Images de page
PDF
ePub

Un Prédicateur récitoit un panégyrique d'un Saint, & l'élevoit, felon le style d'ordinaire, audeffus de tous les autres Saints du Paradis. Il parcourt la hiérarchie célefte; mais en vain, il ne peut fe résoudre à affigner une place à ce Saint du jour; il trouve toujours des vertus qui le diftinguent de ces efprits bienheureux. Chacune de fes périodes étoit terminée par cette exclamation : Out le mettrons-nous, ce grand Patriarche ? Un auditeur, dont la patience à la fin étoit ufée, lui dit, en fe levant Puifque vous êtes fi embarraffé, mettez-le à ma place, car je m'en vais.

[ocr errors]

Un autre Prédicateur, non moins ennuyeux, c'étoit peut-être le même, avoit divifé fon Sermon en trente-deux points. Un de fes auditeurs fe lève aùffi-tôt. On lui demande où il veut aller? Je vais, dit-il, quérir mon bonnet de nuit, car je prévois que nous coucherons ici. Effectivement, le Prédicateur ayant perdu le fil de fes fubdivifions, ne put jamais trouver la fin de fon difcours. Les auditeurs perdant enfin patience, & voyant la nuit qui s'approchoit, défiloient l'un après l'autre. Le Prédica teur, qui avoit la vue baffe, ne s'appercevoit pas de cette désertion, & continuoit à s'efcrimer dans la chaire, lorsqu'un petit enfant de chœur, qui reftoit, lui cria: Monfieur, voici les clefs de l'Eglife, quand vous aurez fini, vous aurez foin de la fermer.

2

Un Abbé de condition, qui n'aimoit pas les Moines, prononçoit, dans un couvent de Cordeliers, le Panégyrique de Saint François : « Mes » Pères» leur dit-il admirez la grandeur de votre » Saint; fes miracles paffent ceux du Fils de Dieu. >> Jesus-Chrift, avec cinq pains & trois poiffons,

"

ne nourrit que cinq mille hommes une fois en » fa vie; & Saint François, avec une aune de toi>> le, nourrit tous les jours, par un miracle perpé>>>tuel, plus de quarante mille fainéants. »

Un jour de Saint Etienne, un Moine devoit faire le Panégyrique de ce Saint. Comme il étoit déjà

tard, les Prêtres, qui craignoient que le Prédicateur ne fût trop long, le prièrent d'abréger. Le Religieux monta en chaire, & dit à fon auditoire: "Mes frères, il y a aujourd'hui un an que je vous "ai prêché le panégyrique du Saint dont on fait » aujourd'hui la fête, comme je n'ai point appris » qu'il ait fait rien de nouveau depuis, je n'ai rien "non plus à ajouter à ce que j'en dis alors; là-deffus » il donna la bénédiction, & s'en alla. » .3

Un Prédicateur qui ne favoit qu'un Sermon, qu'il alloit débiter par les villages, l'ayant dit dans un endroit, le Seigneur du lieu, qui avoit entendu parler avantageufement de ce Prédicateur, l'engagea à prêcher le lendemain, qui étoit fête. Ce Prédicateur chercha pendant la nuit comment il fe tireroit d'affaire. L'heure venue, il monte en chaire & dit : « Meffieurs, quelques perfonnes m'ont accufé de vous avoir débité hier des propofitions contraires à la foi, & d'avoir » mal interprété plufieurs paffages de l'Ecriture; » pour les convaincre d'impofture, & vous faire → connoître la pureté de ma doctrine, je m'en vais » vous répéter mon Sermon, foyez-y attentifs. >>

Le Père Séraphin, Capucin, prêchoit devant Louis XIV à Versailles. Il s'apperçut en chaire que l'Abbé de Fénelon dormoit, il s'interrompit & dit: « Réveillez cet Abbé qui dort, & qui n'eft >> peut-être au Sermon que pour faire fa cour au "Roi. C'étoit manquer de refpect au Roi, qui néanmoins n'en parut point offenfé, & ne fit que fourire. C'eft qu'on permet tout à un homme dont la vertu, le zèle & la fimplicité font bien

reconnus,

31

1

Un Prédicateur trop zélé, qui prononçoit le panégyrique de Saint François-Xavier, le loua d'avoir, dans une ifle déferte, converti dix mille hommes par un feul Sermon.

Un Cordelier disoit en chaire, que les Livres d'Erafme étoient infectés d'hérélies. Un Magiftrat, préfent à ce Sermon, alla voir l'orateur, pour

s'informer de lui dans quel endroit des écrits d'Erafme fe trouvoient les héréfies : « Je ne les ai » point lus » lui répondit-il « j'ai,à la vérité, voulu » lire fes paraphrafes, mais la latinité en étoit trop » élevée; & je crains que cela ne l'ait conduit à » quelque hérésie. »

Un Moine Italien, prêchant à Rome, devant les Cardinaux, le panégyrique de Saint Luc, manqua de mémoire, & ne put jamais dire que le texte de fon difcours: Salutatvos Lucas Medicus: Luc, Médecin, vous falue. Il répéta plufieurs fois ces paroles; à la fin les Cardinaux, laffés de ces répétitions, fe levèrent, & un d'entr'eux, s'adreffent au Prédicateur, lui dit: Saluez le auffi de notre part.

