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mières d'en porter fur le théatre, l'hiver fuivant; & les femmes élégantes, accoutumées à les imiter d'abord de loin, commençèrent par porter des jupons de crin piqués; elles mirent enfuite des criardes, efpèce de groffe toile bougrauné, pliffées autour des hanches. L'été de 1716 fur extrêmement chaud; & c'eft à cette faifon, que l'on peut fixer le renouvellement des vertugadins en France. Pendant cet été, deux Dames qualifiées fous prétexte de la chaleur & de leur embonpoint, portèrent des paniers chez elles. Peu-à-peu elles fe hazardèrent d'en porter aux Tuileries, mais elles n'y allèrent que les foirs ; & pour éviter l'entrée des portes ordinaires, où il y a toujours beaucoup de livrée, elles passèrent par l'orangerie. On s'accoutuma enfin aux paniers de ces Dames, qui, peu-à-peu, furent hardies à fe montrer. Quelques autres femmes les imitèrent, & la mode devint univerfelle. Ce n'eft pas fans peines, comme l'on voit, que les Françaises ont réuffi à fe défigurer la taille, par d'énormes cerceaux de baleine, après s'être gâté le teint par le fard: Voyez Beauté.

MUSIQUE, MUSICIENS.

M. MARTINELLI, auteur de quelques lettres cri

tiques fur la mufique Italienne, attribue les révofution du goût dans cette mufique aux chanteurs & aux cantatrices, qu'il eft tenté de compafer à ces beautés coquettes, qui facrifient toutà leur prétention. La mufique, dit-il, fut d'abord confacrée à chanter les louanges du Très-Haut. Elle étoit fimple, mais majeftueuse. En paffant fur le théatre, elle devint plus travaillée plus variée, plus agréable, plus vive; on connut davantage ce dont elle étoit capable. Elle retint néanmoins, jufqu'au commencement de ce fiécle

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beaucoup de cette fimplicité naturelle, de ce ton mâle & févère qui caractérifoit les chants d'Eglife, Siface & La Tilla, l'un & l'autre Tofcans, & les plus grands muficiens de cette école ancienne ont fixé à eux l'époque de ce chant fimple, naturel & grave. La Santa Stella, La Reggiana, Nicolino & Senezino étoient de la même école. Le premier, continue le même Auteur, qui commença à gâter notre mufique, fut Piftoccolo, de Bologne. Il chanta d'abord fur le théatre; mais contraint, à caufe de fa voix défagréable & de fa figure difgracieuse, d'abandonner la fcène, il fe fit Prêtre, & fe mit à enfeigner un art qu'il s'étoit jugé incapable de pratiquer avec fuccès. Ses plus célèbres écoliers furent Bernacchi & Pafi, tous deux de Bologne, & fes compatriotes. Le premier, très-favant & très-adroit à parcourir les paffages les plus difficiles de la mufique dans le court efpace d'une ariette, mérita les applaudiffements de quelques enthousiastes amis des difficultés; mais il ne réuffit jamais à plaire généralement, parce qu'il quittoit fouvent l'expreffion du fentiment qu'il avoit à rendre, pour fe livrer à fes vols pindariques. Ajoutez à cela, qu'il avoit une voix peu flatteufe, & que fa figure ne repréfentoit pas affez. Le Pafi, au contraire, ne retint des leçons de fon maître, que ce qu'il lui falloit pour faire valoir une voix foible, à la vérité, mais très-gracieufe; ce qui, joint à une figure avantageufe, lui mérita en peu de temps la réputation du chanteur le plus agréable & le plus parfait qui ait paru fur la scène. Païta fut contemporain de Bernacchi; & quoiqu'il n'eût qu'une ténore, & même un fon de voix très-défagréable, il s'exerça néanmoins dans le même genre que ce muficien. Vers le même temps, la Cuzzoni & la Fauftina montèrent fur le théatre. La première avoit une voix de peu d'étendue, mais par-tout également douce, également fonore; elle mettoit dans fon chant, le même goût, le même naturel que le Pafi. On la nomma la lyre d'or. La voix de

la Fauftina étoit plus brillante, & d'une légèreté fans égale: elle fut regardée comme une nouvelle Sirène. Pour exprimer le plaifir qu'on avoit à l'entendre, on a dit que les goutteux quittoient leurs lits quand elle devoit chanter. On lui frappa des médailles à Florence, & par-tout elle reçut des applaudiffements fans nombre. Le chant compli qué & travaillé de Bernacchi eut bien des imitateurs parmi la jeuneffe du théatre; tous ceux qui fe fentirent du talent, tentèrent de réussir dans une entreprise fi difficile; & les compofiteurs de mufique furent obligés de facrifier à ce goût dominant. Polymnie ne fut plus une gentille & fimple bergère; elle quitta même ce dehors gracieux & impofant, qu'elle prenoit toujours pour paroître fur le théatre, & devint bientôt une coquette folâtre & capricieufe: elle préfenta fes pensées d'une manière fi embarraffée & fi équivoque, qu'il ne fut plus poffible de les interpréter. La Fauftina, par le nom qu'elle fe fit, contribua aussi à introduire un nouveau genre dans la mufique. Les chanteurs, hommes & femmes, fans avoir égard à leurs talents, & au genre de voix qu'ils avoient, voulurent l'imiter, & le compofiteur fut obligé de fe conformer à leurs caprices. Mais ce qui prouve combien le mauvais goût a d'empire, c'est que perfonne ne cherchia à étudier le goût fimple de la Guzzoni & du Pafi, par la raison qu'il étoit trop naturel. Dans la chaleur de cette révolution, Faminelli parut avec une voix proportionnée à fa ftature gigantefque, ayant, de plus que les voix ordinaires des deffus, fept ou huit tons également fonores, & par-tout lympides & agréables, poffédant d'ailleurs, toute la fcience muficale à un degré éminent, & tel qu'on pouvoit l'espérer du plus digne élève du favant Perpora. Il parcourut, avec une agilité & une franchise fans égale tous les fentiers de la mufique, battus par Bernacchi avec quelques fuccès, & devint, en un moment, l'idole des Italiens, & enfin, du monde harmonique. Ce

