Alexandre, elle n'eft qu'une extravagance. Alors tout le monde fe réunit, & convint que c'étoit une extravagance. J'allois

J'allois répondre & m'échauffer, quand une femme, qui étoit à côté de moi, & qui n'avoit pas ouvert la bouche, fe pencha vers mon oreille, & me dit tout bas: Tais toi, Jean-Jacques, ils ne t'entendront pas. Je la regardai, je fus frappé, & je me tus. Après le dîner, foupçonnant fur plufieurs indices, que mon jeune Docteur n'avoit rien compris du tout à l'hiftoire qu'il avoit fi bien racontée, je le pris par la main, je fis avec lui un tour du parc, & l'ayant questionné tout à mon aife, je trouvai qu'il admiroit plus que perfonne le courage fi vanté d'Alexandre: mais favez-vous où if voyoit ce courage? uniquement dans celui d'avaler d'un feul trait, un breuvage d'un mauvais goût, fans hésiter, fans marquer la moindre répugnance. Le pauvre enfant, à qui l'on avoit fait prendre médecine, il n'y avoit pas quinze jours, & qui ne l'avoit prife qu'avec une peine infinie, en avoit encore le déboire à la bouche. La mort, l'empoifonnement ne paffoient dans fon efprit que pour des fenfations désagréables, & il ne concevoit pas pour lui d'autre poifon, que du féné. Cependant il faut avouer que la fermeté du héros avoit fait une grande impreffion fur fon jeune cœur, & qu'à la première médecine qu'il lui faudroit avaler, it avoit bien réfolu d'être un Alexandre. Sans entrer dans des éclairciffements, qui paffoient évidemment fa portée, je le confirmai dans ces difpofitions louables, & je m'en retournai, riant en moimême de la haute fageffe des pères & des maîtres, qui penfent apprendre l'histoire aux enfants. Quelques lecteurs, mécontents du Tais-tois, Jean-Jacques, demanderont, je le prévois, ce que je trouve enfin de fi beau dans l'action d'Alexandre ? Infortunés! s'il faut vous le dire, comment le comprendrez-vous ? C'eft qu'Alexandre croyoit à la vertu; c'eft qu'il y croyoit fur fa tête, fur fa propre vie; c'eft que fa grande ame étoit faite pour y croire. O que cette médecine avalée étoit une belle profeflion de foi! Non, jamais mortel n'en Tome II.

B

fit une fi fublime: s'il eft quelque moderne Alexandre, qu'on me le montre à de pareils traits.

La curiofité inquiète des hommes cherche des détails dans les hiftoires, & ne trouve que trop de plumes difpofées à la fervir & à la tromper. On représentoit à un hiftorien du dernier fiècle (Varillas) connu par fes menfonges, qu'il avoit altéré la vérité de la narration d'un fait : Cela fe peut dit-il, mais qu'importe ? le fait n'eft-il pas mieux tel que je l'ai raconté ?

Un autre (l'Abbé de Vertot) avoit un fiége fameux à décrire; les mémoires, qu'il attendoit, ayant tardé trop long-temps, il écrivit l'hiftoire du fiége, moitié d'après le peu qu'il en favoit, moitié d'après fon imagination; & par malheur, les détails qu'il en donne, font, pour le moins, auffi intéreffants que s'ils étoient vrais. Les mémoires arrivèrent enfin : J'en fuis fáché, dit-il, mais mon fiége eft fait. Voyez les Réflexions fur l'hiftoire, & fur les différentes manières de l'écrire, par M. d'Alembert.

HISTORIETTE.

PETITE HISTOIRE, où l'on rapporte quelque

évènement particulier, quelquefois galant, mais ordinairement plaifant, & qui s'éloigne, par conféquent, de la gravité de l'hiftoire. L'hiftoriette diffère du conte, en ce que celui-ci eft ordinairement fabriqué à plaifir, au-lieu que l'hiftoriette eft un de ces petits faits qu'un hiftorien sème quelquefois dans le cours d'une hiftoire, foit pour repofer fon lecteur, foit pour faire connoître plus particulièrement les mœurs & le caractère d'une nation, ou de différents perfonnages.

Rome, qui depuis long-temps avoit perdu l'habitude de voir des triomphes, en vit un fous le règne de Théodose, d'une espèce toute nouvelle,

« PrécédentContinuer »