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au laquais de fon voifin: Donnez-moi à boire, je vous prie de me donner à boire, où faites-moi boire. Une Dame ayant été prife pour juge, leur dit : Meffieurs, des gens bien nés & bien élevés » comme vous, doivent dire, ce me femble: Je » vous prie, Monfieur, de me mener boire. »

Un Financier, fort fot & fort impertinent (car l'un fans l'autre ne va guère), fe trouvoit à table avec un favant : il paroiffoit furpris de ce que cer homme de lettres ne fe refufoit point aux morceaux délicats qu'on lui préfentoit. Eh! quoi, difoit-il, les Philofophes ufent-ils de ces friandifes? Et pourquoi non? lui répondit le favant, vous imaginezvous que la nature n'ait produit les bonnes chofes que pour les ignorants?

SOURDS ET MUETS.

UN Philofophe, habile obfervateur, desiroit de

favoir quelles idées feroit naître dans un fourd & muet de naiffance, le claveffin oculaire du P. Caftel. It le mena un jour voir cette ingénieufe machime. Ce fourd n'eur pas plus tôt apperçu le jeu rapide & varié des éventails du P. Caftel, qu'il tomba dans une forte d'admiration. Quel étoit le fondement de fa, furprife? Que penfoit-il? Il s'imagina que ce génie inventeur étoit fourd & muer auffi; que fon claveffin lui fervoit à converfer avec les auTres hommes; que chaque nuance avoit fur le clavier, la valeur d'une des lettres de l'alphabet, & qu'à l'aide des touches, & de l'agilité des doigts, il combinoit ces lettres, & en formoit des mots, des phrafes; enfin, tout un difcours en couleurs. Cette idée lui en fuggéra une autre: il crut que la mufique étoit un façon particulière de communiquer la penfée, & que les inftruments, les vielles, les violons, les trompettes étoient, entre nos mains, d'autres organes de la parole. C'étoit bien là,

dira-t-on, le fystème d'un homme qui n'avoit já mais entendu ni inftrument, ni mufique. Mais que l'on confidère que ce fyftême, qui eft évidemment faux pour tout autre, eft prefque démontré pour un fourd & muet. Lorfque ce fourd fe rappelle l'attention que nous donnons à la mufique, & à ceux qui jouent d'un inftrument, les fignes de joie ou de trifteffe qui fe peignent for nos vifages & dans nos geftes, quand nous fommes frappés d'une bel le harmonie, & qu'il compare ces effets, avec ceux du difcours & des autres objets extérieurs, comment peut-il imaginer qu'il n'y a pas de bons fens dans les fons, quelque chofé que ce puiffe être, "& que ni les voix, ni lès inftruments ne réveillent en nous aucune perception distincte? N'eft-ce pas Ja, ajoute l'obfervateur ingénieux, une fidelle image de nos penfées, de nos raifonnements, dé nos fyftêmes, en un mot, de nos concerts qui ont fait de la réputation à tant de Philofophes? Tou tes les fois qu'ils ont jugé des chofes, qui, pour être bien comprifes, fembloient demander un organe qui leur manquoit, ce qui leur eft fouvent arrivé, ils ont montré moins de fagacité, & fe font trouvés plus loin de la vérité, que ce fourd & muet.

• Le fourd & muet de naiffance, dont parle notre obfervateur, ne manquoit pas d'efprit, & avoit le gefte expreffif; & il rapporte à ce fujet, le faft fur vant. « Je jouois un jour, aux échecs, & le muet me regardoit jouer; mon adverfaire me réduifit dans une pofition embarraffante. Le muet s'en apperçut à merveille, & croyant la partie perdue, il ferma les s yeux, inclina la tête, & laiffa tomber fes bras; lignes pr lefquels il m'annonçoit qu'il 1 me tenoit pour mat ou mort. Remarquez en paf(fant, combien la langue des geftes eft métapho »rique. Je crus d'abord qu'il avoit raison; cependant, comme le coup étoit compofé, & que je n'avois pas épuifé les combinaifons, je ne me preffois pas de céder, & je me mis à chercher

» une reffource. L'avis du muet étoit toujoursqu'il » n'y en avoit point; ce qu'il difoit très-claire»ment, en fecouant la tête, & en remettant les » Pièces perdues fur l'échiquier. Son exemple in

vita les autres fpectateurs à parler fur le coup; »& on l'examina; & à force d'effayer de mauvais » expédients, on en découvrit un bon. Je ne man» quai pas de m'en fervir, & de faire entendre au » muet qu'il s'étoit trompé, & que je fortirois » d'embarras malgré fon avis. Mais lui, me mon»trant du doigt tous les fpectateurs les uns après » les autres, & faifant en même-temps un petit » mouvement des lèvres, qu'il accompagna d'un » grand mouvement de fes deux bras qui alloient » & venoient dans la direction de la porte & des >> tables, me répondit qu'il y avoit peu de mérite » à être forti du mauvais pas où j'étois, avec les "confeils du tiers, du quart & des paffants; ce que " fes geftes fignifioient fi clairement, que perfon» ne ne s'y trompa, & que l'expreffion populaire, "Confulter le tiers, le quart & les paffants, vint à plufieurs en même-temps: ainfi bonne ou mau»vaife, notre muet raconta cette expression en "geftes."

