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ne s'accordoit pas tous les jours; mais feulement pour les perfonnes diftinguées. L'oracle qu'il rendit à Severian, touchant l'entreprise d'Arménie, étoit une réponse de la propre bouche du Dieu, qui lui prédifoit la victoire. Après fa défaite, il en fubftitua un autre qui le détournoit de cette entreprife car il avoit l'impudence de corriger les oracles qui avoient mal réuffi; & s'il arrivoit qu'il eût promis la fanté à un malade, & qu'il vînt à mourir, il en publioit un tout contraire. Il avoit auffi l'adreffe, pour ne pas s'attirer l'inimitié des prêtres de Malte, de Claros & de Didyme, où l'on rendoit des oracles auffi trompeurs que les fiens, d'envoyer confulter ces oracles, fur-tout lorsqu'il étoit preffé de près, & qu'il vouloit éluder quelque demande. Ce faux prophète eut l'imprudence d'envoyer un oracle à l'Empereur Marc-Aurèle, qui faifoit la guerre à des nations voisines. Par cet oracle, il lui commandoit de jetter deux lions dans le Danube, avec plufieurs cérémonies, fur l'affurance d'une paix prochaine, qui feroit précédée d'une infigne victoire. Ces lions traverfant le fleuve, furent tués par les ennemis; & les Romains, qui furent défaits, laifsèrent plus de vingt mille hommes fur le champ de bataille. Notre Paphlagonien ne fut point embarraffé, il se servit de l'artifice employé par Apollon pour tromper Créfus, & dit qu'il avoit bien prédit la victoire, mais non pas qu'il feroit le vainqueur. Plufieurs Philofophes de la fecte d'Epicure voulurent démasquer cet impofteur; mais fes fectateurs, qui ne raifonnoient point, faifoient taire, par leurs clameurs, ceux qui entreprenoient de les déf bufer. Il paroît d'ailleurs que le gouvernement regardoit le métier de prophète comme bien d'autres, & laiffoit ceux qui s'en mêloient, profiter d'une induftrie qui mettoit tous les fots à contribution. Alexandre avoit prédit qu'il mourroit d'un coup de foudre, comme Efculape, à l'âge de cent-cinquante ans; mais il périt d'un ulcère, avant fa foixante-dixième année.

Voyez les impofteurs infignes de Rocoles, & le Confervateur, Décembre 1756.

Muncer, chef des Anabaptiftes & d'une troupe d'enthousiastes, étant pris, fut appliqué à la queftion. Comme on lui reprochoit d'avoir féduit tant de miférables, pour les faire périr, il fe prit à rire, & dit: Pourquoi me croyoient-ils ?

On voit dans l'hiftoire des héréfies, quelques hérétiques qui ont fu employer plufieurs prestiges, & profiter d'une éloquence de corps qui leur étoit propre, pour perfuader la multitude & accréditer leurs erreurs. On demandoit à un de ces vifionnaires, quel étoit l'objet de tous fes travaux ?. « Ah ! » répondit-il « vous ne favez pas le plaifir » qu'il y a de perfuader aux autres, ce que l'on ne >> comprend pas foi-même ». Ce vifionnaire affurément auroit pensé que la plupart de nos commentateurs avoient bien du plaifir. Il faut avouer cependant que plufieurs hérétiques fe font propofé un autre objet de leurs travaux. Quelques faux prophètes, comme Mahomet, fe font fervi des erreurs qu'ils ont jetées à la multitude, comme d'une bride que l'on met à une bête de fomme pour la conduire plus facilement.

La Voifin, qui faifoit commerce de poifon, cherchoit auffi à duper le public, par fes prétendues intelligences diaboliques Lorfqu'on la confultoit fur ces diverfes chofes, & qu'on vouloit lui expliquer le fait: Taifez vous, s'écrioit-elle, je ne veux point favoir vos affaires; c'eft à l'efprit qu'il faut les dire; car c'eft un efprit jaloux, qui ne veut point qu'on entre dans fes fecrets; je ne puis que le prier pour vous, & lui obéir. Elle alloit enfuite chercher du papier, qu'elle difoit être charmé : elle vous donnoit les noms les titres & les qualités de l'efprit ; & après vous avoir dicté le début de la lettre, elle vous laiffoit la liberté de l'achever, & d'y dire vos petites raisons au plus jufte. Quand vous aviez achevé de mettre toutes vos questions par écrit, la rufée magicienne,

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venoit avec un réchaut plein de braise à la main & une boule de cire vierge dans l'autre. Pliez, difoit-elle, cette boule dans votre lettre & vous verrez consumer l'une & l'autre par le feu; car l'efprit fait déjà ce que vous avez à lui dire, & dans trois jours vous pouvez venir favoir la réponse. Cela dit, la Voifin prenoit le paquet, de la main de la perfonne, & le jettoit dans le feu, où il étoit d'abord entièrement confumé. Cependant trois jours après, on avoit une réponse positive à tout ce qu'on avoit écrit, que l'on trouvoit toute cachetée chez la prétendue forcière. L'adreffe de la Voifin faifoit tout le preftige. Cette femme avoit dans la main, une boule de cire pliée dans un papier écrit; le paquet étoit de même forme & de même groffeur, & tout confiftoit dans la fubtilité avec laquelle elle escamotoit celui qu'on lui préfentoit, & jettoit l'autre dans le feu. Elle favoit, par ce moyen, ce qu'on demandoit à l'efprit; & il lui étoit aifé, pendant les trois jours qu'il falloit laiffer écouler avant d'avoir la réponse, de s'inftruire plus particulièrement des affaires & de l'humeur de la perfonne, & de lui écrire, fous le nom de l'esprit, les chofes que le hazard & les intrigues qu'elle avoit, faifoient fouvent réuffir. C'est par ces pratiques criminelles que cette femme, qui a eu le fort qu'elle méritoit, s'étoit acquis un droit fur la crédulité des fuperftitieux & des ignorants: Lettres de Mad. Defnoyer.

