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bes, bonnes & mauvaises, & en prépara un bain pour le grand Duc, qui y recouvra la fanté. On fe confirma alors dans la penfée, que le refus du Boïarre ne provenoit que de fa malice; c'eft pourquoi on le fouetta encore plus fort que les deux premières fois. Le Prince lui fit enfuite préfent de quatre-cents écus, & de dix-huit payfans pour les pofféder en propre, avec des défenfes très-rigoureufes d'en avoir du reffentiment contre fa femme. Il fe foumit à cet ordre; car on rapporte qu'ils vécurent depuis dans une amitié parfaite: Oléarius.

VENITIENS.

VENISE, fituée au milieu de Laguner, n'a

qu'un commerce précaire, & des richeffes fonIdées fur l'inaction de fes voifins. Auffi les Venitiens montrant un jour en grande pompe, leur tréfor de Saint Marcà un Ambaffadeur d'Espagne, celui-ci, pour tout compliment, ayant regardé fous les tables, feur dit: Qui non c'è la radice. Il n'y a peut-être pas de pays au monde où l'on foit plus libre qu'à Venife, pourvu qu'on ne fe mêle point des affaires du gouvernement, fur lequel il faut obferver un filence refpectueux. On rifque même à le louer, prefque autant qu'à le blâmer. Un Sculpteur Génois, s'entretenant avec deux Français, ceux-ci fe répandirent en invectives contre le Sénat & la République, & le titre de Pantalon fut donné plufieurs fois aux Sénateurs. Le Génois défendit les Venitiens le mieux qu'il lui fut poffible. Le lendemain il eut ordre, de la part du Confeil, de fe préfenter. Il arriva tout tremblant. On lui demanda s'il reconnoîtroit les deux perfonnes avec qui il avoit eu une converfation fur -le gouvernement de la République? A ce difcours, fa peur redoubla, il répondit qu'il croyoit

n'avoit rien dit qui ne fût en faveur du Sénat. On lui ordonna de paffer dans une chambre voisine, où il vit les deux Français morts & pendus au plancher. Il crut fa perte affurée; mais on le ramena devant les Sénateurs, & celui qui préfidoit, lui dit gravement: Taifez-vous une autrefois, mon ami, notre République n'a pas befoin d'un défenfeur de votre espèce: Lettres Juives.

Un Français fe promenant à Venife, dans la place de Saint Marc, heurta par mégarde, un de ces nobles dont Venife eft remplie. Le noble le prit gravement par le bras, & le pria de lui apprendre quelle bête il croyoit la plus lourde & la plus pefante. Le Français, étonné d'une pareille queftion, refta quelque temps fans répondre. Mais le Venitien, fans rien perdre de fa gravité, lui ayant redemandé la même chofe, le Français répondit bonnement, qu'il croyoit que la bête la plus lourde étoit un éléphant. He bien ! dit fièrement le Venitien, apprenez, monfieur l'éléphant, qu'on ne heurte point un noble Venitien: Lettres Juives.

Comme les gondoliers Venitiens paffent la plus grande partie de leur vie, prefque en tête-à-tête avec la nobleffe, les plus honnêtes citadins, & les étrangers de diftinction, qui tous les jours abordent à Venife, ils fourniffent fouvent à la converfation par des plaifanteries: on leur permet même en ce genre, des libertés; en voici un exemple. Les rues de Venife font éclairées la nuit, par de très-petites lanternes, fufpendues comme celles qui éclairent les rues de Paris. Un noble, paffant dans une rue où un gondolier étoit occupé à en fufpendre une, lui dit de la tenir plus haute; elle l'eft affez, réplique le gondolier, pour les cornes de nous autres; toutefois, fi votre excellence la juge trop baffe, je la relèverai. L'excellence paffa, & s'empreffa de régaler fes amis, du mot du gondolier: Obfervations fur l'Italie.

Le même obfervateur rapporte que ces gondo

liers ont le privilége exclufif dont jouiffoit M. de Roquelaure à la Cour de Louis XIV. On leur faic honneur de tous les bons mots, dont des raifons de décence ou de politique ne permettent pas aux véritables pères, de fe déclarer: tel étoit celui que l'on citoit, lors de l'exaltation du Pape actuel. Depuis la rupture éclatante entre la République & Benoît XIV, ce Pape n'avoit donné le chapeau à auçun Venitien : Nous avons été long-temps fans chapeau, faifoit-on dire à un gondolier: Ma habbiano adeffo il capelliere.

VÉRITÉ.

