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faucon. Un foir, couchant dans une hôtellerie, il avertit un cocher qui étoit dans la même chambre, que cela pourroit bien lui arriver. Le cocher qui étoit malin drôle, lui dit qu'il étoit dans le même cas, & qu'il fe levoit fouvent la nuit pour fouetter fes chevaux à toute outrance, croyant les dégager d'un bourbier. Le Gentilhomme fe lève en chemife, prend fon faucon ; & le jette en criant très-fortement: Hapafa, hapafa, hapa! Le cocher ne manque pas de faifir auffi-tôt fon fouer, & d'en décharger les coups les plas ferrés fur le Gentilhomme, en criant comme s'il étoit embourbé: il maltraita exceffivement ce pauvre fomnambule, mais il le guérit pour toute fa vie. Ce remède, à ce que l'on affure, a eu un pareil fuccès dans de femblables occafions. Voyez le Traité DE NocTAMBUIONIBUS, de Horftius, Médecin Allemand, du feizième fiècle.

Le fomnambule le plus fingulier qui ait été obfervé, eft Jean-Baptifte Negretti, de Vicenze, domestique du Marquis Louis Sale. C'étoit un homme brun, d'une conftitution fort sèche, ardent, colère & ivrogne. Il étoit fomnambule depuis l'âge de onze ans; mais fes accès le prenoient feulement en Mars, & duroient tout au plus jufqu'à la ini-Avril, MM. Reghelini & Pigatti fe firent un plaifir d'obferver fon état. Le dernier en fit, en 1745, une rélation, dont on a rapporté les circonftances dans le Journal Encyclopédique, du mois de Juillet 1762. A l'entrée de la nuit, Negretti, s'étant affis fur une chaife dans une antichambre, s'endormit, & paffa un quart-d'heure dans un fommeil ordinaire. Enfuite il fe redreffa pendant quelque temps, & demeura immobile, comme s'il eût voulu prendre garde à quelque chose. A la fin il fe leva, fe promena dans l'antichambre, tira une tabatière, de fa poche, & voulut prendre du tabac. Mais comme il n'en trouva que fort peu, il prit un air, fâché, & s'approchant de la chaife qu'un cayalier avoit coutume d'occu

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per, il le nomma par fon nom, & lui demanda du tabac. On lui préfenta une boîte ouverte ; il prit du tabac, fe mit enfuite dans l'attitude d'un homme qui écoute, & dès qu'il crut avoir reçu un ordre, il courut avec une bougie, à un endroit où il y avoit ordinairement une chandelle qui brûloit, il crut allumer sa bougie, la tint comme il convenoit, & traversant tout doucement de la falle, il defcendit fort légèrement l'escalier, s'arrêtant & fe tournant de temps en temps, comme s'il eût éclairé quelqu'un. Arrivé à la porte de la maison, il s'arrêta, fe rangea de côté, falua les perfonnes qu'il croyoit reconduire, s'inclinant à mesure qu'il fe figuroit que chacun paffoit; puis il éteignit fa bougie, remonta fort vîte, & alla remettre la bougie à fa place. Le même foir il répéta trois fois cette fcène. Etant forti de l'antichambre, il entra dans la falle à manger, chercha dans fa poche la clef du buffet, & ne l'y trouvant point, il appella par fon nom, le valet qui avoit ordre de lui remettre cette clef tous les foirs, avant que d'aller fe coucher. On la lui présenta: il la prit & ouvrit le buffet, en tira une foucoupe d'argent fur Jaquelle il mit quatre flacons de verre, & alla à la cuifine, fans doute pour les remplir d'eau, mais il les rapporta vuides. Il monta; mais au milieu des degrés, il pofa tout ce qu'il tenoit fur une espèce de poteau, acheva de monter, & alla frapper à une porte. Comme on ne lui ouvrit point, il redefcendit, alla trouver le valet-dechambre, lui fit quelques queftions, revint en courant, pouffa l'affiette du coude, & caffa lesflacons, comme cela devoit arriver. Il frappa à la 'même porte, mais inutilement, redefcendit, prit l'affiette en paffant, & rentrant dans la falle à manger, pofa cette affiette fur une petite table. Delà il alla à la cuifine, prit un feau, le porta à la pompe où il le remplit d'eau, & le rapporta à la cuifine. Il revint à la foucoupe, & n'y trouvant plus les flacons, il fe fâcha, & dit qu'il falloit qu'ils

fuffent là, qu'il les y avoit mis il demanda d'autres domeftiques s'ils les avoient ôtés. Après avoir bien cherché, il ouvrit le buffet, prit deux autres flacons, les rinça, y verfa de l'eau, & les mit fur la foucoupe. Il porta enfuite le tout dans l'antichambre, jufqu'à la porte de la falle, où le valet-de-chambre avoit coutume de les recevoir de fes mains. On lui prit donc la foucoupe & les flacons, & au bout de quelque temps, on les lui rendit; il les reporta au buffer, & remit le tout à fa place. Il alla tout-de-fuite à la cuifine, effuya quelques plats avec un linge, les tint au feu, comme s'il eût voulu les fécher, & nettoya auffi les autres plats. Tout cela étant fait, il revint au buffet, mit la nappe & les ferviettes dans une autre petite corbeille, & alla, chargé de tout cela, droit à une table, où il y avoit ordinairement une chandelle allumée : il fit comme s'il cherchoit, à la lueur de cette chandelle, une fourchette & un couteau; reporta la corbeille, & ferma le buffet. Après avoir porté dans l'antichambre tout ce qu'il avoit tiré du buffet, & l'avoir pofé, fur une chaife, il prit une table ronde, à laquelle la dame fa maîtreffe mangeoit, & la couvrit. fort proprement. Il y avoit tout auprès une autre table de la même forme; il la touchoit quelquefois par méprife; mais il revenoit toujours à celle qu'il vouloit couvrir. Quand elle fut couverte, il fe promena, fe moucha, reprit fa tabatière, mais en retira les doigts fans prendre de tabac, comme s'il fe fût fouvenu, au bout de deux bonnes heures, qu'il n'y en avoit point trouvé; mais il y en eut de quoi verfer for fa main. Ici finit la première fcène. On lui jetta un peu d'eau au vifage, & il fe réveilla.