Il a paru de notre temps, quelques autres impofteurs obfcurs, qui, fe propofant pour objet de mettre à contribution la commifération publique, ont reçu le châtiment de leurs fourberies. Les papiers Anglais de 1760, fort mention qu'une jeune femme, habillée en homme, avoit effayé de fe pendre à Nord-Wood; mais qu'elle en avoit été empêchée par quelques perfonnes qui l'avoient apperçue. Elle fut tranfportée à Bath, où on lui donna les fecours dont elle avoit befoin, & delà on la remit entre les mains de fes amis. On trou

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va un papier attaché à un arbre, près du lieu qu'elle avoit choifi pour fon funefte deffein, & fur ce papier étoient écrits des vers, dont voici te fens: « Jeunes amants, qui paffez par ce lieu, » jettez un œil de pitié fur une femme infortu» née, dont l'amour avoit égaré la raison. Quoi» que déguifée fous les vêtements d'un homme, elle » chériffoit l'honneur & la vertu. Quand vous >> m'aurez trouvée, je ne vous demande qu'une » bière & un tombeau. Si l'on ouvre mon fein, » après ma mort, vous y verrez un cœur déchiré >> par fes maux ». Quelques jours après, cette femme entra dans la boutique d'un Apothicaire de Bristol, & demanda du poifon, que l'Apothicaire lui refufa prudemment, quoiqu'elle le follicitât vivement, & lui offrît cent guinées pour le tenter. Cette femme voyant que fes inftances étoient inutiles, menaça de fe couper la gorge, & fortit de la boutique avec précipitation. On la fuivit & en la ramena chez cet Apothicaire, où elle fut examinée par un Alderman & quelques autres perfonnes. Elle leur dit qu'elle étoit la femme qu'on avoit trouvée pendue à Nord-Wood, près de Bath, & à qui on avoit fauvé la vie; qu'elle étoit d'une noble famille, mais qu'elle mourroit plutôt que de révéler fon nom; qu'elle avoit quitté la maison paternelle pour une intrigue d'amour, qu'elle n'avoit point de crime à fe reprocher; qu'elle avoit pris les habits d'un homme, & s'étoit engagée comme fimple foldat; enfin, que ne pouvant plus réfifter aux peines & aux humiliations qui la tourmentoient, elle avoit pris le parti de fecouer le fardeau indifpenfable de la vie. Elle fut transportée à l'hôpital de faint Pierre, & l'on fit des informations pour découvrir fon nom & fa famille. On reconnut enfin que cette prétendue femme étoit un libertin & un impofteur qui quoique vêtu des habits de fon fexe, avoit réufli à fe faire paffer pour femme, parce qu'il joignoit à une voix grêle, un vifage efféminé. Il avoit in

téreffé en fa faveur toutes les femmes, qui le regardoient comme une victime de l'amour malheureux. Le juge même, qui l'avoit interrogé, n'avoit pu s'empêcher de répandre des larmes fur le prétendu défefpoir amoureux de cet impofteur. On le mit dans une maifon de correction, & il fut condamné à être févèrement fuftigé.

Les mêmes papiers Anglais ont publié qu'on entendit, il y a quelques années, un arbre qui gémiffoit dans les forêts d'Angleterre. Le propriétaire du terrain où se trouvoit cet arbre, tira beaucoup d'argent des gens de la campagne, qui accouroient pour voir & entendre une chofe auffi merveilleure. A la fin quelqu'un proposa de couper l'arbre; mais le propriétaire s'y oppofa, non par aucune vue d'intérêt propre, difoit-il modeftement, mais dans la crainte que celui qui oferoit y mettre la coignée, n'en mourût fubitement. On trouva cependant un homme qui n'avoit pas peur de la mort fubite, & qui abattit l'arbre à coups de hache. Alors on découvrit un tuyau qui formoit une communication à plufieurs toifes fous terre & par le moyen duquel on produifoit les gémiffements qu'on avoit entendus.

INGRATITUD E.

Des pêcheurs, en jettant leur filet en mer, ap

perçoivent un homme prêt à fe noyer. L'un d'eux prend auffi-tôt fon croc, fe faifit de cet homme qu'il touche à l'œil; après l'avoir transporté dans fon lit, il le fait revenir par fes foins. Cet homme, en recouvrant la fanté, reconnoît qu'il lui manque un œil, il accufe le pêcheur de le lui avoir crevé, & le traduit en juftice. Ils plaident leur caufe. Comme les juges paroiffoient embarraffés un affiftant fé leva, & dit qu'il falloit jetter de nouveau, cet homme à la mer, précisément dans

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