Ꭰ DANS les pays foumis au pouvoir arbitraire, la

moi,

vérité a befoin de quelque emblême, pour le préfenter devant le Prince. Un Roi de Perfe venoit,dans un mouvement de colère, de dépofer fon grand Vifir, & en avoit mis un autre à fa place. Cependant comme il n'étoit pas d'ailleurs mécontent des fervices du déposé, il lui dit de choisir dans fes Etats, un endroit tel qu'il lui plairoit, pour y jouir le refte de fes jours, avec fa famille, des bienfaits qu'il avoit reçus de lui jufqu'alors. Le Vifir lui répondit: « Je n'ai pas befoin de tous les biens dont votre » Majefté m'a comblé, je la fupplie de les repren » dre; & fi elle a encore quelque bonté pour » je ne lui demande pas un lieu qui soit habité » je lui demande avec inftance, de m'accorder quel" que village défert, que je puiffe rétablir avec » mes gens, par mon travail, mes foins & mon » induftrie". Le Roi donna ordre qu'on cherchât quelques villages tels qu'il les demandoit; mais après une grande recherche, ceux qui en avoient eu la commiffion, vinrent lui rapporter qu'ils n'en avoient pas trouvé un feul. Le Roi le dit au Vifir dépofé, qui lui répondit: « Je favois fort bien qu'il » n'y avoit pas un seul endroit ruiné dans tous les

"pays dont le foin m'avoit été confié. Ce que j'en ai fait, a été afin que votre Majefté fût elle» même en quel état je les lui rends, & quelle en >> charge un autre qui puiffe lui rendre un aussi "bon compte.."

Un jeune Prince très-puiffant régnoit dans les Indes; il étoit d'une fierté qui pouvoit devenir funefte à fes fujets & à lui-même. On effaya en vain de lui repréfenter que l'amour de ses sujets est toute la force & toute la puiffance du Souverain. Ces fages remontrances ne fervirent qu'à faire périr leurs auteurs dans les tourments. Un Bramine, ou Philofophe, dans le deffein de lui indiquer cette vérité fans toutefois s'expofer au même péril, imagina le jeu des échecs, où le Roi, quoique la plus importante de toutes les pièces, eft impuiffant pour attaquer & même pour fe défendre contre fes ennemis, fans le fecours de fes fujets & de fes foldats. Le Monarque étoit né avec beaucoup d'efprit; il fe fit luimême l'application de cette leçon utile, changea de conduite, & par-là prévint les malheurs qui le menaçoient. La reconnoiffance du jeune Prince lui fit laiffer au Bramine, le choix de la récompenfe. Celui-ci demanda autant de grains de bled qu'en pourroit produire le nombre des cafes de l'échiquier en doublant toujours depuis la première jufqu'à la foixante-quatrième, ce qui lui fut accordé fur-lechamp & fans examen. Mais il fe trouva, par le calcul, que tous les tréfors & les vaftes Etats du Prince ne fuffifoient point pour remplir l'engagement qu'il venoit de contracter. Alors notre Philofophe faifit cette occafion, pour lui représenter combien il importe aux Rois, de fe tenir en garde contre ceux qui les entourent, & combien ils doivent craindre que l'on n'abufe de leurs meilleures intentions.

Kambi, Empereur de la Chine, avoit toujours foin de faire fervir fur fa table, des vins d'Europe. Un jour cet Empereur ordonna à un Mandarin, fon plus fidèle favori, de boire avec lui. Le Prince

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s'enivra, & tomba enfuite dans un profond fommeil. Le Mandarin, qui craignoit les fuites de cette intempérance, paffa dans l'antichambre des Eunuques, & leur dit que l'Empereur étoit ivre; qu'il étoit à craindre qu'il ne contractat l'habitude de boire avec excès, que le vin aigriroit encore davantage fon humeur, déjà trop violente; & que, dans cet état, il n'épargneroit pas même fes plus chers favoris. Pour éviter un fi grand mal, ajouta le Mandarin, il faut que vous me chargiez de chaînes, & que vous me faffiez mettre dans un cachot comme fi l'ordre étoit venu de l'Empereur. Les Eunuques approuvèrent cette idée, pour leur propre intérêt. Le Prince furpris de fe trouver feul à fon réveil, demanda ce qu'étoit devenu fon compagnon de table. On lui répondit, qu'ayant eu le malheur de déplaire à Sa Majefté, on l'avoit conduit par fon ordre, dans une étroite prifon, où il devoit recevoir la mort. Le Monarque parut quelque temps rêveur, & donna ordre enfin que le Mandarin fût amené. Il parut chargé de chaînes, & fe jetta aux peids de fon maître comme un criminel qui attend l'arrêt de fa mort. Qui t'a mis dans cet état, lui dit le Prince ? Quel crime as-tu commis? Mon crime, je l'ignore, répondit le Mandarin, je fais feulement que votre Majesté m'a fait jetter dans un noir cachot pour y être livré à la mort. L'Empereur retomba dans une profonde rêverie, il parut furpris & troublé. Enfin, rejettant fur les fumées de l'ivreffe, une violence dont il ne conservoit aucun fouvenir, il fit ôter les chaînes au Mandarin, & l'on remarqua que depuis il évita toujours l'excès du vin Hiftoire des Voyages.

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Un autre Empereur de la Chine, nommé VouTi, avoit beaucoup de penchant pour les fciences occultes. Un impofteur lui apporta un jour un élixir, & l'exhorta à le boire, lui promettant que ce breuvage le rendroit immortel. Un de fes Miniftres, qui étoit préfent, ayant tenté inutilement

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