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plus hazardeufes, avec un courage & un bonheur incroyables. A fon retour, Boutteville, après -l'avoir beaucoup loué, lui fit compter les cent piftoles qu'il lui avoit promifes. Le Soldat, fur-lechamp, les diftribua à fes camarades, difant qu'il ne fervoit point pour de l'argent; & demanda feulement, que fi l'action qu'il venoit de faire, méritoit quelque récompenfe, on le fit Officier, Adreffant enfuite la parole au Comte, il lui demanda s'il le . reconnoiffoit. Sur la réponse de Boutteville, qui ne fe rappelloit pas de l'avoir jamais vu : Eh bien! lui dit-il, c'est moi qui fuis le Soldat que vous maltraitátes fi fortily a quinze jours, je vous avois bien dit que je vous en ferois repentir. Le Comte de Boutteville, plein d'admiration, & attendri jufqu'aux larmes, l'embraffa, lui fit des excufes, & le nomma Officier le même jour. Il se l'attacha bientôt après, en qualité d'un de fes Aides-de-camp. Le grand Condé, jufte eftimateur des belles actions prenoit un plaifir fingulier à raconter ce trait de bravoure & de générosité.

Le même Prince, ayant demandé à un Lieutenant-Général, quelqu'un qui pût lui rendre un compte exact de la fituation des ennemis, celui-ci amena un foldat de fort mauvaise mine. Le Prince le rebuta, & en demanda un autre. Le LieutenantGénéral en fit venir fucceffivement deux de fort bonne mine, qui furent acceptés, & s'acquittèrent fort mat de leur commiffion. On eut recours au premier, qui rendit un compte fi exact, que le Prince fatisfait, s'engagea de lui accorder la première grace qu'il defireroit. Le Soldat lui demanda auffi-tôt fon congé. Le Prince étonné, lui offic de le faire Capitaine. Monfeigneur, lui réponditle Soldat, vous m'avez méprifé, je ne fers plus le Roi. Le grand Condé, efclave de fa parole, fatisfit à la · demande du Soldat, en témoignant à tout le monde, le chagrin qu'il en avoit.

Une récompenfe trop difproportionné au mérite, eft une injustice. Un-Soldat plein debravoure

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avoit eu les deux bras emportés dans un combat : fon Colonel lui offrit un écu. Vous croyez fans doute, mon Colonel, lui repartit vivement le Soldat, que je n'ai perdu qu'une paire de gints?

Il y a un trait rapporté dans les Mémoires de Puifégur, qui peut fervir à faire connoître le caractère du Soldat. En 1630, le Cardinal de Richelieu, avide de toutes les espèces de gloire, s'étoit mis à la tête d'une armée Françaife qui marchoit en Italie: il paffe la Douaire la nuit du 17 au 18 Mars, & marche jufqu'à Rivoli par un temps affreux. Le nouveau Général n'entend que des imprécations contre lui, & il s'en plaint amèrement à Puifégur. « Quand les » Soldats fouffrent » lui dit cet Officier «ils ne man»quent jamais de donner au diable, tous ceux qu'ils » croient en être la caufe; mais auffi quand ils font "à leur aife, ils difent toujours du bien du Com» mandant, & s'enivrent fouvent en buvant à sa » fanté. Il faudroit pourtant, reprend Richelieu, » leur défendre de dire tant de fottifes ». Cependant l'armée avançoit toujours : lorfqu'elle fut logée dans le bourg de Rivoli, Richelieu, qui entendit de tous côtés chanter fes louanges, fit fupprimer l'avis qu'il avoit voulu qu'on donnât aux troupes.

Le Maréchal de Grammont avouoit qu'il avoit remarqué que la bravoure, dans la plupart des Soldats, n'étoit fouvent qu'une brutalité aveugle. Il racontoit à ce fujet, que trois Soldats ayant commis des actions pendables, il falloit du moins en punir un pour l'exemple. Au lieu de décider leur fort par des billets, on les fit jouer aux dés. Le premier amène quatorze, le fecond dix-fept, & le dernier qn'on regardoit déjà comme la victime, prenant les dés d'une main auffi affurée, que s'il n'eût eu rien à craindre, fit rafle de fix; Parbleu, dit-il, fi je jouois à l'argent, je ne ferois pas fi heureux : Lettres de Bourfault.

Un Grenadier de l'armée du Maréchal de Saxe ayant été pris en maraude, fut condamné à être

pendu. Ce qu'il avoit volé pouvoit valoir environ fix livres. Le Maréchal le voyant conduire au fupplice, lui dit : « Il faut que tu fois bien miférable » de rifquer à perdre la vie pour fix francs. Par» bleu, mon Général, répondit le Grenadier, je » la rifque bien tous les jours pour cinq fous " Cette repartie lui valut fa grace.

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SOMNA MBULE S.

