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fentinelle. Ce foldat étoit de la compagnie de M. de Goas, qui, l'ayant fu, le fit relever & arrêter prifonnier, & s'en alla au logis de M. de Marillac, dans le deffein de lui faire mettre l'épée à la main. Le Roi le fut, & envoya chercher M. de Goas & M. de Marillac, auquel il fit une grande réprimande, lui difant que la fentinelle auroit dû l'avoir tué. Il l'interdit des fonctions de fa charge de Maréchal-de-Camp, pendant fix jours, & lui défendit de commander dans l'attaque que feroient les Gardes. Le foldat qui avoit été arrêté prifonnier,fut cité au confeil de guerre, & condamné à être dégradé des armes,à la tête du Régiment & à l'eftrapade, pour n'avoir pas tué M. de Marillac. Sa Majefté lui fit grace de tout. Néanmoins, M. de Goas ne voulut plus qu'il fervît dans fa compagnie.

SIGNE S.

SUIVANT la maxime d'Horace, ce qui est expose à nos yeux,nous touche bien autrement que ce que nous entendons. La langue des fignes, qui parlent à l'imagination, eft donc le plus énergique des langages. Quel circuit de mots la froide raifon emploieroit pour exprimer ce que Tarquin-le-fuperbe peignit par un feul gefte! Son fils Sextus, retiré chez les Gabiens, où il avoit acquis beaucoup d'autorité, avoit envoyé demander à fon père les moyens de la conferver. Le député trouve Tarquin qui fe promène dans un jardin; & ce Prince, pour toute réponse, se met à abattre les têtes des pavots qui s'élevoient au-deffus des autres.

Alexandre, au milieu de fes conquêtes, lifoit des lettres fecrètes. Ephestion, un de ses Généraux, s'approcha & lut avec lui. Le Roi ne l'empêcha point; & prenant feulement fon anneau, il pofa le cachet fur la bouche de fon favori,

Tome II,

A a

Le fophifte Zénon, le pius hardi de tous les hommes à foutenir des paradoxes, nioit un jour devant Diogène, l'exiftence du mouvement. Celuici fe mit auffi-tôt à faire deux ou trois tours dans l'auditoire.

Périclès conduifoit la flotte des Athéniens; il arriva une éclipfe de foleil, qui caufa une épouvante générale; le Pilote même trembloit. L'Amiral Athénien, au-lieu de s'amufer à le diffuader par de longs raifonnements, prend le bout de fon manteau, & lui en couvrant les yeux, il lui dit: Crois-tu que ce foit là un figne de malheur? Non fans doute, dit le Pilote: cependant, c'eft auffi une éclipfe pour toi, & elle ne diffère de celle que tu as vue, qu'en ce que, la lune étant plus grande que ton manteau, elle cache le foleil à un plus grand nombre de perfonnes.

Du temps de la République Romaine, un esclave affranchi, qui cultivoit avec foin un petit champ que fon maître lui avoit laiffe, recueilloit une plus grande quantité de fruits que fes voisins, dont les champs étoient beaucoup plus vaftes. L'envie murmura. On l'accufa d'ufer de fortilèges. Cité devant l'affemblée du peuple, il se présenta accompagné de fa fille; c'étoit une groffe paysanne, bien nourrie & bien vêtue. Il conduifoit avec lui fes bœufs forts & robuftes, une charrue bien entretenue, & tous fes inftruments de labour en bon état. Alors fe tournant vers fes Juges: Romains leur dit-il, voilà mes fortilèges, il en manque cependant quelques-uns ce font mes fatigues, mes veilles & mes fueurs que je n'ai pu apporter fur cette place. Il fut abfous d'une commune voix, & fut vengé de fes envieux par les éloges qu'il reçut.

Un Roi des Scythes apprend que Darius entre dans la Scythie avec une armée considérable; il lui envoie un oifeau, une grenouille, une fouris & cinq flèches. L'Ambaffadeur remet fon préfent & s'en retourne fans rien dire. Cette terrible harangue eft entendue de Darius, qui n'a rien de

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plus preffé que de regagner fon pays.

Pompée, étant envoyé en Afie,en qualité d'Ambaffadeur, fut pris par le Roi des Esclavons, qui voulut favoir de lui le fecret du Sénat : Pompée, fans autre réponse, mit fon doigt fur une lampe ardente; & par cette action courageufe, donna à connoître à ce Roi, que les fupplices dont il étoit menacé, étoient trop foibles pour l'obliger de découvrir les fecrets de la République: Valère Maxime.

Les Portugais s'étant emparé, en 1507, d'Ormus, ville fituée dans une île, à l'entrée du golfe Perfique, le Sophi leur envoie demander le tribut que le Roi d'Ormus lui paie tous les ans. Albuquerque, le chef des conquérants, fe fait auffitôt apporter un grand baffin plein de boulets & de grenades, de fers, de lances & de piques d'épées & de fabres: Allez, dit-il fièrement au Miniftre du Sophi, portez ce préfent au Roi votre maître; dites lui que c'eft le tribut que paie le Roi de Portugal à ceux qui le lui demandent: Conquêtes des Portugais dans le nouveau Monde.

