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Les oracles, chez les anciens, étoient un moyen de plus de perfuader le peuple, toujours attaché à ce qui lui paroît merveilleux. Périclès, Alexandre, Céfar, & d'autres perfonnages illuftres, favoient les faire parler, ou les interpréter en leur faveur lorfqu'il le falloit. Alexandre étoit allé à Delphes pour confulter le Dieu; & la Prêtreffe qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le temple. Alexandre qui étoit brufque, la prit auffi-tôt par le bras pour l'y mener de force,& elle s'écria: Ah! monfils, on ne peut te refifter. Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me fuffit.

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Jules-Céfar étant tombé de cheval, en Afrique, où il étoit allé pour conquérir cette partie du monde, dit : « Voici un oracle favorable que les » Dieux nous donnent ; l'Afrique eft fous moi, ce » n'eft pas une chûte, c'eft une prife de poffeffion. >>

Plufieurs Philofophes de l'antiquité, pour faire voir le ridicule des oracles de Delphes, que l'on interprétoit différemment par un certain renverfement dans les paroles, citoient l'exemple de ce Peintre à qui l'on avoit demandé un tableau d'un cheval qui roulât à terre, fur le dos. Il peignit un cheval qui couroit; & quand on lui eût dit que ce n'étoit pas là ce qu'on lui avoit demandé, il renverfa le tableau, & dit: Ne voilà-t-il pas le cheval qui roule fur le dos?

Le célèbre Kirker, dans le deffein de détromper les fuperftitieux,fur les différents prodiges attri bués à l'oracle de Delphes, avoit imaginé & fixé un tuyau dans fa chambre, de manière que quand quelqu'un l'appelloit, même à voix baffe, à la porte du jardin qui étoit contigu, il l'entendoit auffi diftinctement que s'il eût été auprès de lui, & il répondoit avec la même facilité. Il transporta enfuite fa machine dans fon Mufæum, & l'adapta avec tant d'art, à une figure automate, qu'on la voyoit ouvrir la bouche, remuer les lèvres, & rendre des fons articulés. Il fuppposa en consé

quence, que les Prêtres du paganisme, en fe fervant de ces tuyaux, faifoient accroire aux fots, que l'idole fatisfaifoit à leurs queftions.

ORGUEIL NATIONAL,

IL en eft des nation's comme des individus; cha

que peuple s'attribue des qualités qui le diftinguent des autres peuples. Les Fabulistes Indiens racontent qu'il eft une contrée dans les Indes où tous les habitants font boffus. Un étranger, jeune beau & bien fait, y arriva. Auffi-tôt il se voit entouré d'une multitude d'habitants; fa figure leur paroît extraordinaire; les ris & les brocards annoncent leur étonnement. On alloit pouffer plus loin les outrages, fi, pour l'arracher à ce danger, un des habitants, qui fans doute avoit vu d'autres hommes que des boffus, ne fe fût tout-à-coup écrié : « Eh! mes amis, épargnons ce malheureux " contrefait; faut-il l'injurier parce que le ciel ne "l'a pas formé d'une figure auffi agréable que la » nôtre? Allons plutôt au temple réitérer à l'éter»nel, vos remerciments pour la boffe dont il a daigné nous favoriser ». On peut conclure de cet apologue, que pour réuffir chez une nation, il faut endoffer la boffe qu'elle porte.

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On a reproché aux Grecs, leur ufage d'appeller tout étranger, Barbare. Ne pourroit-on pas également accufer les Français, de ce ridicule orgueil national? Quelques Cavaliers Français dînoient en Allemagne, à la table d'un Prince. L'un d'eux après avoir considéré tous les convives, s'écria Rien n'eft plus plaifant; il n'y a que Monfieur ici, d'étranger.

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Bouhours, dans un de fes dialogues, demandoit fi un Allemand pouvoit avoir de l'efprit. Un Allemand, à fon tour, demanda fi un Français pouvoit avoir du jugement,

Sous le règne de Philippe V, petit-fils de Louis XIV, un Gentilhomme de Pampelune, paffant un contrat chez un Notaire, figna: Dom, &c. &c. no ble comme le Roi, & encore un peu plus. Le Gouverneur le fut, & fit venir cet infolent : il lui demanda pourquoi il avoit eu l'impudence de fe mettre au-deffus de fon Roi. Il répondit froidement: Le Roi eft Français, je fuis Efpagnol; par cette feule raifon, je fuis d'une extraction bien plus noble que la fienne. On le mit en prifon; mais fes compatriotes, enchantés de ce trait héroïque, adoucirent la rigueur de fa détention, par leurs visites & par toutes fortes de préfents: Lettre fur le Voyage d'Espagne.

Le Politique Fra-Paolo obfervé dans ses traités, que quand une famille feroit affez puiffante à Venife, pour parvenir à la Souveraineté, elle ne pourroit jamais y parvenir, parce que les nobles aimeroient mieux être fimples nobles avec mille autres, que Princes du fang & frères du Roi: té moin ce Vénitien, qui étant à Paris, du temps de Louis XIV, fe vantoit d'être autant que Monfieur, frère unique du Roì.

