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rent de l'empoifonner. Il découvrit leurs complots, & leur dit : Qu'efpériez-vous de ma mort? fi l'aigle n'exiftoit pas, feroit-ce le hibou qui régneroit fur les oifeaux? Le Roi inftruit de leur crime, les condamna à mourir, & dit à leur frère: qui demandoit leur grace: « Dix pauvres dorment »fur le même fumier, & deux Rois ne peuvent » être affis fur le même trône»: Extrait de Sadi.

Le feul éloge digne d'un Roi, eft celui qui fort de la bouche d'un homme libre. «Malheur aux » Souverains qui commandent à des peuples ef» claves » difoit un Roi d'Orient « que la paffion de » la gloire enflammoit. Hélas! les douceurs d'une » jufte louange, dont les Dieux & les héros font " fi avides, ne font pas faites pour eux. O peuples >> affez vils pour avoir perdu le droit de blâmer » publiquement vos maîtres, vous avez perdu le » droit de les louer! L'éloge de l'efclave eft fufpect; l'infortuné qui le régit, ignore toujours s'il eft digne d'eftime ou de mépris. Eh! quel tourment » pour une ame noble, que de vivre livrée au fup»plice de cette incertitude!»

Orang-zeb, qui eft mort Empereur des Mogols, en 1707, fortoit d'une longue maladie, & travailloit plus que fa foibleffe ne pouvoit lui permettre. Un Miniftre lui représenta combien cet excès de travail lui étoit dangereux, & quelles fuites il pouvoit avoir. Orang-zeb lui lança un regard méprifant & indigné; & fe tournant vers les autres courtifans, il leur dit ces mots, où refpire toute la hauteur de fon ame: « N'avouez-vous pas qu'il y >> a des circonftances où un Roi doit hazarder sa vie, » & périr les armes à la main, s'il le faut, pour la », défense de la patrie? & ce vil flatteur ne veut pas » que je confacre mes veilles au bonheur de mes >> fujets! Croit-il donc que j'ignore que la Divinité » ne m'a conduit fur le trône, que pour la félicité de tant de millions d'hommes qu'elle m'a fou>>> mis? Non, non, Orang-zeb n'oubliera jamais » le vers de Sadi: Rois, ceffez d'être Rois, ou ré

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»gnez pour vous-mêmes. Hélas! la grandeur & la » postérité ne nous tendent déjà que trop de pié"ges, malheureux que nous fommes ! tout nous » entraîne à la molleffe, les femmes par leur ca» reffes, les plaisirs par leurs attraits. Faudra-t-il » que des Miniftres élèvent encore leur voix perfi» de pour combattre la vertu toujours foible & » chancelante des Rois, & les perdre par de funef» tes confeils » ? Révolutions des Indes.

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Un jeune Roi de Perfe s'abandonnoit à la diffipation & à tous les plaifirs que lui préparoient fes courtisans. Un jour il chantoit dans un feftin ces paroles; « Je jouiffois du moment qui s'eft paffé, je "jouis encore du moment qui paffe, & je com» mence à jouir de celui qui fuccède; content & » tranquille, l'efpérance d'aucun bien, la crainte » d'aucun mal ne me donnent d'inquiétude ». Un pauvre affis fous la fenêtre de la falle du feftin, entendit le Roi, & lui cria: Si tu es fans inquiétude pour ton fort, n'en as-tu jamais pour le nôtre? Le Roi fut touché de ce difcours, il s'approcha de la fenêtre, regarda quelque temps le pauvre avec attention, & fans lui parler, lui fit donner une fomme confidérable. Il fortit enfuite de la falle du feftin en faisant des réflexions fur fa vie paffée: elle avoit été oppofée à tous fes devoirs; il en eut honte : il prit en main les rènes du gouvernement, qu'il avoit jufqu'alors abandonnés à fes favoris. On le vit travailler affidument, & en peu de temps il rétablit l'ordre & le bonheur dans l'Empire. Depuis qu'il étoit occupé de l'adminis tration de fes Etats, on lui faifoit fouvent des plaintes de la licence & du défordre dans lesquels vivoit le pauvre qu'il avoit enrichi. Enfin, il le vit un jour à la porte du Palais il étoit couvert de Jambeaux, & il revenoit demander l'aumône. Le Roi le montrant à un fage de fa cour, lui dit : Vois-tu les effets de la bonté ? Tu m'as vu combler cet homme, de richeffes; vois-tu quel en eft le fruit? Mes bienfaits ont corrompu ce pauvre; ils Tome 11. Y

ont été pour lui une fource de nouveaux vices & d'une nouvelle misère. Cela eft vrai, lui répondit le Sage, parce que tu as donné à la pauvreté, ce que tu ne devois donner qu'au travail: Extrait du premier chap. de Sadi, intitulé: Des mœurs des Rois.

Nourshivan, furnommé le Jufte, & qui étoit monté fur le trône de Perfe, étant à la chaffe, voulut manger du gibier qu'il avoit tué; mais il n'avoit pas de fel, il en envoya chercher au village le plus voifin, en défendant, fous les peines les plus terribles, de le prendre fans le payer. Quel mal arriveroit-il, dit un des courtifans, fi l'on ne payoit pas un peu de fel? Si un Roi répondit Nourshivan, cueille une pomme dans le jardin de fes fujets, le lendemain les courtisans couperont T'arbre: Journal étranger.