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Le lendemain, avant que Negretti fût endormi, le Marquis reçut compagnie dans fa chambre, ce qui n'arrivoit pas ordinairement. A mefure que la compagnie augmentoit, on demandoit des fiéges. Pendant ce temps-là, Negretti 's'endormit;

après un petit fommeil, il fe leva, fe moucha, prit du tabac, & monta vîte à un appartement pour chercher des chaifes. Ce qu'il y eut de plus remarquable, c'eft que tenant une chaise à deux mains, il rencontra une porte fermée, à laquelle il ne frappa point; mais lâchant la chaife, d'une main, il ouvrit la porte, reprit la chaife comme auparavant, & la porta précisément à l'endroit où elle devoit être. Cela fait, il alla au buffet, en chercha la clef, & fe fâcha de ce qu'il ne la trouvoit pas il prit une chandelle, & regarda dans tous les coins de la chambre, & fur toutes les marches de l'escalier, allant d'une grande vîreffe, les yeux fixés à terre, & tâtant avec les mains, dans l'efpérance de trouver la clef qu'il avoit perdue. Le valet-de-chambre la lui gliffa dans fa poche. Après bien des recherches inutiles, Negretti mit par hazard la main dans fa poche, trouva la clef, fe facha de fa fottife, ouvrit le buffet, prit une serviette, un plat & deux pains; referma le buffet, & alla à la cuifine. Là, il apprêta une falade, tirant de l'armoire toutes les chofes dont il avoit befoin, & quand il eut fait, il s'affit à une table pour manger. On lui ôta ce plat, & on lui en mit à la place, un de choux affaifonnés d'un très-haut goût; il continua de manger: on fubftitua à ces choux, un gateau qu'il avala tout de même, fans paroître diftinguer ces mets; ce qui prouve qu'il n'avoit point goûté la falade, par les organes du goût, mais que l'ame feule fe donnoit cette fenfation fans le ministère du corps. En mangeant, il prêtoit quelquefois l'oreille, croyant qu'on l'appelloit. Il fe perfuada une fois qu'on l'avoit effectivement appellé ; il defcendit vîte le degré pour se rendre à la falle, & voyant qu'on n'avoit rien à lui dire, il alla dans l'antichambre, & demanda aux domestiques, fi on ne l'avoit pas appellé, fur quoi il revint d'affez mauvaise humeur fe remettre à table dans la cuifine. Après avoir fini fon repas, il dit à demi-voix, qu'il iroit volon

tiers au cabaret prochain, pour y boire un coup, s'il avoit de l'argent. Il fouilla inutilement dans fes poches. A la fin il fortit, en difant qu'il y alloit pourtant, qu'il paieroit le lendemain, & qu'on Jui feroit bien crédit. Il defcendit le degré fort vîte, & courut au cabaret qui étoit à deux portées de fufil de la maifon; il frappa à la porte, fans effayer fi elle étoit ouverte, comme s'il eût fu qu'à ces heures-là, elle devoit être fermée. On ouvre, il entre, il appelle l'hôte, & demande un demi-feptier de vin. On lui donne la même mesure d'eau qu'il boit pour du vin; & après avoir fini, il dit qu'on lui feroit bien crédit jufqu'au lendemain. Là-deffus il fortit, & revint vîte au logis. Il rentra dans l'antichambre, & demanda aux domeftiques, fi fon maître ne l'avoit point appellé. Il parut enfuite joyeux, & dit qu'il étoit forti pour aller boire, & qu'il fe trouvoit mieux. On lui ouvrit alors les yeux avec les doigts; il s'éveilla.

Troisième fcène. Une nuit de vendredi, il fe rappella en dormant, que le Précepteur des enfants de la maison lui avoit dit que s'il étoit fomnambule cette nuit-là, il n'avoit qu'à lui faire une foupe, la lui apporter, & qu'il lui donneroit de quoi boire. Là-deffus il fe leva la nuit, dans le fommeil, & dit tout haut, qu'il veut attraper le Précepteur. Il defcend d'abord manger à la cuifine, après quoi il fe rend à l'appartement du Précepteur, & le prie de tenir fa parole. Le Précepteur lui donne une petite pièce de monnoie; fur quoi Negretti prend le valet-de-chambre, par le bras, le mène au cabaret, lui raconte, en buvant, d'une manière bien circonstanciée, comment il a dupé le Précepteur, dont il croyoit avoir reçu l'argent, étant éveillé. Il rioit de tout fon cœur, but plufieurs fois à la fanté du Précepteur, & revint tout joyeux à la maison.

Une fois, pendant que Negretti étoit dans cet état de fomnambule, quelqu'un s'avifa de le frapper à la jambe ayec un bâton. Croyant que c'étoit

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