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ayant été bleffé par un efclave, qui laiffa tomber par mégarde, un plat de viandes chaudes, fur la tête, le regarda d'un œil affez fier,mais fans emportement. L'efclave se jetta auffi-tôt à fes pieds, & lui dit ces paroles de l'Alcoran : Le Paradis eft fait pour ceux. quiretiennent & domtent leur colère. Huffein lui répondit qu'il n'en reffentoit aucun mouvement. L'efclave continua de réciter les paroles du même ver→ fet, & qui pardonnera à ceux qui les ont offenfés. Je te pardonne auffi, répliqua Huffein: enfin l'efclave achevant de prononcer les dernières paroles du texte Dieu aime fur-tout ceux qui leur font du bien, Huffein lui dit : Je te donne auffi la liberté, & quatre-cents dragmes d'argent: Bibl. Orient.

Juan Ruffo, dans fes apophthegmes, rapporte ce rare exemple de modération. L'Espagnol Lopez de Acuna, qui vivoit vers l'an 1578, s'armant. à la hâte pour un coup de main, dit à deux domeftiques qui l'habilloient, de mettre mieux fon cafque, parce qu'il lui caufoit une grande douleur à l'oreille. On lui foutint obstinément que cela ne pouvoit pas être; & fans infifter davanta ge, il partit pour le lieu où le danger & la gloire l'appelloient. A fon retour, il jette fon cafque & fon oreille, & dit à fes ferviteurs avec douceur : Ne vous difois-je pas que mon cafque étoit mal mis? Un Gentilhomme Efpagnol, devant qui on contoit ce trait fingulier, avoua que s'il eût été de Dom Lopez, il eût coupé les oreilles à ces deux coquins. C'eût été, lui répondit quelqu'un, vendre la fienne à vil prix ; au lieu d'acheter, comme Dom Lopez, toutes les langues de la renommée qui célébreront à jamais fa modération.

MODES, HABILLEMENTS.

UN étranger qui s'arrête en France, dit un aw

teur étranger lui-même, eft furpris des change

ments continuels que la mode introduit dans les habillements: il croit voir des gens qui effaient toutes fortes d'habits, fans pouvoir en trouver un qui leur convienne, & enfin, fans qu'il y en ait un qui ne leur convienne pas. Toutes les fois qu'ils paffent à une mode nouvelle, ils affurent fort férieusement > & prouvent par bonnes raisons qu'elle fied mieux, ou qu'elle eft plus commode que celle qu'ils viennent de quitter, & on croiroit prefque qu'il en eft quelque chofe ; cependant au bout de cent changements, tous, à ce qu'ils prétendent, de bien en mieux, on les voit revenir aux anciennes modes; c'est-à-dire, qu'après bien des mouvements, ils fe trouvent à l'endroit d'où ils étoient partis.

Lorfque le Czar Pierre vint en France, il remarqua un Seigneur de la Cour qui avoit chaque jour un habit d'un nouveau goût. Le Czar dit à ceux qui l'accompagnoient: Il me paroît que ce GentilLomme Français n'eft pas content de fon tailleur.

Dans le douzième fiècle & les trois fuivants, les Français étoient habillés d'une espèce de foutane qui leur defcendoit jufqu'aux pieds. La nobleffe portoit pardeffus cette foutane, un manteau ou cafaque, dont les manches très-larges & très-amples fe retrouffoient pardevant fur le pli du bras, & pendoient parderrière jufqu'aux genoux. Un chaperon, espèce de capuchon, qui avoit un bourrelet au haut, & une queue pendante parderriè re, fervoit à couvrir la tête. Ce chaperon, qui recevoit différentes fourrures & divers ornements, eft devenu, comme l'on fait, l'épitoge des Préfidents à mortier, l'aumuce des Chanoines, & la chauffe des Confeillers, Avocats, Docteurs & Profeffeurs de l'Univerfité.

Sous Charles V, on imagina les habits blafonnés ou chamarrés de toutes les pièces armoriales de l'écu. On vit paroître enfuite fous Charles VI, l'habit mi-parti, tel qu'eft encore celui de la plupart des Echevins & des Bedeaux. Du temps du

François I, on quitta l'habit long pour donner dans l'extrémité oppofée. L'habillement de ce temps eft un pourpoint à petites basques, & un cafeçon tout d'une pièce avec les bas. Cet habit ferroit de fi près, & prenoit fi bien la taille, qu'il en étoit indécent. Les gens graves prirent le large haut-de-chauffe à la Suiffe; les jeunes-gens imaginèrent les trouffes, efpèce de haut-de-chauffe court & relevé, qui ne venoit qu'à la moitié des cuiffes, & que l'on couvroit d'une demi-jupe. Cette mode, qui fubfifta jufqu'à Louis XIII, fit place à celle qui règne aujourd'hui.

A l'égard des femmes, elles étoient coëffées fous le règne de Charles VI, d'un haut bonnet en pain de fucre; elles attachoient au baut de ce bonnet, un voile qui pendoit plus ou moins, felon la qualité de la perfonne. Elles prirent, fous le règne de François I & de Henri II, de petits chapeaux avec une plume. Depuis Henri II jufqu'à la fin du règne de Henri IV, elles portèrent de petits bonnets avec une aigrette.