Il n'y auroit peut-être pas de meilleur juge du Jangage par geftes, & en général du jeu de théatre, qu'un fourd. Le même obfervateur rapporte une expérience qu'il a faite, & dont il avoue avoir tiré plus de lumière fur les mouvements & les geftes, que de toutes les lectures du monde. Un jour qu'on jouoit une pièce qu'il connoifloit, il alla à la comédie, aux troisièmes loges; car plus il étoit éloigné des acteurs, mieux, il étoit placé pour fon expérience. Auffi-tôt que la toile fut levée & le moment venu où tous les autres fpectateurs fe difpofoient à écouter, il mit fes doigts dans les oreilles, non fans quelque étonnement de la part de ceux qui J'environnoient. Il les tenoit opiniâtrément bouchées, tant que 'action & le jeu de l'acteur lui paroiffoient d'accord avec le difcours qu'il fe rappel

loit. Il n'écoutoit que quand il étoit dérouté par les geftes, ou qu'il croyoit l'être. On avouera ici, avec notre obfervateur, qu'il y a bien peu de comédiens, en état de foutenir une pareille épreuve.

M. le Sage, auteur de Gilblas, & de plufieurs pièces de théatre, étoit devenu abfolument fourd dans fa vieilleffe, cependant il ne difcontinuoit point d'aller à la représentation de fes pièces, il n'en perdoit prefque pas un mot; il difoit même qu'il n'avoit jamais mieux jugé ni du jeu, ni de fes pièces, que depuis qu'il n'entendoit plus les Acteurs.

I

SOURNOIS.

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Left de certains caractères, tel que celui du fournois, qui demandent à être mis en scène pour être peints avec fuccès. Deux contes trés-naïfs, l'un de Rabelais, & l'autre de Scarron, nous préfentent cette manière de peindre. Nous les rapporterons ici. On pourra peut-être prendre plaifir à les parallelifer, diroit maître François.

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«En une nauf ou navire, étoit la taciturnien, "fonge creux & malignement intentionné Panur»ge: En ce même navire étoit un marchand de "moutons, nommé Dindenault, homme gaillard, raillard, grand ribleur, & dégoifeur de gauffe»ries, lequel voyoit Panurge tout debiffé de mine, » & mal en point d'accoutrement, déhoufillé de » chevelure, vefte délabrée, aiguillettes rompues, » boutons interminants, chauffes pendantes, & lu"nettes pendues au bonnet. Le marchand donc » s'émancipa en gaufferies for chaque pièce d'icelui » accoutrement, mais fpécialement fur fes lubet"tes, lui difant avoir fu, par tradition vulgaire, » que tout homme arborant lunettes, fut toujours » mal voulu des femmes étrangères, & vilipendé de la fienne domestique, fur lesquels prognostics,

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apoftrophant Panurge en fon honneur, l'appellant » je ne fais comment, Id eft, d'un nom qui réveilla » Panurge, de fa léthargie rêveufe, car rêvoit jufte " en ce moment, aux inconvénients à venir de fon » futur mariage. Holà ! holà !mon bon marchand, » dit d'abord Panurge, d'on air niais & bonace, » holà! vous dis-je, car oncques ne fus, ni ne puis » maintenant être ce que n'eft nul que par maria"ge. A quoi repartit Dindenault, que marié ou » non marié, c'est tout un car fruits de cornouaille font fruits précoces, & m'eft avis que, pour » porter tels fruits, êtes fait & moulé comme de >> cire: oui, cette plante mordra fur votre chef, » comme chiendent fur tête graffe. Ho! ho! ho! "reprit bonnement Panurge, quartier, quartier ; » car, par la vertu, bœuf ou âne que je fuis, ne » puis avoir efprit d'aigle perçant les nues, par» quoi gauliffez- vous de moi, fi c'eft votre plai» fir; mais rien ne repliquerai faute de replique: » prenons patience. Patience vous duira, dit le » marchand, comme à tant d'autres; patience eft » vertu maritale. Patience foit, interrompit Pa>> nurge; mais changeons de propos : vous avez » là force beaux moutons, m'en vendriez-vous » bien un par aventure? O le vaillant acheteur "de moutons! dit le marchand: feriez volon

tiers,plus convenablement vous acheter un bon ha»bit pour quand vous ferez marte, habit de ménage,

habit avenant, manteau profitable, chapeau » commode, & panache de cerf. Patience, dit »Panurge, & vendez-moi feulement un de vos »moutons. Tubleu! dit le marchand, ce feroit » fortune pour vous; qu'un de ces béliers; ven"driez la fine laine pour faire draps, fa liffe peau i pour faire cuirs, la chair friande pour nourrir

C

Prince; fa petite oie, pieds & tête vous ref»teroient, & cornes encore fur le marché. Pa»tience, dit Panurge, tout ce que dites de cornement a été corné aux oreilles tant & tant de fois; laiffons ces vieilleries, fortifes nouvelles

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