Un Prédicateur étant en chaire, manqua de mémoire, & s'efforçoit en vain de rappeller fon difcours; il touffoit, il crachoit, & rien ne venoit. Il s'avifa de dire, pour excufe, qu'il fentoit la chaire trembler fous lui, & qu'il n'étoit pas en fûreté. Puifque ma vie, dit-il à fon auditoire, eft en danger, cherchez qui vous prêche. Comme il defcendoit de chaire, un des auditeurs s'approcha de lui, & lui dit : « Votre crainte étoit mal-fondée, » car nous vous portions tous fur les épaules."

Un autre Prédicateur, à qui un pareil accident arriva, s'en tira plus adroitement : « Meffieurs, » dit-il à fes auditeurs « j'avois oublié de vous dire » qu'une perfonne fort affligée fe recommandoit "très-inftamment à vos prières; difons donc pour "elle un Pater, & fur cela il fe mit à genoux ». Pendant cette paufe, le fil de fon difcours lui revint, & il continua, fans que perfonne s'apperçût de fon manque de mémoire.

Un Abbé de grand air, après avoir prié la cour & la ville à un Sermon d'apparat, qu'il prononça dans l'Eglife des Nouvelles-Catholiques, demeura court au milieu de cette belle affemblée. Il fe trouva des perfonnes malignement charitables qui lui écrivirent une longue lettre là - deffus dont l'adreffe étoit: A Monfieur l'Abbé de***

[ocr errors]

demeurant en chaire, aux Nouvelles-Catholiques. M. l'Abbé de.... qui étoit fujet, faute de mémoire, à refter court en chaire, venoit de le faire peindre. On trouva le portrait fort reffemblant, & quelqu'un dit ; il n'y manque que la parole. Ne voyez-vous pas, repartit auffi-tôt un railleur, que M. l'Abbé eft représenté prêchant?

PRÉJUG É.

Le préjugé eft la loi du commun des hommes.

E

Lorsqu'un Prince meurt au Japon, il fe trouve ordinairement quinze ou vingt de fes fujets qui, par zèle, fe fendent le ventre & meurent avec lui. Ceux qui fe font les plus belles incifions, acquiérent le plus de gloire, Une rélation inférée dans le recueil de Thévenot, fait mention de l'anecdote fuivante. Un Officier de l'Empereur du Japon montoit l'escalier impérial,lorfqu'un autre en defcendoit. Leurs épées fe choquèrent; celui-ci s'en offenfa, & dit quelques paroles à l'autre, qui s'excufa fur le hazard, & ajouta qu'au furplus c'étoient deux épées qui s'étoient frolées, & que l'une valoit bien l'autre. Vous allez voir, répond l'aggref feur, la différence qu'il y a entre nos deux épées. Il tire en même-temps la fienne & s'en ouvre le ventre; l'autre, jaloux de cet avantage, fe hâte de monter, pour fervir fur la table de l'Empereur un plat qu'il avoit entre les mains, & revier t trouver fon adverfaire, qui expiroit du coup qu'il s'étoit donné. Il lui demande s'il refpire encore, & tirant fur-le-champ fon épée, il s'en ouvre le ventre à fon tour. Vous ne m'auriez pas prévenu, Jui dit-il, fi vous ne m'euffiez trouvé occupé au fervice du Prince; mais je meurs fatisfait, puifque j'ai la gloire de vous convaincre que mon épée vaut bien la vôtre.

Un Français, en lifant ceci, gémira de la folie

de ces deux Orientaux, & il ira peut-être le foir même, exposer fa vie au fer d'un fpadaffin, pour le punir d'en avoir été infulté: Voyez Duel.

Un préjugé, tel que celui du duel, qui eft fondé fur une espèce de point d'honneur, ne peut être détruit que par l'infamie; car pour un homme de cœur, la mort même eft moins effrayante que l'horreur du mépris. On peut fe rappeller cette réponse que le Spectateur Anglais fait faire à Pharamond, par un foldat duelliste, à qui ce Prince reprochoit d'avoir contrevenu à fes ordres: «Com» ment», lui répondit ce foldat m'y ferois-je fou» mis? tu ne punis que de mort ceux qui les violent, » & tu punis d'infamie ceux qui obéiflent. Apprends » que je crains moins la mort que le mépris. »

[ocr errors]
[ocr errors]

On peut détruire une erreur raisonnée, par cela même qu'on raifonne, & qu'un raifonnement plus concluant peut défabuser du premier. Mais avec quelles armes combattre ce qui n'a ni principe ni conféquence? Lorfque l'on veut prouver au Canadien que les traditions de ses anciens font des folies, & qu'il ne devroit pas s'y attacher : "Quel âge as-tu » répond-il à celui qui lui parle? "Tu n'as que trente ou quarante ans, & tu veux » favoir les chofes, mieux que nos vieillards: va, » tu ne fais ce que tu dis: tu peux bien favoir ce » qui fe paffe dans ton pays; parce que tes anciens » t'en ont parlé; mais tu ne fais rien de ce qui s'est paffé dans le nôtre avant que les Français y » fuffent venus. ››

[ocr errors]

Un des effets du préjugé national eft de nous faire regarder chaque étranger comme un phénomène extraordinaire, qui n'a rien d'égal dans le refte de l'univers. On peut fe rappeller ici ce que Rica écrit à son ami : « Si quelqu'un, par hazard, » apprenoit à la compagnie que j'étois Perfan, j'en» tendrois auffi-tôt autour de moi un bourdonne»ment: Oh! oh! Monfieur et Perfan ? C'est une » chofe bien extraordinaire ! Comment peut-on être Perfan? Lettres Perfannes.

[ocr errors]
[ocr errors]
« PrécédentContinuer »