Images de page
PDF
ePub

des arts, fans goût pour les ouvrages de peinture & de fculpture, dont il ne difcernoit point le mérite il avoit chargé des entrepreneurs, de faire transporter à Rome, plufieurs tableaux & plufieurs ftatues des plus excellents maîtres. Jamais perte D'auroit été moins réparable que celle d'un pareil dépôt. Cependant le Conful, en recommandant le foin de ces précieuses richeffes à ceux à qui il les confioit, les menaça très-férieufement que fi les statues, les tableaux, & les autres chef-d'œuvres dont on les chargeoit de répondre, venoient à fe perdre ou à fe gåter en chemin, de les obliger à en fournir d'autres à leurs frais & dépens.

Combien d'ignorants s'ingèrent dans les différentes profeffions, & reffemblent à ce muficien inepte, dont il eft parlé dans l'hiftoire de la Chine du P. du Halde! Nan-ko, c'étoit le nom du perfonnage, voyoit que l'Empereur, qui aimoit fort la mufique, avoit adopté un inftrument particulier, & en faifoit jouer par trois-cents muficiens àla-fois. Il jugea qu'avec un peu de hardieffe il pourroit paffer dans la foule, & gagner des appointements. En effet, quoiqu'il ne fût rien, il le reçut comme le plus habile de la troupe, pendant plufieurs années. L'Empereur étant venu à mourir, fon fucceffeur qui n'aimoit pas les concerts bruyants voulut entendre jouer chacun de ces muficiens, l'un après l'autre. Que fit Nan-ko? lorfque fon tour vint, il prit la fuite. Oh! qu'il y auroit de profeffions défertes, fi tous les Nan-ko faifoient de même !

IMPOSTEURS.

L'HISTOIRE

'HISTOIRE nous fait connoître plusieurs impofleurs infignes, qui ont paru tour-à-tour fur la grande fcène du monde. Mais la plupart de ces impofteurs, tels que le faux Smerdis, le faux Démé

trius, Sabbathai-Sévi, &c., étoient, en quelque forte, des machines que des hommes puiffants mettoient en œuvre pour fecunder leurs deffeins & qu'ils abandonnoient ou qu'ils jettoient au feu, lorfque la farce étoit jouée. L'impofteur qui paroît avoir trouvé le plus de reffource dans fes propres rufes, eft le faux prophète Alexandre, Cet homme naquit en Paphlagonie, de parents pauvres. Sa taille étoit belle, il avoit l'œil vif, le teint blanc, la voix claire, le ton doux & affable, peu de barbe au menton, & quelques faux cheveux, mélés fi adroitement, qu'il étoit difficile de s'en appercevoir. Dans fa jeuneffe, il fe fervit de fa beauté contre l'indigence, fe proftituant à tout le monde, & principalement à un charlatan qui contrefaifoit le magicien, & débitoit plufieurs fecrets pour fe faire aimer ou hair, découvrir des tréfors, fe procurer des fucceffions, perdre fes ennemis, &c. Cet homme ayant reconnu au jeune Paphlagonien, un efprit vif & adroit prit plaifir à l'inftruire, auffi épris de fa beauté, que l'autre l'étoit de fon favoir. Alexandre devenu grand, & fon docteur étant mort, la néceffité le porta à entreprendre quelque chofe d'extraordinaire pour fubfifter. S'étant donc lié avec un Chroniqueur Bizantin, nommé Cocconas, le plus méchant de tous les hommes, ils coururent partout, cherchant à faire des dupes. Ils rencontrèrent dans leurs courfes, une vieille femme qui fe croyoit encore belle, & cherchoit à plaire : elle étoit de Pella, autrefois capitale de la Macédoine. Ces aventuriers la fuivirent de Bithynie jufques dans fa patrie, vivant, comme il y a lieu de croire, à fes dépens. On nourriffoit en Macédoine, de grands ferpents fi privés, qu'ils tettoient les femmes, & jouoient avec les enfants fans leur faire mal. Ils en achetèrent un des plus grands pour les feconder dans les fcènes qu'ils fe propofoient de jouer. Ils furent quelque temps à délibérer du lieu où ils commenceroient la pièce. Cocconas

choifit Calcédoine, ville de la Paphlagonie, à cause du concours en cette ville, de diverfes nations qui l'environnoient. Alexandre préféra fon pays, où les efprits étoient plus groffiers & plus fuperftitieux. Ces fourbes avoient caché des lames de cuivre dans un vieux temple d'Apollon, qui étoit à Calcédoine, fur lesquelles ils avoient écrit qu'Efculape viendroit bientôt avec fon père, établir fa demeure en cette ville. Ces lames ayant été trouvées, la nouvelle s'en répandit auffi-tôt par tout le Pont & la Bithynie, & principalement dans le lieu de la fcène. Les habitants décernèrent un temple à ces Dieux, & commencèrent à en creufer les fondements. Cependant Cocconas répandoit des oracles à Calcédoine, où il mourut, à ce que l'on croit, de la morfure d'une vipère. Immédiatement après fa mort, Alexandre prit fa place, avec une longue chevelure bien peignée, une faie de pourpre rayée de blanc, & un furplis pardeffus, vêtement des anciens Prophètes. Il tenoit dans fa main, une faulx comme Periée, de qui il prétendoit descendre du côté de sa mère, & publioit un oracle qui le difoit fils de Podalyre. Il débitoit un autre oracle de Sibylle, qui portoit : : Que fur les bords du Pont-Euxin, près de Sinope, il viendroit un libérateur d'Aufonie; &ilentremêloit tout cela adroitement, de termes myftiques & embrouillés. Annoncé par toutes ces prédictions, Alexandre fe vit en très-peu de temps accueilli & révéré comme un Dieu. Quelquefois il feignoit d'être faifi d'une fureur divine; & par le moyen de la racine d'une herbe qu'il mâchoir, il écumoit extraordinairement; ce que les fpectateurs avoient la fimplicité d'attribuer à la préfence du Dieu qui le poffédoit. Il avoit préparé longtemps auparavant une tête de dragon, dont la face offroit les traits d'un homme; elle étoit faite de linge, & la bouche s'ouvroit & fe fermoit par le moyen d'un crin de cheval. Il avoit deffein de s'en fervir avec le ferpent privé de Macédoine, qui de