UELQUES degrés de vivacité de plus transfor ment un fonge ordinaire en une scène pleine d'ac tion & de mouvement. Nous allons rapporter quelques-unes de ces fcènes, d'après les auteurs les plus graves. Il est fait mention dans les Recueils de Breslau, d'une fille de dix-fept ans, qui, dans le fommeil, faifoit toutes fortes de geftes extraordinaires, pleuroit, rioit & exprimoit diverses paffions, dans le goût des pantomimes. Ensuite elle tenoit des difcours fuivis, fur des fujets de morale ou de Religion. Quand on lui adreffoit la parole, elle parloit fenfément, s'entretenant avec fes fœurs, ou avec d'autres perfonnes, des demi-heures enzières, fur la conduite que doit tenir une perfonne de fon fexe, &c. Elle chantoit auffi à haute voix, des cantiques; fi l'on jouoit en même-temps d'un inftrument, elle l'accompagnoit très-bien. Quelquefois elle fe mettoit à jouer du claveffin avant que de s'endormir, s'endormoit, & continuoit. touchant cependant quelquefois à faux. Elle récitoit & jouoit même en dormant, des morceaux de comédies qu'elle avoit appris dans fa jeuneffe; elle deffinoit, brodoit, coufoit, écrivoit. Elle prenoit des ferviettes, les plioit comme des lettres, demandoit de la lumière pour cacheter; fi on la queftionnoit, elle répondoit qu'elle écrivoit à telle ou telle de fes amies, énonçoit distinctement le contenu de fa lettre qui étoit fort bien tournée,

achevoit de plier & de cacheter fa lettre, à ce qu'elle croyoit, y mettoit l'adreffe en Français, & la donnoit pour être portée à la pofte. Quand elle s'imaginoit, la nuit, qu'il venoit des vifites, elle fe paroit, faifoit, comme fi elle les recevoit, fouhaitoit le bon jour, remercioit fort poliment de l'honneur qu'elle croyoit recevoir, faifoit quelque temps la converfation fur un ton raisonnable, & la finiffoit par les expreffions ordinaires aux perfonnes qui fe féparent.

L'écolier dont parle Clauderus, fe levoit dans le fommeil, faifoit fes devoirs, fe remettoit au lit, & trouvoit le lendemain, cette befogne faite, fans fe souvenir de rien.

Henri de Heer avoit connu un homme qui étoit fomnambule dès fa jeuneffe. Quand il n'avoit pu venir à bout, pendant la journée, de quelques vers auxquels il travailloit, il fe levoit dans le fommeil, ouvroit fon bureau, fe mettoit à écrire, & lifoit à haute voix ce qu'il avoit écrit: ensuite il fe mettoit à rire de joie d'avoir fi bien réuffi, & il vouloit que quelqu'un, qui couchoit en la même chambre, rit avec lui. Après cela, il enfermoit fes papiers, se Lemettoit au lit, continuoit à dormir, & le lendemain ne favoit rien de tout ce qui s'étoit paffé. Il étoit fort furpris de trouver les vers achevés de fa propre main; & l'ami, qui avoit été témoin de ce manége, avoit beaucoup de peine à lui perfuader ce qu'il avoit vu. Le même homme se maria, & continua à être fomnambule. Etant endormi, il emportoit quelquefois fon enfant hors du berceau, & le promenoit par toute la maison. Lorsqu'il étoit dans cet état, fa femme pouvoit tirer de lui tous fes fecrets. Il avoit les yeux ouverts, mais il proteftoit, après fon réveil, que les objets n'avoient fait aucune impreffion fur lui. Etant devenu vieux, il ceffa d'être fomnambule.

Hildan parle d'une paysanne du territoire de Basle, qui faifoit tout fon ménage en dormant, & alloit même quelquefois trouver les bergers aux champs.

J'ai entendu parler, dit le Père de St Romuald, Feuillant, d'une fille qui s'alloit baigner toutes les nuits, dans la Seine, en rêvant; ce qu'elle continua jufqu'à ce que fon père en étant averti, l'atten dit une fois fur le chemin, & la fouetta fi bien pour lui faire perdre cette coutume, qu'elle s'éveilla, fort furprise de fe voir nue au milieu de la rue: Tref. Chron.

Suivant le rapport de Fritsch, qui le tenoit du Père del Rio, Jésuite, un Maître d'école, nommé Gundifalve, alloit enfeigner pendant la journée le catéchisme à des enfants, & venoit coucher le foir, dans un monaftère, où la nuit, en dormant, il recommençoit fes leçons, grondoit les enfants, & entonnoit le chant de fon école. Un Moine dans la chambre duquel il couchoit, le menaça de le bien étriller s'il ne reftoit pas tranquille. Le maître d'école fe coucha fur cette menace & s'endormit. Dans la nuit, il fe lève, prend de grands cifeaux, & va au lit du Moine, qui, par bonheur, étoit éveillé, & le vit venir à la faveur d'un clair de lune: fur quoi il prit le parti de fe gliffer hors du lit, & de fe cacher dans la ruelle. Le Maître d'école donna plufieurs coups de cifeaux dans le traverfin, & s'alla recoucher. Le lendemain, tout ce qu'il put fe rappeller, fut d'avoir rêvé que le Moine vouloit le roffer, & de s'être défendu avec des cifeaux.

Un jeune apprentif avoit apperçu, étant éveillé, un nid d'hirondelles au haut d'une tour, près d'une fenêtre ouverte. Il fe lève, en dormant, va droit à la tour, trouve une grande échelle, qu'il n'auroit pas eu la force de remuer étant éveillé, la place où il faut, monte jufqu'au haut, & quoique cette échelle fût de fix aunes trop courte il gagna la fenêtre, & s'éveillant enfin, il fut fort faifi d'effroi de fe trouver dans une pareille fituation.

Un Gentilhomme Français avoit coutume de fe lever la nuit en dormant, & de faire voler fon

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