Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

"

"

[ocr errors]

font plus de mife. Ah! qu'il dit bien, reprit le » marchand; il mérite que mouton je lui vende, », il eft bon homme: çà parlons d'affaire. Bon, » dit Panurge en joie, vous venez au but, & je » n'aurai plus befoin de patience. Çà, dit lemarchand, écoutez - moi. J'écoute, dit Panurge. » Le marchand. Approchez cette oreille droite. » Panurge. Qu'eft-ce? Le mar. Et la gauche. Par. » Hé bien. Le mar. Et l'autre encore. Pan. N'en » ai que ces deux. Le mar. Ouvrez-les donc toutes » grandes. Pan. A votre commandement. Le mar. » Vous allez au pays des Lanternois ? Pan. Oui. » Le mar. Voir le monde? Pan. Certes. Le mar. Joyeufement? Pan. Voir. Le mar. Sans vous » fâcher? Pan. N'en ai d'envie. Le mar. Vous » avez mon Robin? Pan. Si vous voulez. Le mar. » Voyez-vous ce mouton? Pan. Vous me l'allez » vendre. Le mar. Il a nom Robin comme vous. » Ha! ha! ha!. . . vous allez au pays des Lan»ternois, voir le monde joyeusement, fans vous "fâcher, ne vous fâchez donc guère fi Robin » mouton n'eft pas pour vous. Bez, bez, bez, & » continua ainfi bez, bez, aux oreilles du pauvre » Panurge, en fe moquant de fa lourderie. Oh! » patience, patience, reprit Panurge, baiffant » épaule & tête en toute humilité: a bon befoin "de patience, qui mouton veut avoir de Dinde"nault; mais je vois que vous me lanternifibolifez »ainfi, pour ce que me croyez pauvre hère, vou»lant acheter fans payer, ou payer fans argent, ››› & en ce vous vous trompez à la mine, car voi»ci de quoi faire emplette. Difant cela, Panurge » tire ample& longue bourfe, que par cas fortuit, contre fon naturel, avoit pleine de ducatons, » de laquelle opulence le marchand fut ébahi, & » incontinent gaufferie ceffa à l'afpect d'objet tant "refpectable comme eft argent. Par icelut allé» ché, le marchand demanda quatre, cinq, fix » fois plus que ne valoit le mouton; à quoi, Pa» nurge fit comme riche enfant de Paris, le prit

[ocr errors]

» au mot, de peur que mouton ne lui échappắt, » tirant de fa bourse, le prix exorbitant, fans » autre mot dire, que patience, patience; mit les » deniers és mains du marchand, & choisit à mê» me le troupeau, un grand & beau maître mou»ton, qu'il emporta brandi fous fon bras; car de »force autant que malin vouloir avoir : cepen>> dant le mouton crioit, bêloit, & en conféquen»ce naturelle, oyant celui-ci bêler, bêloient en» femblement les autres moutons, comme difant » en leur langage moutonnois : Où menez-vous »notre compagnon? De même difoient, mais en

[ocr errors]

langage plus articulé, les affiftants à Panurge: » Où diantre menez-vous ce mouton, & qu'en »allez-vous faire ? A quoi répond Panurge: Le » mouton n'eft-il pas à moi ? je l'ai bien payé, >> & chacun de fon bien fait ce qu'il s'avife. Ce » mouton s'appelle Robin, comme moi; Dinde

nault l'a dit, Robin mouton fait bien nager, je » le vois à fa mine. Et ce difant, fubitement jetta fon mouton en pleine mer, criant: Nage, Ro»bin, nage, mon mignon. Or, Robin mouton allant à l'eau, criant, bêlant, tous les autres moutons criant, bêlant en pareille intonation, » commencèrent foi jetter après, & fauter en mer » à la file, fi que le débat entr'eux étoit à qui fui"vroit le premier fon compagnon dans l'eau; car >>nature a fait de tous les animaux mouton le plus "fot, & à fuivre un mauvais exemple le plus en »clin, fors l'homme. Le marchand, tout ceci

voyant, demeurant ftupéfait, & tout effrayé, » s'efforçant à retenir fes moutons & de tout fon »pouvoir; pendant quoi Pannrge, en fon fang froid rancunier, lui difoit: Patience, Dindenault, patience, & ne vous bougez ni tourmen» tez, Robin mouton reviendra à nage, & fes » compagnons le refuivront. Venez, Robin, ve»nez, mon fils: & enfuite crioit aux oreilles de » Dindenault, comme avoit par Dindenault été crié » aux fiennes, en figne de moquerie: Bez, bez. Fina>> lement

[ocr errors]

"fement Dindenault voyant périr tous fes mou» tons, en prit un grand & fort par la toifon, cui»dant ainsi, Tui retenant retenir le refte; mais » ce mouton puiffant entraîna Dindenault lui-mê» me en l'eau ; & ce fut lors que Panurge redoubla de crier: Nage, Robin, nage, Dindenault; » bez, bez, bez, tant que par noyement des mou» tons & du marchand, cette aventure fut finie, » dont Panurge ne rioit que fous barbe, parce que jamais on ne le vit rire en plein, que je fache". Molière, comme l'a obfervé Dufrefny, a pris dans ce conte de Rabelais, deux ou trois jeux de théatre, & La Fontaine, plufieurs bons mots.

