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Un Général qui fait la guerre dans un pays étranger, ne néglige point de s'inftruire des préjugés de la Nation; il fait même les refpecter, fi le bien du fervice le demande. Dans la guerre d'Italie de 1701, deux dragons de la garnifon Françaife qui étoit dans Mantoue, paffoient dans la rue. Un Italien, irrité contre l'un des deux, lui enfonce fon poignard par derrière, le tue fur la place, & fe réfugie dans un endroit privilégié. Le camarade du mort pourfuit l'affaffin dans cet afyle & le maffacre. Le peuple, indigné qu'on ait ofé violer les immunités eccléfiaftiques, s'attroupe & veut fermer les portes; mais le meurtrier s'étant fait jour l'épée à la main, fe retira dans la maison de fon Colonel. Elle eft investie dans le moment, & le dragon eft demandé avec menace d'un foulèvement général. Le Colonel, dans la vue d'appaifer ce tumulte, fait auffi-tôt conduire le dragon, chargé de fers, dans une prifon; mais pendant la nuit, il le fait partir pour une place éloignée. Quelques jours après, on produit un cadavre qu'on dit être celui du dragon. La multitude le croit & s'appaife, en rendant des actions de grace pour cette mort, qu'elle regarde comme un châtiment du Ciel: Labat; Voyage d'Espagne & d'Italie.

PRÉSÉANCE.

It eft rare qu'il s'élève en Turquie des conteft:

L

tions entre les différents corps de l'état. Si néanmoins il en furvient, le defpote la termine en un inftant, pour éviter la fermentation que cela pourroit occafionner parmi les efprits. Les gens de guerre & les gens de loi, s'étant difputé la préTéance dans un jour de cérémonie, le Grand-Seigneur, pour les mettre d'accord, déclara que la main gauche feroit déformais la plus honorable parmi

parmi les gens de guerre, & la main droite parmi les gens de loi; ainfi, quand ces deux corps marchent ensemble, chacun croit être dans la place d'honneur.

Il y eut, en 1610, une dispute au Parlement de Paris, pour la préféance entre les Pairs laïques & les Pairs eccléfiaftiques. Le Duc de Montbazon dit aux Evêques de Beauvais & de Noyon, qu'il leur céderoit, pourvu qu'à la première bataille, ils vouluffent être les premiers aux coups.

Ce qui concerne la préféance des Ambaffadeurs a été fouvent un objet de difputes très-vives entre les Souverains & les Ambaffadeurs mêmes. Ily a dans l'hiftoire d'Efpagne, ces deux traits finguliers d'une préféance obtenue par la force. Dom Diégo d'Anaya, Evêque de Cuerça, fe trouvoit au Concile de Conftance en qualité d'Ambaffadeur de Dom Juan II, Roi de Castille. L'Ambassadeur d'Angleterre lui difputa la préféance. L'Efpagnol, fans s'amufer à argumenter, le prit par le milieu du corps, le porta comme un enfant, dans un endroit de l'Eglife, où il y avoit ce jour-là un caveau ouvert, & le jetta dedans. Enfuite revenant à fa place, il dit à fon collègue, Dom Diégo Fernandez de Cordava : « Comme Prêtre, je viens de l'en» terrer; faites le refte comme homme d'épée, & » cavalier de naiffance que vous êtes »: Hift. de Salamanque, liv. 3

Dom Juan de Silva, premier Comte de Cifuentes, Ambaffadeur au Concile de Bafle pour le même Roi de Caftille, n'ayant pu perfuader un autre Ambaffadeur d'Angleterre, qui s'étoit emparé de la première place, la prit par force, & s'y maintint de même, malgré la plupart des Pères du Concile, qui murmuroient de la violence dont il avoit ufé contre l'Anglais, en pleine affemblée. Ces Pères vouloient même procéder à l'excommunication de l'Espagnol. Le Président du Concile lui ayant demandé pourquoi il avoit ofé mettre la main fur l'Ambaffadeur d'un fi grand Prince: « C'est » ré¬ Tome II. T

pondit-il que le bon droit qui fouffre, doit » appeller tout ce qu'il peut à fon fecours: Hift. d'Espagne.

Cette préféance a quelquefois donné lieu à des accidents affez plaifants. Avant que Fréderic I, Roi de Pruffe, eût mis la couronne dans fa maison, M. Beffer fut envoyé Miniftre de Brandebourg en France. Il arriva à la Cour de Louis XIV en mêmetemps qu'un nouvel Ambaffadeur de Gênes, avec lequel il eut une conteftation pour le rang. Ils convinrent que celui qui arriveroit le premier à Verfailles, fe préfenteroit le premier au Roi. Beffer paffa la nuit dans la galerie de Verfailles, & prévint ainfi l'Ambaffadeur Gênois; mais celui-ci ayant trouvé la porte de la chambre d'audience entre-ouverte, s'y gliffa dans le temps que Beffer s'entretenoit avec un courtifan. Beffer s'en apperçoit, vole comme un éclair dans la même chambre, tire hors de la porte, par le pan de l'habit, le Génois qui alloit commencer fa harangue fe met à fa place, & adreffe fon difcours au Roi, qui ne fit que fourire de cette efpèce de violence faite en la préfence: Inftitutions politiques par le Baron de Bielfed.

