Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

DICTIONNAIRE

D'ANECDOTES,

DE TRAITS SINGULIERS

ET CARACTÉRISTIQUES, &c.

HABITUDE.

L'HABITUDE

'HABITUDE eft une feconde nature qu'il eft bien difficile de vaincre, parce que fouvent notre meilleure façon d'être en dépend. Un paysan étoit allé confulter un oculifte; il le trouva à table, mangeant & buvant bien. Que faire pour mes yeux, lui dit le payfan? Vous abftenir de vin, répond l'oculifte. Mais il me femble, reprend le payfan, en s'approchant de lui, que vos yeux ne font pas plus fains que les miens, & cependant vous en buvez. Oui, vraiment; c'est que j'aime mieux boire, que guérir.

HABLE UR.

UNE exagération extravagante ne doit pas être

réfutée férieufement; la meilleure réponse qu'on puiffe y faire, c'eft d'enchérir deffus, Un Gafcon

fe trouvoit à Paris, rue Notre-Dame, à côté dụn bourgeois auquel il vantoit la fineffe de fa vue. Sandis, lui dit-il, je vois d'ici une fouris qui court au haut de cette tour. Je ne la vois pas, répondit le bourgeois, mais je l'entends trotter.

Un voyageur (il fait bon mentir à qui vient de Join) difoit avoir parcouru les quatre parties du monde, & parmi les curiofités qu'il avoit obfervées, il en étoit une dont aucun auteur, ajoutoitil, ne faifoit mention. Cette merveille, felon lui, étoit un choux fi grand, fi élevé, que fous chacune de fes feuilles, cinquante cavaliers armés pouvoient fe ranger en bataille, & faire l'exercice militaire, fans fe nuire l'un à l'autre. Quelqu'un qui l'écoutoit, ne s'amufa point à réfuter cette rêverie; mais il lui dit d'un grand fang-froid, qu'il avoit aufli voyagé, & qu'il avoit été jufqu'au Japon, où il avoit été furpris de voir plus de trois-cents ouvriers qui travailloient à fabriquer un chauderon; cent-cinquante hommes étoient dedans Occupés à le polir. A quoi pouvoit fervir cet énorme vafe, dit le voyageur? C'étoit, fans doute, lui répondit-on auffi-tôt, pour faire cuire le choux dont vous venez de nous parler.

[ocr errors]

Un Gafcon racontant fes proueffes au Maréchal de Baffompierre, lui difoit, entr'autres chofes, que dans un combat fur mer il avoit tué trois-cents hommes fur un vaiffeau. Et moi, dit le Maréchal, étant en Suiffe, je me gliffai par une cheminée pour voir une belle voisine que j'aimois. Le Gaf con foutint que cela ne pouvoit pas être, parce qu'il n'y a point de cheminée en ce pays-là. Eh! Monfieur, reprit le Maréchal, je vous ai laiffé, dans un combat, tuer trois-cents hommes fur un vaiffeau, laiffez-moi en Suiffe, une fois feulement, defcendre par une cheminée, pour voir une jolie femme.

HAINE IMPLACABLE.

Lg caractère fombre & impitoyable des Espa

E

gnols vainqueurs des Indiens en Amérique, avoit rendu à ces derniers, le nom Espagnol, un objet d'exécration. Le Cacique Hatvey, celui des Infulaires de l'île de Cuba, qui avoit fait les plus grands efforts pour défendre fa liberté, ayant été vaincu & pris, fut condamné à être brûlé vif. Lorsque ce Prince malheureux fut attaché au poteau où il devoit expirer, un Missionnaire l'exhorta à fe faire Chrétien, & l'affura que fon changement de religion lui procureroit le Paradis. « Dans le Paradis » dont vous me faites une fi belle peinture, y a-t-il » des Espagnols, demande le Cacide? Oui, fans » doute, répond le Religieux, mais il n'y en a que » de bons. Le meilleur ne vaut rien, repliqua Hat»vey: je ne puis me réfoudre à aller dans un lieu » où j'aurois à craindre d'en trouver un feul; ainfi, » ne me parlez plus de votre religion, & laiffer»moi mourir»: Hiftoire de Saint-Domingue.

HARANGUE.

JES Généraux anciens, comme le témoignent les hiftoires, Grecque & Romaine, haranguoient fouvent les armées. L'objet ordinaire de leurs harangues étoit d'animer les troupes par le souvenir de leurs victoires paffées, ou des injures qu'elles avoient reçues de l'ennemi. Nos Généraux modernes n'ont que trop souvent négligé ce puiffang reffort.

On a dit que l'ufage des harangues devoit être plus fréquent chez les anciens, qu'aujourd'hui, parce que chez eux, l'orateur & le guerrier étoient fou

vent réunis dans la même perfonne. Mais il eft bien queftion ici d'un difcours arrangé: tout guerrier, animé d'une forte paffion, ou excité par un danger preffant, fera paffer en peu de mots, dans le cœur de ceux qui l'écouteront, les fentiments dont il eft animé, & c'eft la harangue que nous demandons. Le jour de la bataille du Tefin, Annibal ranima le courage de fon armée, par ces paroles : "Compagnons, leur dit-il « le Ciel m'annonce la victoire, c'eft aux Romains, & non à vous, de » trembler. Jettez les yeux fur ce champ de ba» taille: nulle retraite ici pour les lâches: nous pé»riffons tous, fi nous fommes vaincus. Quel gage » plus certain du triomphe? Quel figne plus fenfible de la protection des Dieux? Ils nous ont » placés entre la victoire & la mort. ››

n

Dans un combat fanglant entre l'armée d'Héraclius & celle des Sarrafins, il fe répand un bruit que le Général Mahometan, nommé Dérar, eft tué; les Sarrafins en font épouvantés. Rafi, un de leurs Capitaines, les voyant fuir, s'écria : « Où » courez-vous? Ce n'eft pas là que font les enne»mis on vous a dit que le Général eft tué. Eh! qu'importe qu'il foit au nombre des vivants ou » des morts? Dieu eft vivant, & vous regarde. >> Marchez. »

Dans une autre occafion, un Général Musulman dit à fes troupes : « Voilà le Ciel; combattez pour Dieu, & il vous donnera la terre. ››

Guillaume le bâtard, Duc de Normandie, appellé à la couronne par le teftament d'Edouard III, étant entré dans le Royaume, avec de bonnes troubrûla fes vaiffeaux, & dit à fon armée : Voilà

Votre patrie.

En 1590, les ligueurs, & les royaliftes commandés par Henri IV, font prêts à fe battre dans les plaines d'Yvri. Immédiatement avant l'action, Henri parcourt tous les rangs de fon armée : il montre aux foldats, fon cafque furmonté d'un panache blanc & leur dit avec cette ardeur qui fe

« PrécédentContinuer »