Un Roi d'Arabie fit récompenfer un de fes Officiers avec magnificence, non pas que cet Officier eût de grands talents, non qu'il eût rendu de grands fervices; mais il rempliffoit fes devoirs avec exactitude. L'exactitude dans les Officiers du Prince, ajoute le fage Sadi, eft la marque la plus certaine d'un empire bien gouverné.

Un Calife, qui faifoit jetter de l'or dans une citerne, s'écrioit: Faffe le Ciel que je vive affez pour la remplir! A ces mots, fon favori frémit d'indignation, & veut s'éloigner. Le Calife l'arrête; où vas-tu, lui dit-il ? Pardonnez-moi, Seigneur, répond le favori; je me fuis reffouvenu d'avoir accompagné votre aïeul en ce même lieu; la citerne étoit pleine; en la voyant, il foupira, des larmes coulèrent de fes yeux, & il dit : O Dieu de Mahomet, faites-moi vivre affez, pour employer ces richeffes à rendre mes fujets heureux !

Un Roi mourut fans laiffer d'héritiers, & par fon teftament, il donna fa couronne à celui qui, après fa mort, entreroit le premier dans la ville. Un pauvre Santon, forte de religieux Turc, parut aux portes forfque le Roi venoit d'expirer, &

à

il fut couronné. Il eut à foutenir des guerres inteftines & étrangères, à ranimer le commerce, diminuer les impôts, à faire fleurir les arts, & à pourvoir à la fubfiftance de fon peuple; il étoit rempli de foins & dévoré d'inquiétudes. Un de fes compagnons vint le voir, & lui dit : Graces foient rendues au Dieu tout-puiffant, qui vous a élevé à un fi haut point de gloire & de puiffance! Ah! mon ami, lui dit le Roi, au lieu de rendre grace à Dieu de mon élévation, demandelui pour moi le courage & la patience; plainsmoi au lieu de me féliciter ; dans mon ancienne condition, je ne fouffrois que de mes befoins, & je fouffre aujourd'hui du besoin de chacun de mes fujets: Sadi.

Un Roi de Perfe avoit étendu la main de l'iniquité fur les biens de fes fujets; il leur marquoit du mépris, & il les tenoit dans un cruel esclavage. Impatient d'un joug fi humiliant & fi rude, la plupart abandonnèrent leur patrie, & cherchèrent un afyle chez l'étranger. Les revenus du Prince diminuèrent avec le nombre de fes fujets : il fe trouva bientôt fans défenfeurs; fes voifins en profitèrent, ⚫ & il fut détrôné. Un Roi doit nourrir son peuple, de fa propre fubftance, parce qu'il tient fon royaume de fon peuple. Tout citoyen eft foldat fous un Roi jufte Sadi.

Je m'affis un jour, dit le même fage, à la porte d'une mosquée de Damas, & auprès du tombeau du Prophète Jean: que la paix foit avec lui! Un Roi d'Arabie, fameux par fes cruautés & par fes injuftices, vint faire fa prière au tombeau du Prophète. Ainfi, tout ce qui eft homme, dans quelque rang qu'il foit placé, quelle que foit fa fortune, a toujours des graces à demander à Dieu. Ce Roi me regarda & me dit : Prie pour moi, & puiffent tes prières me faire obtenir le fecours dont j'ai be foin! la crainte d'un ennemi puiffant agite mon ame. Je lui répondis, fais grace au foible, foulage le pauvre, rends la justice à tous, & tu ne crain

drás point d'ennemis. Vois-tu venir le jour de fa juftice divine? Le vois-tu? O fils d'Adam : la nature vous crie que vous êtes tous les membres d'un même corps.

Un jeune Roi, à fon avénement au trône, avoit trouvé des tréfors immenfes dans les coffres de fon père; la main de la magnificence s'ouvrit, & les richeffes du Prince fe répandirent fur fon peuple. Un courtifan en fit des reproches au Prince. Si l'ennemi venoit fur vos frontières, quels moyens auriez-vous de lui résister, après avoir distribué votre argent à vos fujets? Alors, répondit le Roi, je le redemanderai à mes amis.

O Rois! craignez les plaintes des malheureux; elles pénètrent les Cieux, elles changent la face des Empires; il ne faut qu'un soupir de l'innocence opprimée pour remuer le monde: Sadi.

RUSES DE GUERRE.

FRONTIN, Capitaine Romain, qui vivoit sous

Vefpafien, nous à laiffé quatre livres de firatagémes de guerre des anciens. Nous nous contenterons de rapporter quelques anecdotes relatives à cet objet, tirées de nos hiftoires modernes.

Durant la ligue de Cambrai, les Impériaux s'étant emparés en 1510, de Vérone, les habitants appellèrent les Vénitiens, leurs anciens maîtres pour chaffer les nouveaux dont ils étoient méconstents. Les mesures furent mal prifes: on découvrit la confpiration & on la diffipa. Quelques jours après, la garnifon s'avifa d'un ftratagême, pour connoître ceux d'entre les habitants qui étoient le plus dévoués à la république, afin de les punit comme coupables du complot dont on ne pouvoit pas découvrir les auteurs. Une troupe de la garnifon courut en tumulte par la ville, fur le milieu de

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