Le même auteur rapporte que le carroffe d'un Envoyé extraordinaire du Prince Abbé de Fulde, fe trouvant engagé dans un embarras à Vienne ; & le Miniftre résident du Roi de Pruffe, lui ayant barré le chemin, cet Envoyé de Fulde mit la tête à Ja portière,& cria au Miniftre Pruffien : Monfieur, ordonnez donc à votre cocher qu'il cède au mien. Monfieur, répondit celui-ci, je lui donnerois cens coups de bâton, s'il cédoit à votre maître.

PRÉSENCE D'ESPRIT,

La présence d'efprit, felon M. de Vauvenargue,

pourroit être définie une aptitude à profiter des

occafions pour parler ou pour rougir. C'eft un avantage qui a fouvent manqué aux hommes les plus éclairés. La présence d'efprit demande un efprit facile, un fang-froid modéré, l'ufage des affaires; &, felon les différentes occurrences, divers avantages; de la mémoire & de la fagacité dans la difpute; de la fécurité dans les périls; &, dans le. monde, cette liberté du cœur, qui nous rend attentifs à tout ce qui s'y paffe, & nous tient en état de profiter de tout.

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Le Calife Hégiage, l'horreur & l'effroi des peuples, par fes cruautés, parcouroit les vaftes campagnes de fon Empire, fans fuite & fans marque de diftinction: il rencontre un Arabe du défert, & lui parle en ces termes: Ami, je voudrois favoir de vous, quel homme eft cet Hégiage dont on parle tant? Hégiage, répond l'Arabe, n'eft point un homme; c'eft un tigre, c'est un monftre. Que lui reproche-t-on? Une foule de crimes: il s'eft abreuvé du fang de plus d'un million de ses fujets. Ne l'avez-vous jamais vu ? - Non. Eh bien! lève les yeux : c'eft à lui que tu parles. L'Arabe, fans témoigner la moindre furprise, le regarde d'un œil fixe, & lui dit fièrement: Mais, vous, favez-vous qui je fuis? - Non.Je fuis de la famille de Zobair, dont chacun des defcendants devient fou un jour de l'année; mon jour eft aujourd'hui. Hégiage fourit à une excufe fi ingénieufe, & lui pardonna: Apol. Orient.

Un Officier Gafcon, étant à l'armée, parloit affez haut à un de fes camarades. Comme il le quittoit, il lui dit d'un ton important: Je vais dîner chez Villars. Le Maréchal de Villars fe trouvant derrière cet Officier, lui dit avec bonté : A caufe de mon rang de Général, & non à caufe de mon mérite, dites Monfieur de Villars. Le Gaf con, qui ne croyoit pas être fi près de ce Général, lui repartit fans paroître étonné: Cadédis, on ne dit point Monfieur de Céfar, j'ai cru qu'on ne devoit pas dire Monfieur de Villars.

Les papiers publics de Vienne, de l'année 1766, font mention qu'on arrêta, il y a quelque temps, quatre foldats qui ayant été convaincus du crime de défertion, furent condamnés par le confeil de guerre, à tirer aux dés lequel d'entr'eux fubiroit la peine de mort. Les trois premiers fe conformèrent au jugement du confeil de guerre; mais le quatrième refufa conftamment de tirer: il allégua, pour motif de fon refus, la défenfe que l'Empereur avoit faite de jouer à aucun jeu de hazard. Sa Majefté Impériale ayant été informée de la préfence d'efprit de ce malheureux, dans un moment auffi critique, ordonna qu'on lui fit grace, ainfi qu'à fes trois camarades.

Deux payfans devoient tirer aufort pour la milice. Le Subdélégué de l'Intendant qui préfidoit au tirage, avoit été vivement follicité de fauver le plus jeune, & l'avoit promis. Comment faire ? II met deux billets noirs dans la boîte, & dit aux deux payfans: celui quitirera le billet noir, partira. Tire le premier, dit-il au payfan qu'il vouloit profcrire. Mais celui-ci fe doutant fans doute, du tour qu'on lui jouoit, tire fon billet, & l'avale furle-champ. Que fais-tu, malheureux, lui dit le Subdélégué? Monfieur, répondit le paysan; fi le billet que j'ai avalé, eft noir, celui qui refte, doit être blanc, dans ce cas, je partirai. Mais fi c'est le billet blanc que j'ai avalé, mon camarade partira. Vous pouvez facilement favoir la vérité. L'auteur de la fupercherie fut par ce moyen, pris pour dupe, & fut obligé de faire grace aux deux payfans, pour remplir fa promeffe.

Un fermier venoit de recevoir vingt mille livres en or: obligé de faire un petit voyage, il laiffe le foin de tout à fa femme. Le foir même, un Officier, furpris par le mauvais temps, demande l'hofpitalité dans cette maifon. La femme Y étoit feule avec une fervante; les valets de ferme logeoient plus loin. Le nouvel hôte eft reçu avec les foins les plus empreffés. Sur le minuit, on entend

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