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l'endroit d'où l'on avoit retiré; & que, s'il fe fauvoit fans le fecours de perfonne, on condamneroit le pêcheur à lui donner des dommages & intérêts. Ce confeil fut fuivi, mais le plaignant fe garda bien de tenter l'aventure. Ce conte, qui eft ancien, fait voir qu'il ne revient que du mal, des fervices rendus à un ingrat.

Un gentilhomme Efpagnol fe vengea un jour, d'une manière affez particulière, de l'ingratitude d'un favori de Charles V, Roi d'Efpagne. Ce gen-. tilhomme avoit fait préfent au feigneur de Chievre (c'étoit le nom du favori) de la plus belle mule qui fût dans le Royaume. Elle étoit fuperbement enharnachée, & ce favori en parut charmé. Peu de jours après, Chièvre étant à une fenêtre où il prenoit l'air, & s'entretenoit avec un feigneur de fes amis, ils virent paffer cette mule. L'ami charmé du poil, de la fineffe & du pas de cet animal, demanda au favori d'où il l'avoit eue: Chièvre répondit froidement qu'il ne s'en fouvenoit pas, Le gentilhomme qui la lui avoit donnée, étoit présent; il ne put entendre ces mots fans un extrême dépit, & fe retira avec un defir fecret de mortifier l'ingrat qu'il avoit obligé. Il fit répandre à cet effet, par toute la ville, des affiches dans lefquelles il expofoit avoir perdu depuis tel temps, une mule de prix. Il la dépeignit d'ailleurs. fi bien, qu'au fignalement qu'il en donnoit, elle étoit très-reconnoiffable. On fut bientôt à la Cour que la mule perdue & criée, étoit celle dont le feigneur de Chièvre fe faifoit honneur, ce qui apprêta à rire pendant quelque temps, aux dépens de ce favori.

Tacite remarqué que les Tyrans regardent' toujours de mauvais œil, ceux qui leur ont rendu de grands fervices, ou qui fe diftinguent par des qualités éminentes. Ajoutons que ces Princes, qui déshonorent le trône, affectionnent plus ceux qui leur font obligés, que ceux à qui ils ont eux-mêmes obligation. La reconnoiffance femble être pour

eux, un fardeau dont ils cherchent bientôt à fe délivrer par la calomnie & l'injuftice. L'Empereur Bafile, courant à la chaffe, un cerf le prit avec fon bois, par la ceinture. Quelqu'un de fa fuite tira fon épée, coupa cette ceinture, & le délivra. II lui fit trancher la tête, parce qu'il avoit, difoit-il, tiré l'épée contre lui: Hiftoire de Nicéphore.

&

Un Roi de Mandoa, dans l'Indouftan, étant tombé dans une rivière, en fut heureusement retiré par un esclave qui s'étoit jeté à la nage, l'avoit faifi par les cheveux. Son premier foin, en revenant à lui-même, fut de demander le nom de celui qui l'avoit retiré de l'eau. On lui apprit l'obligation qu'il avoit à l'efclave, dont on ne doutoit pas que la récompenfe ne fût proportionnée à cet important fervice. Mais il lui demanda comment, il avoit eu l'audace de mettre la main fur la tête de fon Prince, & fur-le-champ il lui fit donner la mort. Quelque temps après, ce même Prince étant affis dans l'ivreffe, fur le bord d'un bateau, près d'une de fes femmes il fe laiffa tomber encore une fois dans l'eau. Cette femme pouvoit aifément le fauver; mais croyant ce fervice trop dangereux, elle le laiffa périr, en donnant pour excufe, qu'elle fe fouvenoit de l'histoire du malheureux efclave: Hiftoire des Voyages.

INSTINCT DES ANIMAUX.

Nous placerons fous cet article, quelques anec

dotes qui prouvent que les animaux le rappellent, combinent jufqu'à un certain point, les fenfations qu'ils ont éprouvées, & qu'ils en tirent des réfultats relatifs à leurs befoins.

Ileft d'ufage dans les penfions, d'avertir de l'heure des repas par le fon d'une cloche. Le chat de la maifon, qui ne trouvoit fon dîner au réfectoire, que quand il avoit entendu ce fon, ne manquoit

pas d'y être attentif. Il arriva un jour qu'on l'avoit enfermé dans une chambre, & ce fut inutilement pour lui, que la cloche avoit fonné : quelques heures après, ayant été délivré de fa prifon, fon appétit le fit defcendre tout de fuite au réfectoire; mais il n'y trouva rien. Au milieu de la journée on entend fonner, chacun veut favoir ce que c'eft, on trouve le chat qui étoit pendu à la cloche, & qui la remuoit tant qu'il pouvoit, pour faire venir un fecond dîner.