prodige de la nature & de l'art, caufa bien du défordre dans l'empire de l'harmonie; les compofiteurs, les chanteurs & les fymphonistes, épris du même enchantement, voulurent à toute force famineller. Le naturel & l'expreffion du fentiment difparurent du chant, & on tenta par-tout les impoffibles. Quelques-uns cependant ont fu mettre à profit les vols pindariques de Faminelli,entr'autres, Salimbelli, mort depuis quelque temps; Cafarelli & la Mingotti, tous difciples du célèbre Porpora. Nous fommes redevables à ce grand maître, ajoute M. Martinelli, de la fenfation que nous éprou vons en écoutant chanter ces habiles élèves, parce qu'il leur a appris à rendre le caractère & le vrai fentiment des paffions; ce qui peut s'appeller le chant du cœur. Tous ces efforts capricieux, tous ces paffages, où la voix fe joue & fautille fur tous les tons, ne font que pour l'oreille. En effet, ils font plus propres à exciter l'admiration des novices qu'à plaire à celui qui eft dans l'habitude de fentir. Il y a moins de différence entre les gambades d'un homme qui voltige fur la corde, & les pas moelleux & bien deffinés d'un danfeur accompli. Si ces grands Muficiens ont quelquefois furchargé leurs chants de pretintailles, & de roulements portés jufqu'aux nues, on doit regarder ceci comme un facrifice au goût dominant. Ils ont appréhendé que l'on doutât de leurs talents pour l'exécution, s'ils ne faifoient point de temps en temps des tours de force; mais ils ont été les premiers à blâmer de pareilles extravagances.

Le célèbre Tartini, qui demeure à Padoue, eft regardé, avec raifon, comme le plus grand violon d'Italie; mais jamais ce célèbre artifte n'a confondu le bruit qui étonne les oreilles, avec la mélodie qui doit parler à l'ame. Les plus fameux virtuofes Italiens viennent fouvent fe faire entendre à ce grand maître; & pour obtenir fon fuffrage, ils De manquent pas de faire pétiller leur archet, & de déployer tous leurs tours d'adreffe & de force. Lorf

qu'ils ont fini; cela eft brillant, dit froidement Tartini à la plupart, cela eft vif, cela est très-fort; mais cela ne m'a rien dit, ajoute-t-il, en portant Ja main à fon cœur.

M. Martinelli, dans la vue de nous prouver le pouvoir de la mufique pour calmer le caractère emporté d'un homme, nous cite ces deux exemples modernes. Un jour que Stradella, célèbre vioJon de Naples, exécutoit un morceau de musique à Venife, il fit une fi vive impreffion fur une jeune demoiselle, qu'il ravit d'abord fon cœur, bientôt après fa perfonne, & s'enfuit avec elle à Rome. Un gentilhomme, tuteur de la demoiselle, outré de ce rapt, excite un jeune homme qui la recherchoit en mariage, à laver dans le fang du raviffeur, une injure qui leur étoit commune. Cet amant arrive, s'informe où il pourra joindre fon rival, & apprend qu'il doit jouer tel jour dans une Eglife. Il s'y rend, entend Stradella, & ne penfe plus qu'à le fauver; & il écrit au gentilhomme, que lors de fon arrivée, Stradella étoit parti. Le fecond exemple rapporté, eft celui de Palma, qui étoit auffi un musicien Napolitain. Surpris dans fa maison par un de fes créanciers, qui vouloit à toute force le faire arrêter, il ne répond à fes injures & à fes menaces que par une ariette; on l'écoute: Palma chante un autre air, l'accompagne de fon claveffin, remarque les accords qui font le plus d'impreffion fur le cœur de fon créancier, parvient enfin à l'attendrir; il n'eft plus queftion de paiement, on lui prête encore une fomme qu'il demande pour le délivrer de quelqu'autre embarras. Si Stradella, avec une fimple fonate de violon, ajoute l'auteur, a pu calmer les tranfports furieux d'un rival juftement irrité, & accouru de plus de cent lieues pour se venger; fi Palma, avec une voix rauque, eft parvenu à gagner le cœur d'un créancier avide, à en obtenir de nouveaux bienfaits, que n'ont pu faire les chants mélodieux d'un poëte philofophe (Orphée) qui exécutoit ce que lui-même avoit compofé?

Les

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