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crite: Eh! Monfieur, je vous demande pardon. Le marchand ne répondit rien à fa civilité; car auffitôt qu'il fe fentit noyé du piffat, il fe leva, burlant comme un homme furieux, & demanda de la lu- : mière. La Rancune, avec une froideur capable de faire renier un Théatin, lui difoit: Voilà un grand malheur ! Le marchand continua fes cris. L'hôte, l'hôteffe, les fervantes & les valets y vinrent. Le marchand leur dit qu'on l'avoit fait coucher avec un diable, & pria qu'on lui fit du feu autre part, On lui demanda ce qu'il avoit. Il ne répondit rien, tant il étoit en colère; il prit fes habits & fes hardes, & s'en alla fe fécher dans la cuisine, où il paffa le refte de la nuit, fur un banc, le long du feu. L'hôte demanda à la Rancune ce qu'il lui avoit fait. Il lui dit, feignant une grande ingénuité: Je ne fais de quoi il peut fe plaindre; il s'eft éveillé, & m'a réveillé, en criant au meurtre; il faut qu'il ait fait quelque mauvais fonge, ou qu'il foit fou, & de plus, il a piffé au lit. L'hôteffe y porta la main, & dit qu'il étoit vrai, que fon matelas étoit tout percé, & jura fon grand Dieu, qu'il le paieroit. Ils donnèrent le bon foir à la Rancune, qui dormit toute la nuit, auffi paifiblement qu'auroit fait un homme de bien.

P

SUICIDE.

HILIPPE MORGANT, coufin-germain de ce fameux Comte de Peterboroug, fi connu dans toutes les cours de l'Europe, étoit un jeune-homme de vingt-fept ans, beau, bien fait, riche, né d'un fang illuftre, pouvant prétendre à tout, & paffionnément aimé de fa maîtreffe. Il prit à ce Morgant, un dégoût de la vie; il paya fes dettes, écrivit à fes amis pour leur dire adieu, & même fit des vers, dont voici les derniers traits en Français :

L'opium peut aider le Sage,

Mais felon mon opinion,

Il lui faut, au lieu d'opium,
Un piftolet & du courage.

İl fe conduifit felon ces principes, & fe dépêcha d'un coup de pistolet, fans en avoir donné d'autre raifon, finon que fon ame étoit laffe de fon corps, & que quand on eft mécontent de fa maison, il faut en fortir. Il fembloit qu'il eût voulu mourir, parce qu'il étoit dégoûté de fon bonheur. Richard Smith donna un étrange fpectacle au monde, pour une cause fort différente. Richard Smith étoit dégoûté d'être réellement malheureux : il avoit été riche, & il étoit pauvre; il avoit eu de la fanté, & il étoit infirme. Il avoit une femme, à laquelle il ne pouvoit faire partager que fa misère; un enfant au berceau, étoit le feul bien qui lui reftoit : Richard Smith & Bridget Smith, d'un commun confentement, après s'être tendrement embraflés, & avoir donné le dernier baifer à leur enfant, ont commencé par tuer cette pauvre créature, & enfuite se font pendus aux colonnes de leur lit. Je ne connois nulle part,ajoute M. de Voltaire, qui rapporte ces faits, aucune horreur de fang-froid qui foit de cette force; mais la lettre que ces infortunés ont écrite à M. Brindlai, leur coufin, eft auffi fingulière que leur mort même. Nous croyons, difent-ils, que Dieu nous pardonnera, &c. Nous avons quitté la vie, parce que nous étions malheureux fans reffource, & nous avons rendu à notre fils unique, le fervice de le tuer, de peur qu'il ne devînt aussi malheureux que nous, &c. Il eft à remarquer que ces gens, après avoir tué leur fils, par tendreffe paternelle, ont écrit à un ami, pour lui recommander leur chat & leur chien. Ils ont cru apparemment qu'il étoit plus aifé de faire le bonheur d'un chat & d'un chien dans le monde, que celui d'un enfant, & ils ne vouloient pas être à charge à leur ami.

Mylord Saarboroug a quitté la vie avec le même

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fang - froid, qu'il avoit quitté fa place de grand Ecuyer. On lui reprochoit dans la Chambre des Pairs, qu'il prenoit le parti du Roi, parce qu'il avoit une belle charge à la Cour. Meffieurs, dit-il, pour vous prouver que mon opinion ne dépend pas de ma place, je m'en démets dans l'instant. II fe trouva depuis embarraffé entre une maîtreffe qu'il aimoit, mais à qui il n'avoit rien promis, & une femme qu'il eftimoit, mais à qui il avoit fait une promeffe de mariage. Il fe tua pour se tirer d'embarras: Mélanges de littérature & de philofophie.

Robek, qui étoit un autre fou de cette espèce, délibéra avant de fe tuer. Il délibéra même si posément, qu'il eut la patience de faire un livre, un gros livre bien long, bien pefant, bien froid; & quand il eut établi, felon lui, qu'il étoit permis de fe donner la mort, il se la donna avec la même tranquillité: Rouffeau.