[ocr errors]

2

Le comédien la Rancune, un des héros du Roman comique de Scaron, entre dans une hôtellerie, un peu plus qu'à demi-ivre. La fervante de ' Rappinière (autre héros du Roman) qui le conduifoit dit à l'hôteffe, qu'on lui dreffât un lit. Voici le refte de notre écu, dit l'hôteffe; fi nous n'avions pas d'autre pratique que celle-là, notre louage feroit mal payé. Taifez-vous, fotte, lui dit fon mari M. de la Rappinière nous fait trop d'honneur; que l'on dreffe un lit à ce Gentilhomme. Voire qui en auroit, dit l'hôteffe; il ne m'en reftoit qu'un, que je viens de donner à un marchand du bas-Maine. Le marchand entra là-deffus; & ayant appris le fujet de la conteftation, offrit la moitié de fon Jit à la Rancune, foit qu'il eût affaire à la Rappinière, ou qu'il fût obligeant de fon naturel. La Rancune l'en remercia, autant que la féchereffe de civilité le pat permettre. Le marchand foupa l'hôte lui tint compagnie, & la Rancune ne fe fit pas prier deux fois pour faire le troisième, & fe mit à boire fur nouveaux frais. Ils parlèrent des impôts, peftèrent contre les maltôtiers, réglèrent l'E

tat,

& fe réglèrent fi peu eux-mêmes, l'hôte tout le premier, qu'il tira fa bour fe, de fa pochette, & demanda à compter, ne fe fouvenant plus qu'il étoit chez lui. Sa femme & fa fervante l'entraînèrent par les épaules, dans fa chambre, & le mirent fur Tome II, Dd

un lit, tout habillé. La Rancune dit au marchand, qu'il étoit affligé d'une difficulté d'uriner, & qu'il étoit bien fâché d'être contraint de l'incommoder. A quoi le marchand lui répondit qu'une nuit étoit bientôt paffée. Le lit n'avoit point de ruelle, & joignoit la muraille; la Rancune s'y jetta le premier, & le marchand s'y étant mis après, en la bonne place, la Rancune lui demanda le pot-de-chambre. Eh! qu'en voulez-vous faire, dit le marchand? Le mettre auprès de moi, de peur de vous incommoder, dit la Rancune. Le marchand lui répondit qu'il le lui donneroit quand il en auroit affaire, &la Rancune n'y confentit qu'à peine, lui proteftant qu'il étoit au défefpoir de l'incommoder, Le marchand s'endormit fans lui répondre; & à peine commença-t-il à dormir de toute fa force, que le malicieux comédien, qui étoit homme à s'éborgner pour faire perdre un œil à un autre, tira le pauvre marchand par le bras, en lui criant: Monfieur, ho! Monfieur! Le marchand, tout endormi, lui demanda en bâillant: Que vous plaîte il? Donnez-moi un peu le pot-de-chambre, dit la Rancune, qui fe mit en devoir de piffer; & après avoir fait cent efforts, ou fait femblant de les faire, juré cent fois entre fes dents, & s'être bien plaint de fon mal, il rendit le pot-de-chambre au marchand, fans avoir piffé une feule goutte. Le marchand le remità terre, & dit, ouvrant la bouche auffi grande qu'un four, à force de bâiller: Vraiment, Monfieur, je vous plains bien, & fe rendormit tout auffi-tôt, La Rancune le laiffe embarquer bien avant dans le fommeil, & quand il le vit ronfler comme s'il n'eût fait autre chose toute fa vie, le perfide l'éveilla encore, & lui demanda le pot-de-chambre auffi méchamment que la première fois. Le marchand le lui remit entre les mains, auffi bonnement qu'il avoit déjà fait; & la Rancune le porta à l'endroit par où l'on piffe, avec auffi peu d'envie de piffer, que de laiffer dormir le marchand. Il cria encore plus fort qu'il n'avoit

fait, & fut deux fois plus long-temps à ne point piffer, conjurant le marchand, de ne prendre plus la peine de lui donner le pot-de-chambre, & ajoutant que ce n'étoit pas la raison, & qu'il le prendroit bien. Le pauvre marchand, qui eût alors donné tout fon bien pour dormir fon foul, lui répondit toujours en bâillant, qu'il en ufât comme il lui plairoit, & remit le pot-de-chambre en fa place, & fe donnèrent le bon foir fort civilement; & le pauvre marchand eût parié tout fon bien,' qu'il alloit faire le plus beau fomme qu'il eût fait de fa vie. La Rincune qui favoit bien ce qui devoit arriver, le laiffa dormir de plus ; & fans faire confcience d'éveiller un homme qui dormoit fi bien, il lui alla mettre le coude dans le creux de l'eftomac, l'accablant de tout fon corps, & avançant l'autre bras, hors du lit, comme on fait quand on veut ramaffer quelque chofe qui eft à terre. Le malheureux marchand fe fentant étouf→ fer & écraser la poitrine, s'éveilla en furfaut, criant horriblement : Eh! morbleu, Monfieur, vous me tuez. La Rancune, d'une voix auffi douce & pofée, que celle du marchand avoit été véhémente, lui répondit: Je vous demande pardon, je voulois prendre le pot-de-chambre. Ah! vertubleu, s'écrie l'autre, j'aime bien mieux vous le donner, & ne dormir de toute la nuit; vous m'avez fait un mal dont je me fentirai toute ma vie. La Rancune ne lui répondit rien, & fe mit à piffer fi largement & fi roide, que le bruit feul du pot-de-chambre eût pu réveiller le marchand: il emplit le potde-chambre, béniffant le Seigneur avec une hypocrifie de fcélérat. Le pauvre marchand le félicitoit le mieux qu'il pouvoit, de fa copieufe éjaculation d'urine, qui lui faifoit espérer un fommeil qui ne feroit plus interrompe, quand le maudit la Rancune, faifant femblant de remettre le pot-dechambre à terre, lui laiffa tomber le pot-dechambre, & tout ce qui étoit dedans, fur le vifige, fur la barbe & fur l'eftomac, en criant, en hypo

« PrécédentContinuer »