On rapporte à-peu-près la même chofe, d'un chien que l'on nourriffoit dans une communauté, Tous ceux de cette communauté, qui arrivoient tard, & vouloient prendre leur repas, tiroient une petite fonnette, & le cuifinier paffoit leur portion par le moyen d'une boîte tournante, qu'on appelle tour dans les maifons religieufes. Le chien étoit attentif à tous ces mouvements, parce qu'ordinairement on lui abandonnoit quelques os, dont il fe régaloit. Ces revenants-bons ne fatisfaifoient pas toujours fon appétit, néanmoins il s'en contentoit, lorsqu'un jour, n'ayant pu rien attraper, il s'avife de tirer lui-même la fonnette avec fa gueule. Le garçon de cuifine, croyant que c'étoit une perfonne de la communauté, paffe une portion; le chien ne s'en fait pas faute, & l'avale dans le moment. Le jeu lui paroît doux, il recommence le lendemain, & für de fa pitance, ne fait plus la cour à perfonne. Cependant le cuifinier, qui s'étoit plufieurs fois apperçu qu'on lui demandoit une portion de plus, porta fes plaintes. On fait des recherches, on examine, on furprend à la fin le drôle, qui ordinairement n'attendoit pas que toutes les perfonnes de la communauté euffent leur portion pour demander la fienne. On admira la fineffe de cet animal; & pour ne pas le priver du fruit de fon industrie, on continua de lui paffer la pitance, que l'on composoit de tout ce qui étoit refté fur les affiettes.

Un autre chien, non moins avisé, étoit dreffé

à faire plufieurs commiffions. Lorfque fon maître vouloit l'envoyer chez le traiteur, il faifoit certains fignes que le chien connoifloit, & cet animal revenoit gaiement avec ce que le traiteur lui avoit mis à la gueule. Tout alloit au mieux, lorfqu'un beau foir deux chiens du quartier, flattés par l'odeur de petits pâtés que ce nouveau meffager portoit, s'avisèrent de l'attaquer. Gueule-noire, c'étoit le nom de ce meffager, pofe auffi-tôt fon panier à terre, fe met devant, & fe bat courageufement contre le premier qui s'avance. Mais comment faire? lorfqu'il fe colte avec l'un, l'autre court au panier, & avale des petits pâtés. Il n'y en avoit bientôt plus, & Gueule-noire alloit être la dupe de tout ceci. Que fait-il? Voyant qu'il n'eft pas poffible de fauver le dîner de fon maître, il fe jette deffus au milieu des deux champions, & fans marchander davantage, dépêche le plus vite qu'il peut, le refte des petits pârés. Pafquin, valet du Diffipateur, cite affez platfamment, dans la comédie de ce nom, l'exemple de ce chien: Scène I. Ade I.

L'adreffe induftrieufe du finge eft connue de tout le monde. Il est dit dans l'Hiftoire générale des Voyages, que ceux qui vont à la chaffe des finges, fur les côtes d'Afrique, ne réuffirent jamais à leur tendre le même piége. Ces animaux ne connoiffent pas moins leurs ennemis. S'ils voient un finge de leur troupe, bleffé d'un coup de flèche, ils s'empreffent de le fecourir. La flèche eft-elle barbue, ils la diftinguent fort bien à la difficulté qu'ils trouvent à la tirer; & pour donner du moins à leur compagnon la facilité de fuir, ils en brifent le bois avec les dents. Un autre eft-il bleffé d'un coup de balle? ils reconnoiffent la plaie au fang qui coule,& mâchent des feuilles pour la pánfer. Lorsqu'ils fe fentent les plus forts, les chaffeurs courent grand rifque d'avoir la tête écrasée à coups de pierres, ou d'être déchirés en pièces. Les nègres s'imaginent que les finges, qu'ils croient fi industrieux,

ont

ont la faculté de parler; s'ils n'ufent pas de cette faculté, difent-ils, c'eft de peur qu'on ne les faffe travailler.

Plutarque, dans la vie de Caton le cenfeur, parle d'une mule, qui ayant été long-temps employée à des travaux publics, fut mise en liberté; on la laiffoit paître où elle vouloit. Mais cet animal regrettant, en quelque forte, d'être inutile, venoit de lui-même fe préfenter au travail, & marchoit à la tête des autres bêtes de fomme, comme pour les exciter & les encourager; ce que le peuple vit avec tant de plaifir, qu'il ordonna que la mule fervit nourrie jufqu'à fa mort aux dépens du public.

Le ferpent que l'on regarde comme le fymbole de l'ingratitude, eft néanmoins fufceptible d'éducation. Autrefois les Macédoniens en élevoient. Ils leur faifoient tetter les femmes, & jouer avec les enfants. Madame du Noyer rapporte dans une de fes lettres, que pendant fon féjour à Dijon, elle alla rendre vifite à une Confeillère du Parlement, qui avoit élevé un ferpent. Comme cette dame avoit quelqu'indifpofition, Madame du Noyer la trouvá couchée sur un lit d'ange: elle avoit bonne compagnie auprès d'elle. Son défabille lui donnoit un petit air de Nymphe. « Je mapprochai de » cette aimable malade continue celle qui lui rendoit viste « mais quelle fut ma furprife, » quand je vis qu'elle badinoit avec un ferpent, » qui étoit attaché à fon bras avec un ruban con» leur de feu, affez long pour lui laiffer la liberté » de fe promener for le lit! Je fisun cri effroyable » à cet aspect, & l'horreur que l'on a naturellement » pour ces fortes d'animaux, me fit fremir: mais » la dame me dit que je n'avois rien à craindre, » que fon ferpent ne me feroit point de mal; & "après qu'elle lui eut donné un petit coup, com» me on auroit fait à un joli épagneul, el eluidit » de dormir, & ce docile animal fe gliffa dans fon »fein, où un moment après il parut effectivement Tome II. F

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