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des plaintes à M. de Feuquières, Gouverneur de la ville, qui envoya chercher le mari brutal. Celuici fe défendit le mieux qu'il put; & comme il difoit avec emportement à M. de Feuquières, que s'il connoiffoit la méchanceté de fa femme, il ne le condamneroit pas, un voifin qu'il avoit amené avec lui, s'approcha, & lui dit doucement pardeffus l'épaule: « Compère, il y a raison par-tout; » on fait bien qu'il faut battre une femme, mais » il ne faut pas l'affommer ». On loua le voifin, de fon bon jugement, & l'on renvoya le mari, à qui on recommanda de s'y conformer à l'avenir.

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Un homme fort riche étant à l'article de la mort, avoit envoyé chercher un Notaire de Paris, nommé Sainfrai, pour lui dicter fon teftament. Il lui recommanda fur-tout, d'en rédiger les claufes, d'une manière fi claire & fi nette, qu'il ne pût y avoir entre fes héritiers, aucune conteftation après la mort. Un teftament qui ne foit contefté, répondit Sainfrai! il faudroit que je fuffe bien habile!« Jefus - Chrift qui étoit le plus fage de >> tous les hommes, & qui, de plus, étoit Dieu, » n'en a jamais fait qu'un, que l'on conteste depuis feize cents quatre-vingt & tant d'an»nées, & qui fait encore tous les jours naître » de nouveaux procès: il n'y a pas d'apparence que je faffe ce qu'il n'a pas fait»: Lettres de Bourfault.

M. Feuillet, célèbre prédicateur, du temps de Louis XIV, regardoit Monfieur faire collation en carême. Monfieur, en fortant de table, lui montra un petit bifcuit qu'il prit encore fur la table, en difant: Ce n'eft pas rompre le jeûne, n'eftil pas vrai? Feuillet lui répondit: Mangez un veau, & foyez Chrétien.

M. Racine rapporte dans une de ses lettres, cette petite vengeance d'un Moufquetaire: il étoit fur un des petits degrés de Versailles. Un Officier qui étoit derrière lui, le prenant pour un de fes meilleurs amis, lui donna en badinant, un coup

de pied dans le derrière; puis s'étant apperçu de fon erreur, il lui fit beaucoup d'excufes. Mais le Moufquetaire, fans fe payer de ses raifons, prit le moment qu'il avoit le dos tourné, & lui donna auffi un coup de pied, de toute fa force; après quoi il le pria de l'excufer, difant qu'il l'avoit pris auffi pour un de fes amis. Cette affaire, ajoute M. Racine, a paru fort étrange,& auroit pu avoir des fuites, fi on n'avoit pris foin d'accommoder promptement les deux partis.

Un Archevêque de Narbonne, de la maifon de Gondi, entretenoit un magnifique jardin qui étoit le rendez-vous de tous les honnêtes gens de la ville & des environs. Mais on avertiffoit ceux qui entroient, de ne rien gaspiller, afin de laiffer aux autres, la vue de ces belles fleurs qu'on y cultivoit. Un jour que l'Archevêque étoit à une fenê→ tre qui donnoit fur le jardin, il apperçut une dame qui ravageoit le parterre pour fe faire un bouquet des plus belles fleurs. Il appella un domef tique, & le chargea de porter à cette dame, un écu, de fa part, pour s'acheter des fleurs chez les jardiniers; ajoutant que celles de ce jardin n'étoient que pour le plaifir du public, & non pour le fervice des particuliers. La dame fentit cet affront, jetta les fleurs par terre, fortit fort indignée de cette prétendue impoliteffe de l'Archevêque, qui, pour toute fatisfaction, lui fit dire que fon jardin n'étoit ouvert que pour les perfonnes qui favoient vivre. Nouveau Porte-feuille imprimé en 1757.

L'Empereur Rodolphe II, ayant appris qu'il y avoit en Franche-Comté, un chymifte qui paffoit pour être certainement un adepte, envoya un homme de confiance pour l'engager à venir le trouver à Prague. Le commiffionnaire n'épargna ni perfuafion, ni promeffe, pour s'acquitter de La commiffion; mais le Franc-Comtois fut inébranlable, & fe tint conftamment à cette réponse: «< Ou »je fuis adepte, ou je ne le fuis pas : fije le fuis » je n'ai pas besoin de l'Empereur; & fi je ne la

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fuis pas, l'Empereur n'a que faire de moi Nouveau Porte-Feuille.

En 1663, l'Evêque d'une petite ville de guerre s'étant avifé le premier, de donner le nom de valet-de-chambre à un de fes laquais, & de lui faire porter l'épée, on vit le lendemain le Gouverneur de la ville, qui fe faifoit faire la barbe par un de fes gens en foutane & en petit collet.

