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lui-même. Je veux, difoit-il, qu'il fache de quoi eft capable, pour venger une injure reçue, un homme qui peut fe mettre lui-même par morceaux: Larrey.

Un Italien, qui venoit d'avoir une querelle contre un de fes voifins, tomba malade i dangereufement, qu'on n'en efpéroit plus rien. Son ennemi l'apprend, va chez lui, demande à le voir; & fur ce qu'on lui dit, qu'il eft à l'extrémité, court vîte dans fa chambre, en difant tout bas: il ne mourra que de ma main. Arrivé près de fon lit, il lui donne un coup de poignard, & fe fauve. Le malade perdit une grande quantité de fang, mais cette perte lui fut falutaire, & lui rendit la vie & la fanté Tref. Chon.

Un autre Italien apprend, au bout de dix ans, que fon ennemi, qu'il cherchoit, va partir pour les Indes. Il court auffi-tôt s'embarquer avec lui,le fuit par-tout, fe faifit du moment où il le trouve fans défenfe, & l'affaffine: Voyage de Rochefort.

Un Seigneur Romain, qui avoit un fort beau parc, où il entretenoit plufieurs cerfs, avoit défendu à fes domeftiques, d'en tuer. Un d'eux eut le malheur de contrevenir à cet ordre: en tirant quelqu'autre pièce de gibier qu'il manqua, il tua par mégarde un de ces cerfs qui étoit caché dans des broffailles. Ce pauvre garçon appréhendant la colère de fon maître, s'enfuit à Gênes, où s'étant embarqué, il fut pris par les Algériens. Le Seigneur Italien inf truit quelque temps après, que fon domestique eft efclave à Alger, va trouver le Cardinal Janson, qui étoit pour lors à Rome, & le prie inftamment d'écrire au Conful Français,de racheter ce malheureux, quelque fomme que dût coûter fa rançon, Le Cardinal, touché de cette générofité,ne put s'empêcher de le louer : il écrivit au Conful, qui racheta en effet l'esclave, & le renvoya à Rome. Le gentilhomme vint remercier fon Eminence, rembourfa l'argent de la rançon,& quelques jours après fit aflaffiner ce pauvre domeftique, qu'il n'avoit voule

voulu ravoir que pour fe venger de fa défobéiffince, quelque involontaire qu'elle fût : Mém, du Comte de Forbin.

Les Corfes paffent pour être très- vindicatifs. Guillet rapporte que l'on en a vu qui, après une offenfe reçue, font demeurés quinze jours entiers, cachés dans des broffailles, pour attendre leur ennemi au paffage; trop fatisfaits d'y brouter des racines, pourvu que l'embufcade pût réuffir.

Baleins, Gouverneur de Leictoure, étoit d'un caractère violent. Il étoit ami d'un des principaux Officiers de la garnifon, qui, fous prétexte de mariage, ou autrement, ayant abufé d'une fœur qu'avoit Baleins, s'étoit retiré de la garnison, & s'étoit marié à une autre perfonne. Cette fœur, qui en fut informée, courut auffi-tôt, toute échevelée & toute en larmes, trouver fon frère, & lui raconta ce qui s'étoit paffé. Baleins, qui étoit vif & intrépide, lui dit de fe taire, de diffimuler, & de le laiffer agir. Il continue pendant quelque temps, de vivre avec cet Officier, auffi familièrement qu'auparavant, fans lui rien faire connoître de ce qu'il favoit. Un jour il l'invita à dîner dans un Château, avec quelques autres de fes amis, & leur fit une chère magnifique. Le diner fini, & les conviés retirés, il le tire à part, lui fait mettre les fers aux pieds & aux mains par des gens apoftés, fe met dans un fauteuil, comme Juge, & l'interroge. Comme ce malheureux ne demeuroit d'accord de rien, il lui duit des témoins, & fait paroître tout-d'un-coup la perfonne qu'il avoit féduite. Alors cet Officier tout effrayé, lui avoua qu'il avoit été de fes amis, mais qu'elle lui avoit fait plufieurs avances; que de fon côté, il ne lui avoit rien promis, & ne lui avoit jamais donné parole de l'époufer. Baleins continuant fon perfonnage de Juge, fait écrire par un fecrétaire, l'interrogatoire, les dépofitions des témoins, & leur fait figner le tout; puis fur les ferments pris des témoins, & fur la confeffion de l'accufé, le condamne à mort. Alors le même homme Tome II, Ff

pro

qui avoit été l'accufateur, le témoin & le juge, vouJut encore être le bourreau; il poignarda ce malheureux, qui réclamoit inutilement Dieu & les hommes, & qui fe plaignoit de l'infraction des droits de l'hofpitalité. Baleins renvoya le corps aux parents du mort; mais comme il jugeoit que fi cette action venoit, par une voie étrangère, à la connoiffance du Roi de Navarre, de qui il tenoit fa commiffion, on ne manqueroit pas de prévenir ce Prince contre lui, il prit le parti de l'en informer lui-même, & lui manda le détail de ce qui s'étoit paffé, ajoutant que dans un jufte fujet de se venger d'un affront fi fenfible, il n'avoit cependant rien fait, que fuivant les formes de la juftice; qu'il lui envoyoit les copies du procès, & qu'il gardoit les originaux pour fa juftification; qu'il le fupplioit de lui donner fa grace, difpofé, s'il le fouhaitoit, de remettre le château à qui il le jugeroit à propos; qu'il étoit affez content d'avoir trouvé le moyen de fe venger par fes mains, de l'outrage qu'il avoit reçu. Le Roi de Navarre fut irrité de l'audace de Baleins & de l'énormité de cette action; cependant, comme il appréhendoit que s'il refusoit à cet homme violent, ce qu'il demandoit, il ne se portât à quelque réfolution qui pouvoit être dangereufe dans les conjonctures préfentes, il lui envoya fa grace; mais en même-temps il fit partir un homme de confiance, pour prendre poffeffion du château. Baleins le remit fans difficulté, fur les ordres du Prince, & fe retira avec fa famille, dans une maifon affez forte, qu'il avoit dans le voisinage: De Thou,