Durant la guerre entre la Hollande & l'Espagne, en 1625, Sigifmond, Roi de Pologne, envoie aux Etats-Généraux un Ambaffadeur, pour les engager à fe réconcilier avec les Espagnols. Ce Miniftre, pour réuffir dans fa commiffion, infifte plus qu'il ne convenoit fur l'impoffibilité où étoient les Provinces-Unies, de réfifter à une Puiflance auffi formidable, auffi guerrière, auffi entreprenante qu'étoit l'Espagne. Le Stathouder, qui avoit entendu la harangue, conduifit, en fortant de l'affemblée, l'Ambaffadeur dans une falle où il montra des drapeaux fans nombre, pris par les troupes de la République: Du Maurier.

La manière dont une femme annonça la mort à fon époux, incertain de fon fort, est encore une de ces représentations dont l'énergie du langage vrai n'approche pas. Elle fe transporta, avec fon fils entre fes bras, dans un endroit de la campagne, d'où fon mari pouvoit l'appercevoir de la tour où

il étoit enfermé; & après s'être fixé le vifage pendant quelque temps, du côté de la tour, elle prit une poignée de terre qu'elle répandit en croix fur le corps de fon fils, qu'elle avoit étendu à fes pieds. Son mari comprit le figne, & fe laiffa mourir de faim. On oublie la penfée la plus fublime; mais ces traits ne s'effacent point.

SILENCE.

LE filence eft regardé, avec raifon, comme le

parti le plus fûr pour celui qui a fujet de se défier de foi-même. Les Romains ayant pré les Athéniens, de vouloir bien leur communiquer les loix que Solon leur avoit prefcrites autrefois, le grand Confeil d'Athènes s'affembla à ce fujet. Il fut réfoJu d'envoyer à Rome, un des Sages de la Grèce, por favoir files Romains étoient dignes, par leur fageffe, d'avoir ces loix; avec ordre, s'ils ne l'étoient pas, de rapporter les loix fans les communiquer. Cette réfolution ne put être fi fecrète, que le Sénat Romain n'en fût averti. Il fe trouva fort embarra fé, parce que c'étoit dans un temps où Rome étoit dépourvue de Philofophes affez hibiles & affez favants pour tenir tête à un Sage de Grèce. La queftion fut donc de trouver quelqu'expédient pour fe tirer de cet embarras. Le Sénat n'en trouva pas de meilleur, que d'oppofer un fou au Philofophe Grec, afin que, fi le hazard vouloit que le fou prévalût, la gloire de Rome en fûr d'autant plus grande, qu'un fou de Rome auroit confondu un Sage de la Grèce; & fi ce dernier triomphoit, qu'Athènes ne pût tirer aucun avantage d'avoir fermé la bouche à un fou de Rome. L'Ambaffadeur d'Athènes, étant arrivé à Rome, on le conduifit au Capitole, où l'on avoit placé, dans un appartement richement meublé, un fou dans un fauteuil, habillé en Sénateur, & auquel

on avoit expreffément défendu de parler. L'Athénien avoit été prévenu que ce Sénateur étoit trèsfavant, mais qu'il parloit fort peu; de forte que cet Athénien, en entrant, fans lui dire autre chofe, hauffa un de fes doigts. Le fou, croyant que c'étoit une menace de lui crever un œil, & fe fouvenant qu'il lui avoit été défendu de parler, hauffa trois des fiens, voulant fignifier par-là, que fi le Grec vouloit lui crever un œil, lui à fon tour lui en crèveroit deux, & du troisième doigt l'étrangleroit. Le Philofophe qui, en élevant fon doigt, avoit voulu donner à entendre qu'il n'y a qu'un premier Être qui gouverne tout, crut que les trois doigts que le fou avoit hauffés, étoient pour marquer qu'en Dieu, le paffé, le préfent & l'avenir font la même chofe, & jugea par-là, que cet homme étoit fort favant. Il ouvrit enfuite la main, & la montrant à ce fou, il voulut exprimer que rien n'est caché à Dieu; mais le fou, prenant ce figne pour la menace d'un foufflet qu'on vouloit lui appliquer, préfenta au Philofophe, fa main fermée, voulant lui donner à entendre, que pour un foufflet, il lui donneroit un coup de poing. Le Grec, au contraire, déjà prévenu en faveur du fou, fe figura qu'il vouloit dire, par ce gefte, que Dieu tient l'Univers dans fa main, & jugeant par-là, de Ja profonde fageffe des Romains, il leur accorda les loix de Solon: Accurfe.

On peut encore citer ici, en faveur du filence, cette anecdote rapportée dans la vie de Molière. Cet illuftre comique alloit à Auteuil avec Chapelle, & ils s'étoient placés dans un batelet. Comme ces deux amis avoient cultivé la Philofophie, ils difcouroient fouvent fur les opinions de Gaffendi & de Defcartes. Ce jour-là, ils agitoient une queftion fur laquelle ils n'étoient point d'accord; ils prirent pour juge de leur différend, un Minime qui étoit leur compagnon de voyage. Je m'en rapporte au bon Pere, dit Molière, fi le fyftême de Descartes n'est pas une fois mieux ima

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