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& auffi frivole que Rome elle-même l'étoit deve nue en comparaison de ce qu'elle avoit été autrefois. Un homme du peuple ayant déjà enterré vingt femmes, en époufa une qui avoit rendu le même office à vingt-deux maris. On attendoit avec impatience la fin de ce nouveau mariage, comme on attend l'iffue d'un combat entre deux athlètes célèbres. Enfin la femme mourut, & le mari, la couronne fur la tête, & une palme à la main, ainfi qu'un vainqueur, conduifit la pompe funèbre, au milieu des acclamations d'une populace innombrable: Hiftoire du bas Empire.

Cambife defirant époufer fa fœur, ce qui étoit défendu par les loix du Royaume, voulut avoir l'approbation des gens de loi, pour s'autorifer dans fa demande. Il leur demanda, d'un air févère, s'ils ne trouveroient pas une loi qui permît au frère d'époufer fa fœur ? Ces Jurifconfultes craignant fon indignation, répondirent que cette loi n'étoit point écrite; mais qu'ils en trouvoient une autre qui permettoit aux Rois, de faire ce qu'ils trouveroient bon. Par cette réponse adroite, ils détournèrent la colère du Roi, fans violer les loix du Royaume: Hérodote, liv. 3.

L'Empereur Alexandre-Sévère avoit parmi fes courtisans,un certain Verronius-Turinus, qui avoit fouvent Phonneur d'entretenir l'Empereur en particulier. On le regarda bientôt comme un homme qui avoit du crédit, & qui pouvoit obtenir des graces. Plufieurs perfonnes s'adrefsèrent à lui, & lui offrirent de l'argent, en cas qu'il voulût bien parler en leur faveur. Il prit l'argent, & ne fit rien de ce qu'il avoit promis. Lorsque l'affaire réuffiffoit par quelque autre voie, il ne manquoit pas de dire que c'étoit à lui qu'on en étoit redevable, & c'eft ce qu'il appelloit lui-même vendre de la fumée. Cette manœuvre fut fue de l'Empereur qui lui fit fon procès. On publia toutes les fommes qu'il avoit reçues de ceux qui avoient des affaires au Confeil de l'Empereur, & quelquefois

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même, des deux parties. Il fut enfuite ordonné qu'il feroit attaché à un poteau, & qu'autour de lui on allumeroit du foin & du bois verd, afin que la fumée l'étouffât: ce qui fut exécuté. Un héraut crioit pendant l'exécution: Le vendeur de fumée eft puni par la fumée.

Une fille alla fe plaindre à Charles, Duc de CaJabre, de ce qu'un gentilhomme l'avoit abufée. Le Duc condamna le gentilhomme à donner à cette fille cent florins d'or. Mais lorfqu'elle fut partie, il lui dit de la fuivre, & de reprendre la fomme dont elle étoit chargée. La chofe n'étoit pas aisée; on fut lui faire résistance, & la fille revint fe plaindre de ces violences au Duc, qui lui dit : « Si

vous euffiez eu autant de foin pour conferver » votre honneur, que pour défendre votre argent, » vous ne l'euffiez pas perdu. Allez, ma mie, n'y » retournez plus. »

La veuve d'un Grand d'Espagne voulut époufer un de fes gentilshommes, qui étoit très-bien fait, & d'une figure fort agréable. Le jeune-homme, par une délicateffe affez rare, lui repréfenta longTemps & vivement, qu'une alliance fi difpropèrtionnée la couvriroit d'un éternel opprobre. Certe femme, pour toute réponse, fit couper les narines de deux chevaux de carroffe très-beaux & très-connus, dont elle continua à fe fervir pour fes vifites & fes promenades. Une bizarrerie fi nouvelle devint d'abord la matière de tous les entretiens; on en parla moins peu de temps après, & enfin on n'en dit plus rien du tout. Voilà ce qui nous arrivera, dit la Dame à fon gentilhomme en lui faifant obferver ce qui venoit de fe paffer. Ce raisonnement finit la difficulté : Mém. Hift.

Louis Guyon, dans fes diverfes leçons, rapporte qu'un certain Moine jouant à la paume avec François I, contre plufieurs Seigneurs, fit adroitement un coup de raquette qui décida de la partie en faveur du Roi. Le Prince furpris, dit auffi-tôt : Voilà un bon coup de Moine, Sire, repartit finement le

Moine, ce fera un coup d'Abbé quand il vous plaira. Une Abbaye étant venue à vaquer trois mois après, le Moine, dit l'hiftoire, l'obtint principalement pour avoir fi bien rencontré. Rabelais raconte un mot tout femblable de l'Abbé de Caftiller: Liv. 5, chap. 17.