Une Dame d'un certain âge, feule, riche & fans enfants, avoit reçu dans fa maifon, un ouvrier qui travailloit en journée, & qui étoit chargé d'une femine & d'un petit enfant. C'étoient d'honnêtes gens, fort rangés & fort laborieux; mais leur travail fuffifoit à peine à leur, subsistance. La femme de l'ouvrier alla, au bout de quelques jours, trouver la maîtreffe de la maifon, & la pria de lui permettre de laiffer for enfant auprès d'elle pendant qu'elle fortiroit pour une affaire très-preffée. La Dame y confentit. Mais, ma bonne Dame, infifta la pauvre femme, je vous le recommande bien: ne le laiffez manquer de rien jufqu'à ce que je revienne, je vous en conjure. La Dame l'affura qu'elle en auroit foin, & la mère fortit. On ne la revit pas de la journée, ni le père non plus. Trois jours fe paffent fans qu'on entende parler d'eux: enfin on découvrit qu'ils s'étoient jetés tous deux dans la Tamife. La Dame s'eft regardée comme engagée par fa parole, à prendre foin de l'enfant qu'on lui avoit confié, & elle s'eft

chargée de fon éducation: Papiers Anglais de 1761. Les mêmes papiers Anglais, en 1762, font mention qu'au mois de Décembre, un pauvre homme ayant été ramaffer du buis mort dans la forêt de Hydepark, vit un Gentilhomme bien mis, ayant une épée à fon côté, & une cocarde à fon chapeau. qui fe promenoit d'un air trifte & rêveur. Ce pauvre homme croyant que c'étoit un Officier quivenoit là pour fe battre en duel, fe cache derrière un rocher. Le Gentilhomme s'approcha de cet endroit, ouvrit un papier qu'il fut avec l'air fort énu, & qu'il déchira. Il tira enfuite un pistolet, de fa poche, regarda l'amorce, & battit la pierre avec une clef. Après avoir jeté fon chapeau à terre: il appuya le piftolet fur fon front; l'amorce prit; le coup ne partit point. L'homme qui s'étoit caché, s'élança fur l'Officier, & lui arracha fon piftolet; mais celui-ci mit l'épée à la main, & voulut en percer fon libérateur, qui lui dit tranquillement : « Frappez, je crains auffi peu la mort » que vous; mais j'ai plus de courage: il y a plus »de vingt ans que je vis dans les peines & dans » l'indigence, & j'ai laiffé à Dieu le foin de met» tre fin à mes maux ». Le Gentilhomme, touché de cette réponse, refta un moment, immobile, répandit un torrent de larmes, & tira fa bourse qu'il donna à cet honnête vieillard. Il prit enfuite fon nom & fon adreffe, & lui fit jurer de ne faire aucunes perquifitions à fon fujet, fi le hazard les faifoit rencontrer encore.

Une Anglaife, à qui l'extrême misère avoit tourné la tête, ne voyoit pour elle, d'autre parti, que d'aller fe jetter dans la Tamife: elle exécuta cet affreux projet; mais un homme qui fe trouva près delà, l'arracha des bras de la mort. Il s'attendoit à quelque remerciement de la part de cette malheureuse femme, lorfqu'elle lui dit d'un air affez tranquille : Puifque vous m'avez privée de la feule reffource qui me reftoit, vous êtes obligé de m'en indemnifer ; je fuis dans la plus affreuse

misère, vous voulez que je vive, vous me nourrirez donc ? Journal encyclopédique.

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Terminons cet article de Suicide, par cette belle penfée de M. Rouffeau. Que font dix, vingt, trente ans pour un être immortel? La peine & le plaifir paffent comme une ombre; la vie s'écoule en un inftant; elle n'eft rien par elle-même, fon prix dépend de fon emploi. Le bien feul qu'on a fait, demeure, & c'eft par lui qu'elle eft quelque chofe. O homme ! ne dis donc plus que c'eft un mal pour toi, de vivre, puifqu'il dépend de toi fenl que ce foit un bien, & que c'eft un mal d'avoir vécu; c'eft une raifon de plus de vivre encore. Ne dis pas non plus, qu'il t'eft permis de mourir; car autant vaudroit dire qu'il t'eft permis de n'être pas homme; qu'il t'eft permis de te révolter contre l'auteur de ton être, & de tromper ta deftination.

SUISSE S.

LA Suiffe, abondante en hommes qu'elle eft hors

d'état de nourrir, s'eft vu depuis long-temps obligée de les envoyer au fervice des différents Princes qui les veulent foudoyer; c'eft ce qui a pu donner lieu à ce proverbe : Point d'argent, point de Suiffes.

L'empreffement de tous les Souverains à avoir des foldats de cette nation, fait le plus bel éloge de leur valeur. François I fut un jour rendre aux Suiffes, la juftice qu'ils méritoient. Ce Prince, prifonnier à la bataille de Pavie, en 1525, fut conduit, après l'action, à travers le champ de bataille, où il devoit être gardé. Les Impériaux lui firent obferver que tous fes Gardes - Suiffes s'étoient fait tuer dans leur rang, & qu'ils étoient couchés morts les uns près des autres. Si toutes mes trou-. pes avoient fait leur devoir comme ces braves gens,

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