Le Sultan Amurath avoit défendu le tabac. Se trouvant un jour, déguifé à Scutari, il fe plaça dans la barque qui paffe à Conftantinople: il y avoit un Spahis qui fe mit à prendre du tabac? le grand Seigneur lui demanda s'il n'avoit pas peur des défenses. Il répondit que perfonne ne pouvoit l'empêcher d'en prendre, que c'étoit fon pain, & lui demanda s'il en vouloit. Le grand Seigneur, ayant pris fa pipe, fe mit dans un coin de Ja barque, pour fumer, comme s'il eût appréhendé d'être vu. Lorfqu'ils furent à terre, il invita le Spahis à venir boire du vin en un lieu où il y en avoit de bon. Celui-ci y ayant confenti, le grand Seigneur le mena vers le lieu où fes gens l'attendoient; & en étant affez proche, il crut, comme il étoit très-fort, qu'il pourroit lui feul arrêter cet homme, c'eft pourquoi il le prit par le coller. Le Spahis, étonné de cette hardieffe, foupçonna que c'étoit le grand Seigneur, & fe voyant perdu, il prit vitement fa maffe qui pendoit à fa ceinture, & lui en donna un si grand coup fur les reins, qu'il le jetta par terre & s'enfuit. Ce Prince piqué d'avoir manqué fon coup, fit publier qu'il tenoit pour brave celui qui étoit l'auteur de cette action, & que s'il fe préfentoit, il lui donneroit une grande récompenfe; mais le Spahis qui ne fe fioit pas à fa parole, demeura inconnu. Thevenot. Des Juifs de Conftantinople difputoient avec des Mufulmans, touchant le Paradis, & foutenoient qu'ils feroient les feuls qui y auroient entrée. Les Turcs leur demandèrent: « Puifque cela eft ainsi, fuivant votre fentiment, où vou

"lez-vous donc que nous foyons placés » ? Les Juifs n'eurent pas la hardieffe de dire que les Turcs en feroient exclus entièrement; ils répondirent feulement : « Vous ferez hors des murail"les, & vous nous regarderez ». Cette fingulière difpute alla jufqu'aux oreilles du Grand - Vifir, qui, ne cherchant que le moindre prétexte pour lever de nouveaux impôts fur les Juifs, dit: «Puifque cette canaille nous place hors de l'en» ceinte du Paradis, il eft jufte qu'elle nous four"niffe des pavillons, afin que nous ne foyons ›› pas expofés aux injures de l'air ». En mêmetemps il taxa le corps des Juifs, outre le tribut ordinaire, à une certaine fomme pour la dépense des pavillons du Grand-Seigneur,qu'ils paient encore aujourd'hui,

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Un Mandarin de Nankin paffoit pour le plus riche particulier de la Chine. L'Empereur Kambi, qui fe propofoit de lui enlever une partie de fes tréfors, lui fit dire de venir le trouver dans le parc où il fe promenoit. Il lui ordonna de prendre la bride d'un âne fur lequel il monta, & de le conduire autour du parc. Le Mandarin obéit, & reçut une pièce d'or pour récompenfe. L'Empereur voulut à fon tour lui donner le même amufement. En vain le Mandarin s'en excufa ; il fallut fouffrir que fon maître lui rendît l'office de palfrenier. Après cette bizarre promenade: Combien de fois, lui dit l'Empereur, fois-je plus grand & plus puiffant que toi? Le Mandarin fe profternant à fes pieds, lui répondit qu'on ne pouvoit faire entr'eux aucune comparaifon. Eh bien ! lui dit Kamhi, je vais la faire. Je fuis vingt mille fois plus grand que toi; ainfi, tu paieras ma peine à proportion du prix que j'ai cru devoir mettre à la tienne. Le Mandarin paya vingt mille pièces d'or, en fe félicitant, fans doute, de la modeftie de fon Souverain, qui pouvoit s'eftimer cent mille fois plus grand & plus puiffant que lui, Hiftoire des Voyages,

Le Calyphe Mahadi aimoit paffionnément la chaffe. Egaré de fa route, il entra chez un paysan, & lui demanda à boire. Celui-ci lui apporta une cruche de vin, dont le Calyphe but quelques coups. Mahadi lui demanda enfuite s'il le connoiffoit. Non, répondit l'Arabe. Je fuis, dit ce Prince, un des principaux Seigneurs de la Cour du Calyphe. Il but enfuite un autre coup, & demanda encore au payfan s'il le connoiffoit. Celui-ci lui répondit, qu'il venoit de lui dire qui il étoit. Ce n'eft pas cela, reprit Mahadi; je fuis encore plus grand que je ne vous l'ai dit. Là-deffus il but encore un coup, & répéta la première demande. L'Arabe impatient, lui repliqua qu'il venoit de s'expliquer luimême à ce fujet. Non, dit le Prince, je ne vous ai pas tout appris: je fuis le Calyphe, devant qui tout le monde fe profterne. A ces paroles, l'Arabe, au lieu de fe profterner, prit la cruche avec précipitation, pour la reporter où il l'avoit prife. Le Calyphe étonné, lui en ayant demandé la caufe: «C'eft, dit l'Arabe, parce que fi vous buviez en» core un coup, j'aurois peur que vous ne fuffiez » le Prophète; & qu'enfin, à un dernier coup, vous » ne prétendiffiez me faire accroire que vous êtes »le Dieu tout-puiffant ». Hift. des Arabes.

Le père Kircker, Jéfuite, rapporte dans une rélation de fes voyages, que revenant de Goa en Europe, & étant arrivé à l'embouchure du fleuve Indus, il entra dans un marécage rempli de rofeaux, du milieu defquels fortit tout-à-coup un crocodile énorme, qui vint à lui pour le dévorer; en même-temps il apperçut un tigre qui venoit auffi fe jetter fur lui. Ce pauvre père, placé entre deux périls inévitables, ne favoit à quel Saint fe vouer, lorfque tout-à-coup le tigre. s'étant élancé avec furie, tomba dans la gueule du monstrueux crocodile, qui, occupé de fa nouvelle proie, donna au Miffionnaire le temps de s'échapper. Cette fingulière aventure_rappelle celle d'un homme dont parle Aufonne. Sa femme

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