Sous François II, les hommes trouvèrent qu'un gros ventre donnoit un air de majefté, & les femmes imaginèrent auffi-tôt qu'il en étoit de même du gros cu; on avoit de gros ventres & de gros cus poftiches, & cette ridicule mode dura trois ou quatre ans. Ce qu'il y eut encore de fingulier,' c'eft que, lorfqu'elle commença, les femmes parurent ne fe plus foucier de leur vifage, & commencèrent à le cacher; elles prirent un loup, efpèce de mafque, & n'alloient plus que masquées dans les rues, aux promenades, en vifite, & même à l'Eglife: V. les Effais hiftoriques fur Paris.

Au loup a fuccédé une autre espèce de mafque, le rouge & les mouches.

Vers la fin du dernier fiècle, & même au commencement de celui-ci, nos Dames portoient de hautes coëffures à tuyaux d'orgue, & fi élevées que leur tête fembloit placée au milieu du corps. C'eft ce qui faifoit dire au cauftique la Bruyère,

qu'il falloit juger des femmes depuis la chauffure jufqu'à la coëffure exclufivement, à-peu-près comme on mefure le poiffon,entre queue & tête. Les Françaises ont l'obligation de leurs petites coëffures à deux Anglaifes qui vinrent à Verfailles en 1714. Elles fe préfentèrent dans le mois de Juin ou Juillet, pour voir fouper le Roi Louis XIV, qui étoit déjà à table. Elles ne furent pas plus tôt entrées, que toutes les perfonnes qui étoient au fouper, étonnées de la petiteffe de leurs coëffures, qui n'avoient nul rapport à celles des FranCaifes, & ne les connoiffant pas pour étrangères, firent un fi grand brouhaha, que le Roi demanda, avec émotion, ce qui le caufoit. On lui répondit que c'étoit l'arrivée de deux Dames extraordinairement coëffés, qui fe préfentoient pour avoir l'honneur de voir fouper Sa Majesté. Le Roi les apperçut alors; & après les avoir confidérées un inftant, il dit aux Ducheffes & aux autres Dames préfentes à fon fouper, que fi toutes les femmes étoient raisonnables, elles ne fe coëfferoient jamais autrement que ces deux Dames. Il le dit même d'un ton à faire croire, que fi on paroiffoit autrement devant lui, on ne lui feroit pas fa cour. Il ne faudroit pas connoître le génie du Français, & fon goût pour toutes les modes, pour douter que celles qui étoient préfentes au difcours du Roi, héfitèrent un moment à prendre leur parti. Elles firent travailler toute la nuit à la diminution de leurs coëffures, qui étoient à trois étages foutenus par des fils d'archal. Elles réprimèrent d'abord les deux plus hauts, n'en confervèrent qu'un, qu'elles rasèrent encore de moitié. Les Dames, parées de cette nouvelle coëffure, ne manquèrent pas de fe trouver à la Meffe du Roi, mais avec un férieux qui les fatiguoit extrêmement à garder. Au fortir de la Chapelle, Sa Majefté leur en fit compliment, & ajouta expreffément qu'elles n'avoient jamais été mieux coëffées. Il n'en fallut pas davantage pour faire paffer cette mode de la

Cour à la ville, & de la ville à la province, Mais. elle étoit fi fage, qu'on pouvoit parier, que fans l'approbation expreffe du Roi, elle ne fe feroit point établie.

Les vertugadins prirent faveur dans le même temps: mais les femmes qui avoient déjà profcrit cette mode, fe gardèrent bien, quand elles la renouvellèrent, de conferver le nom de vertugadin Il leur auroit femblé qu'elles portoient une antiquaille, & qu'elles-mêmes l'étoient. Elles l'appellèrent donc panier; & ce nom prit d'autant mieux qu'il jouoit avec celui d'un Magiftrat mort depuis peu d'années, en repaffant de la Martinique en France. Elles avoient le plaifir de dire: apportezmoi mon Maître des Requétes. Cette mode, originaire de France, & qui a toujours fubfifté dans le pays étranger, revint dans ce royaume avec les deux Anglaifes dont il vient d'être parlé. La fcène qu'elles avoient effuyée à Versailles, tourna à leur gloire; mais deux jours après, celle des verEngadins manqua d'être très-férieufe pour elles. Elles fe promenoient un foir dans la grande allée des Tuileries, & le vafte étalage de leurs jupes, qui n'étoit produit que par des cerceaux de baleine, frappa d'abord les fpectateurs. On s'empreffa fi fort pour les voir, qu'elles faillirent à être étouffées par la foule. Un des bancs adoffés aux paliffades d'ifs, qui étoient dans ce temps-là aux deux côtés de la grande allée, les fauva. Un Officier des Moufquetaires, qui fe trouva près d'elles, empêcha qu'elles ne fuffent écrasées par la multitude qui augmentoit fans ceffe. Le feul expédient qu'il put trouver, fut de les faire paffer au travers la paliffade, & de les mener à l'orangerie des Tuileries où il logeoit. C'est à cette aventure que les paniers dûrent leur retour sur la fcène mais la mode n'en revint que par degrés; les femmes n'osèrent paffer tout-d'un-coup à ce vafte étalage, qui parut d'abord immodefte & très indécent. Les Actrices hazardèrent les pre

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