Un Français de Xaintonge, paffant par Damas,en revenant de Jérufalem, rencontra un Juge du lieu, qui lui donna, fans fujet, un foufflet fi violent, qu'il l'abattit à fes pieds. Le Français, diffimulant cet affront, réfolut de s'en venger. Pour cet effet, il s'absenta trois ans de cette ville; & ayant bien appris la langue Turque, il fe déguifa en Dervis. (Ces Religieux portent un cimeterre au côté, avec un

couteau à la ceinture, difant:que c'eft pour faire obferver les commandements de leur grand Prophète.) Ce feint Dervis revint à Damas, où il affiftoit tous les jours à l'audience du Juge; ce qu'il continua pendant trois ans, attendant une occafion propre pour faire fon coup. Enfin, un jour entendant ce Juge prononcer une fentence contre un orphelin, à qui on demandoit injustement un héritage, il s'approcha de lui, & lui donna un fi grand coup de couteau au front, qu'il le jetta mort à fes pieds, puis fe mit froidement fur le fiége, difant que le jugement qui venoit d'être prononcé, étoit injufte, & qu'il falloit revoir le procès. Tout le monde y confentit, par le respect qu'on lui portoit, & le jugement fut rendu en faveur de l'orphelin. Le corps du Juge fut porté en fa maison, & on loua beaucoup l'affaffin. Cet homme, fatisfait de fa vengeance, fe retira fans bruit, & s'en alla à Tripoli, où un Français lui reprocha qu'il l'avoit vu en habit de Dervis, ce qu'il confeffa, & en dit la raifon inconfidérément. La chofe ayant été rapportée à quelques Turcs, on fe faifit de lui, & on le vifita pour voir s'il étoit circoncis. Comme on vit qu'il ne l'étoit pas, on le ramena à Damas, où le voyageur Vincent Leblanc, qui rapporte ceci, levit exécuter à mort.

Murat rapporte, dans fes Lettres, qu'une Anglaife étant au lit de la mort, fit appeller fon mari, & qu'après avoir ému sa sensibilité, par le détail de fes fouffrances, elle le conjura de lui pardonner dans ce dernier moment, une faute dont elle étoit coupable envers lui. Le mari lui ayant promis ce qu'elle defiroit, elle lui avoua qu'elle lui avoit fait infidélité. Je vous le pardonne, répondit le mari; mais j'attends pareillement de vous, le pardon du mal que je vous ai fait. L'Anglaife le lui ayant promis de tout fon cœur : C'eft, lui dit l'époux, que m'étant apperçu de ce que vous venez de m'avouer, je vous ai empoisonnée, ce qui eft la cause de votre mort.

Un Italien, quoique réconcilié en apparence avec fon ennemi, depuis plufieurs années, confervoit néanmoins toujours pour lui une haine secrète. Un foir qu'ils fe promenoient ensemble dans un lieu écarté, l'Italien le prit parderrière, le renverfa, & lui mettant le poignard fur la gorge, le menaça de le tuer, s'il ne renivit Dieu. L'autre, après avoir fait beaucoup de difficulté, s'y réfolut à la fin, pour éviter la mort. L'Italien n'eut pas plus tôt obtenu ce qu'il demandoit, qu'il lui plongea le poignard dans le fein, & fe retira après, en fe vantant de s'être vengé de la manière du monde la plus terrible, en faisant périr en même-temps le corps & l'ame de fon ennemi: Apologie d'Herodote.

Tirons le rideau fur cette fcène d'horreur, pour en préfenter une qui a pu donner lieu à la petite comédie du Médecin malgré lui. Borife Godounove, grand Duc de Mofcovie, étant tourmenté de la goutte, invita par de grandes promeffes, ceux qui y fauroient quelques remèdes, de les lui déclarer. La femme d'un Boiarre, irritée des mauvais traitements de fon mari, & defirant de s'en venger, usa du ftratagême de la femme de Sganarelle. Elle publia que fon mari avoit un fpécifique excellent pour la goutte; mais qu'il n'aimoit point affez fa Majefté pour le lui donner. On envoya quérir cet homme. Il eut beau protefter fon ignorance, on le fouetta jufqu'au fang, & on le mit en prifon. Les plaintes qu'il fit contre fa femme, ne fervirent qu'à le faire maltraiter plus rudement. Enfin, on lui fit dire qu'il envoyât fon remède, ou qu'il fe préparât à mourir. Ce malheureux, voyant fa perte inévitable, feignit d'avouer qu'il favoit quelques remèdes, mais qu'il n'avoit ofé les employer pour la Majefté, & que fi on vouloit lui donner quinze jours pour les préparer, il s'en ferviroit. Les ayant obtenus, il envoya à Czirback, à deux journées de Mofcou, fur la rivière d'Occa, d'où il fe fit amener un chariot de toutes fortes d'her

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