On trouve auffi de ces efprits frivoles & ridicu lement fiers parmi les Anglais. Sans faire mention ici de cette populace brutale, qui ne prononce jamais un nom Français, fans y ajouter les épithètes les plus odieufes, on fe rappelle cet orateur hyperbolique, qui, à la fin du dernier fiècle, difoit en plein public: « Oui, Mylords, avant peu vous verrez Louis XIV aux pieds du Parlement, » demander la paix. »

lui

Lorsque le Kam des Tartares, qui ne possède pas ane maison, & ne vit que de rapines, a achevé fon diner, confiftant en laitage & en chair de cheval, il fait publier par un béraut: Que tous les Potentats, Princes & Grands de la terre peuvent fe mettre à table.

L'hiftoire des voyages fait mention d'un Souverain d'un petit canton de l'Amérique, près des ri

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ves de Miffiffipi, au fond de la Louifiane, qui, tous les matins, fort de fa cabane, & trace au soleil, le chemin qu'il doit parcourir.

On avoit amené devant un Prince Nègre, fur la côte de Guinée, quelques Français qui venoient d'aborder. Il étoit fous un arbre; pour trône il avoit une groffe bûche ; fes gardes étoient trois ou quatre Nègres armés de piques de bois. Ce ridicule Monarque demanda : Parle-t-on beaucoup de moi en France.

Les différentes peoplades de la côte de Guinée ont chacune leur Roi, dont la triste majesté n'a guère plus d'éclat. Cette canaille royale, toujours flattée qu'un de nos marchands la régale d'eau-devie, affecte fouvent de prendre les noms de nos Princes, ou de quelques Grands dont elle a entendu louer les exploits. On y voyoit, en 1743, un Roi Guillaume, dont l'auguste époufe s'appelloit la Reine Anne. Un autre fe qualifioit de Duc de Malborough. Le Roi Guillaume étoit un petit Cefar qui fit, il y a environ vingt ans, une guerre affez comique à un certain Martin, qui avoit ofé s'égaler à lui. Il fe donna une fameufe bataille, où Guillau me perdit trois hommes, & fon rival cinq. Celuici, confterné de fa défaite, demanda la paix qu'il obtint aux conditions fuivantes. 1°. « Qu'il "renonceroit au titre de Roi, & fe contenteroit » de celui de Capitaine. 2°. Qu'il ne mettroit plus » de bas, ni de fouliers, lorfqu'il iroit à bord des »vaiffeaux d'Europe, & que cette brillante dif»tinction appartiendroit déformais au Roi Guillau "me. 3°. Qu'il donneroit auvainqueur, la plus belle » de fes filles en mariage ». Après ce traité glorieux, Guillaume vint en bas & en fouliers, fur un vaiffeau Danois, où il acheta quelques foieries pour en habiller la Reine. Ayant apperçu un bonnet de grenadier, que les gens de l'équipage avoient par hazard, il en fit auffi-tôt l'acquifition, pour en décorer la tête de la Princeffe. Il voulut que Martin la vit dans toute la parure. Martin

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avoua qu'elle n'avoit jamais été fi belle.

Ces différents traits prouvent que tous les Souverains & tous les peuples font également vains. Le Canadien croit faire un grand éloge du Français, en difant: c'eft un homme comme moi.

PANTOMIMES.

L'ART des pantomimes fut porté à un fi haut

degré chez les anciens, que ce langage, ou cette mufique muette, comme ils l'appelloient, leur parut plus éclatante que la déclamation même. Caf fiodore attribue à ces acteurs, des mains très-éloquentes, des doigts parlants, un filence pathétique. Un Ambaffadeur du Roi de Pont, qui avoit été préfent dans Rome, à une danse pantomime, fut fi fatisfait de l'intelligence de l'acteur, qu'il demanda comme une grace, à l'Empereur Néron, qu'il lui en fit préfent. «Ne foyez point étonné de "ma prière lui dit l'Ambaffadeur «j'ai pour voi » fins, des barbares dont perfonne n'entend la lan"gue, & qui n'ont jamais pu apprendre la mienne; » mais cet homme qui fait parler par des geftes, "" feroit aifément entendre mes volontés. »

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Un autre étranger, qui affiftoit à ce spectacle, fut fi frappé de voir un feul homme exécuter une pièce entière, que l'admiration lui fit adreffer ces paroles à l'acteur: Dans un feul corps, tu as plus d'une ame.

Voici un autre fait qui paroîtra incroyable; il eft rapporté par Hérodote, hiftorien un peu fufpect. Un Roi voulant marier fa fille, plufieurs Princes fe difputèrent cette conquête. Il en parut un fur les rangs, fupérieurement verfé dans l'art des pantomimes. Jaloux de montrer fes talents, ilfe furpaffa lui-même. Après avoir repréfenté différentes chofes avec les mains, il fe mit fur la tête, & élevant les pieds en l'air, il peignit, par les mouvements

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