voit faire le principal perfonnage de la comédie. Lorsqu'il crut qu'il étoit temps de commencer, il fe tranfporta la nuit, à l'endroit où l'on creufoit les fondements du temple, & y ayant trouvé de l'eau, foit de fource, foit de pluie, il y cacha un œuf d'oie, où il avoit enfermé un petit ferpent qui ne faifoit que de naître. Le lendemain il vint tout nu, de grand matin, dans la place publique, ceint d'une écharpe dorée, pour couvrir fa nudité, tenant en main fa faulx, & agitant fa longue chevelure, ainfi que les Prêtres de Cybèle; montant enfuite fur un autel élevé: Que ce lieu, s'écria-t-il, eft heureux, d'être honoré de la naissance d'un Dieu! A ces mots, tout le peuple qui étoit accouru à ce fpectacle, prêta attention, & fe mit à faire des prières, tandis qu'il prononçoit des termes barbares en langue Juive ou Phénicienne, ce qui les étonnoit encore plus. Il court vers le lieu où il avoit caché fon œuf d'oie ; & entrant dans l'eau, commence à chanter les louanges d'Apollon & d'Efculape, & invite celui-ci à defcendre & à fe montrer aux mortels. Il enfonce une coupe dans l'eau, en retire cet œuf myftérieux, & quand il l'eut dans fa main, il dit qu'il tenoit Efculape. Chacun étoit attentif à contempler ce beau mystère, lorfqu'ayant caffé cet œuf, il en fortit le petit ferpent qui s'entortilloit autour de fes doigts. On pouffe en l'air, des cris de joie, accompagnés de bénédictions & de lounges. L'un demande au Dieu la fanté; l'autre, des honneurs ou des richeffes. Cependant l'impofteur retourne en courant dans fa maison, tenant dans sa main, son Efculape, & fuivi d'une foule de peuple. Il fe tint enfermé jufqu'à ce que le Dieu fût devenu grand. Un jour enfin que toute la Paphlagonie étoit accourue à la ville où il demeuroit, & que fa maifon étoit pleine de monde, depuis le haut jufqu'en bas, il fe plaça fur un lit, revêtu de fes habits prophétiques; & tirant de fon fein, le ferpent qu'il avoit apporté de la Macédoine, il le

& traî

laiffa voir entortillé autour de fon cou, nant une longue queue, tant il étoit grand, mais il en cachoit, à deffein, la tête fous fon aiffelle, & ne faifoit paroître que la tête poftiche qu'il avoit préparée, & qui répréféntoit une figure humaine. Il avoit eu foin que le lieu de la scène ne fût pas trop éclairé; d'ailleurs on n'y restoit pas long-temps, & à mesure qu'on entroit, on fortoit par une autre porte. Ce spectacle dura quelques jours; il fe renouvelloit toutes les fois qu'il arrivoit quelque perfonne de diftinction. Toute la Bithynie, la Galatie & la Thrace y accoururent en foule, fur le rapport de la renommée. Le prophète voyant tous les efprits préparés, annonça que le Dieu rendroit des oracles dans un certain temps, & qu'on eût à écrire ce qu'on lui voudroit demander en un billet cacheté. Alors s'enfermant dans le fanctuaire du temple, il faifoit appeller, par un héraut, tous ceux qui avoient donné leurs billets, & les leur rendoit cachetés, avec la réponfe du Dieu. L'impofteur avoit le fecret d'ouvrir ces billets fans rompre le cachet. Des efpions & des émiffaires, qu'il avoit dans les provinces les plus éloignées, l'informoient de tout. Ses réponfes, d'ailleurs, étoient toujours obfcures ou ambiguës, fuivant la prudente coutume des oracles. Une foule de monde accouroit de toutes parts avec des victimes pour le Dieu, & des préfents pour le prophète; car le Dieu avoit ordonné, par un oracle, de faire du bien à fon miniftre, parce qu'il n'en avoit pas befoin pour lui. L'impofteur fachant bien qu'il falloit de temps en temps, de nouvelles fupercheries pour foutenir les premières, annonça qu'Efculape répondroit visiblement, & cela s'appelloit des réponses de la propre bouche du Dieu. Il opéroit cette fraude par le moyen de quelques arterres de grues, qui aboutiffoient à la tête de fon dragon poftiche, & fervoient d'organe pour porter la voix d'un homme qui étoit caché dans une chambre voifine. Cette prétendue faveur

« PrécédentContinuer »