Philippe-le-Bon, Duc de Bourgogne, fe promenant un foir à Bruges, trouva dans la place publique un homme étendu par terre, où il dormoit profondément. Il le fit enlever, & porter dans fon palais, où, après qu'on l'eût dépouillé de fes haillons, on lui mit une chemife fine, un bonnet de nuit; on le coucha dans un lit du Prince. Cet ivrogne fut bien furpris, à fon réveil, de fe voir dans une fuperbe alcove, environné d'Officiers plus richement habillés les uns que les autres. On lui demanda quel habit fon Alteffe vouloit mettre ce jour-là. Cette demande acheva de le confondre; mais après mille pro:eftations qu'il leur fit,qu'il n'étoit qu'un pauvre Savetier, & nullement Prince, il prit le parti de fe laiffer rendre tous les honneurs dont on l'accabloit; il fe laiffa habiller: parut en public,ouit la Meffe dans la Chapelle Ducale; y baifa le Miffel, enfin, on lui fit faire toutes les cérémonies accoutumées : il paffa à une table somptueufe, puis au jeu, à la promenade, & aux autres divertiffements. Après le fouper, on lui donna le bal. Le bonhomme ne s'étant jamais trouvé à telle fête, prit librement le vin qu'on lui préfenta, & fi largement, qu'il s'enivra de la bonne manière. Ce fut alors que la comédie fe déncua. Pendant qu'il cuvoit fon vin, le Duc le fit revêtir de fes guenilles, & le fit reporter au même lieu d'où on l'avoit enlevé. Après avoir paffé là toute la nuit, bien endormi, il s'éveilla, & s'en retourna chez lui raconter à fa femme tout ce qui lui étoit effectivement arrivé, comme étant un fonge qu'il avoit fait. Cette hiftoriette a fourni le fujet d'une Comédie Italienne: Arlequin toujours Arlequin.

Le Marquis del Gouaft, Général des Impériaux en 1544, venoit de perdre une bataille contre le Duc d'Enghien, qui commandoit les Français. Comme, avant l'attaque, ce Marquis s'étoit flatté de la victoire, qu'il s'étoit même vanté vis-à-vis quelques Dames, de leur mener liés Enghien & les jeunes volontaires de l'armée Françaife, on fe croyoit en droit de rire à fes dépens. « J'ai ouï » dit Brantome à ce fujet « faire un bon conte à une » Dame de la Cour, que pour la part du butin de » la bataille, & des coffres & hardes de M. le » Marquis del Gouaft, qui étoit curieux en tout, » il fut envoyé au Roi, par M. d'Enghien, une "montre fort belle, riche & bien laborée. Le » Roi accepta le préfent de très-bon cœur. Et ainsi » qu'il la tenoit entre fes mains, & l'admiroit » devant les Dames de la Cour, il y eut Madame » de Nemours, fœur du Prince victorieux, belle » Dame, honnête & très-bien difante, & qui » rencontroit des mieux, qui dit au Roi»: Penfez, Sire, que cette montre n'étoit pas bien montée, lorfqu'elle fut prife; car fi elle eût été auffibien montée que M. le Marquis fon maître, vous ne l'euffiez pas eue, & fe füt fauvée auffibien que lui. Le Roi trouva le conte très-bon, & toute la compagnie : Bran

tome.

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Alphonfe, Roi d'Aragon, étoit venu voir les bijoux d'un Jouaillier, avec plufieurs de fes courtifans. Il fut à peine forti de la boutique, que le Marchand courut après lui, pour se plaindre du vol qu'on lui avoit fait d'un diamant de grand prix. Le Roi rentra chez le Marchand, & fit apporter un grand vafe plein de fon. Il ordonna que chacun de fes courtisans y mit la main fermée, & l'en retirât toute ouverte : il commença le premier. Après que tout le monde y eut paffé, il ordonna au Jouaillier de vuider le vafe fur la table; par ce moyen, le diamant fut trouvé, & perfonne ne fut déshonoré.

Jafon Magnus, & Barthèlemi Socin, célèbres

Jurifconfultes de Pife, dans le quinzième fiècle, difputoient fouvent l'un contre l'autre fur des matières de Droit. Un jour que Laurent de Médicis étoit préfent à leurs difputes, Jafon fe fentant pouffé à bout par fon adverfaire, s'avifa de forger fur-le-champ une loi qui lui donnoit gain de caufe. Celui-ci s'apperçut de la fupercherie ; & comme il n'étoit pas moins rufé, il renverfa auffi-tôt cette loi, par une autre auffi formelle. Jason, qui n'avoit jamais entendu parler de cette lo, fomma Socin d'en citer l'endroit. Elle fe trouve, répondit Socin, fans hésiter, à côté de celle que vous venez de rapporter. Laurent de Médicis applaudit à la repartie, & tout le monde fut content de cette espèce de joûte.

Louis XI, n'étant que Dauphin, alloit quelquefois manger du fruit chez un Payfan. Lorfque ce Prince fut monté fur le trône, le Payfan lui apporta une rave de fon jardin, qui étoit extraordinaire par fa groffeur. Le Roi fut gré au Payfan de fon préfent, & lui fit donner une fomme de mille écus. Le Seigneur du village, inftruit de cette libéralité, fe flatta que s'il donnoit un beau cheval au Roi, fa fortune feroit faite. Il va en conféquence à la Cour, le Roi fait l'éloge du cheval, & ajouta: Qu'on m'apporte ma rave. Tenez, dit-il, voici une rave des plus rares dans fon espèce, auffibien que le cheval; je vous la donne, & grand merci.

Un gentilhomme follicitoit affidument une grace auprès de ce même Roi. Ce Prince, las de le voir, lui dit un jour, qu'il fe donnoit des mouvements inutiles. Le gentilhomme auffi-tôt remercia le Roi avec un air auffi ouvert & auffi gai que s'il avoit obtenu fa demande. Le Roi crut qu'il n'avoit pas bien entendu, ou qu'il interprétoit mal fa réponse. Il le fit rappeller, & lui répéta très-pofitivement qu'il n'y avoit rien à faire pour lui. Sire, reprit le gentilhomme, j'avois d'abord bien compris la réponse de Votre Majefté. Pourquoi donc, répliqua le Roi, m'avez-vous remercié avec

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