Images de page
PDF
ePub

à rendre cet acte de reconnoiffance, auffi glorieux pour le militaire invalide, qu'il étoit poffible, en érigeant près de la capitale, ce vafte & fuperbe hôtel, où l'Officier & le foldat font fûrs de trouver en tout temps un afyle honorable & commode. Lorfque le Roi vient à l'hôtel des Invalides, c'eft à leur garde qu'eft confiée la perfonne de Sa Majefté. Ce privilége honorable dont jouiffent les Invalides, leur fut accordé dès les premiers temps que Louis XIV alla voir les Invalides. Les foldats qui voulurent, à l'envi les uns des autres, voir de près ce grand Prince, fe jettèrent en foule devant Sa Majesté. La garde les repouffa brufquement; ce qui leur fût très-fenfible. Le Roi s'en étant apperçu, ordonna à fes gardes d'agir plus doucement à l'égard de fes anciens ferviteurs; c'eft ainfi que ce Monarque s'exprima, & il ajouta avec bonté, qu'il étoit en fûreté au milieu d'eux. Les Invalides pénétrés de joie & de reconnoiffance, témoignerent vivement leur fenfibilité depuis ce temps, eft-il dit dans les registres de la maifon, les Gardes du corps n'ont point garni dans l'hôtel, le Roi s'étant toujours confié à la garde de fes Invalides, dès qu'il y entré.

ly

En 1743, lorfque M. le Dauphin vint voir les Invalides, il parut d'abord qu'on avoit oublié Jeurs prérogatives. On avoit placé le matin, les Suiffes du Régiment des Gardes, près de l'hôtel, mais fur les représentations qui furent faites cette garde fut contre-mandée, elle décampa à une heure & demie, & le Prince arriva à quatre heures & demie. Les Invalides lui fervirent de gardes pendant toute fa marche. Après avoir vu la maifon, M. le Dauphin monta en carroffe dans la cour royale, où fes équipages l'attendoient avec les gardes du corps.

Une autre circonftance glorieufe pour les InvaTides, eft la vifite que leur rendit l'illuftre Pierre I, Czar de Mofcovie. Après avoir tout examiné avec cet œil obfervateur auquel rien n'échappoit

de ce qui méritoit d'être remarqué, il voulut voir diner les foldats. Ce Prince goûta de leur foupe, & prenant un verre de vin: A la fanté, dit-il, de mes camarades.

Ona rapporté, dans l'Année Littéraire de 1756, quelques anecdotes particulières, que l'on pourra voir ici avec plaifir. Les cicognes font affez communes en Flandres, & elles perchent fur les plus hauts clochers. Après la bataille de Dénain, & avant que la nouvelle pût en être arrivée à Paris, quatre cicognes furent fur la tête de quatre ftatues qui font au coin de la lanterne du dôme. Les Invalides dirent qu'il y avoit eu fûrement une bataille en Flandres, d'où le bruit avoit fait fuir les cigognes, & plufieurs préfagèrent de l'endroit où elles s'étoient arrêtées, que nous avions gagné le bataille. Plufieurs perfonnes dignes de foi, qui vivoient encore en 1756 à l'hôtel, avoient vu cette espèce de phénomène.

Sous le ministère de M. Voifin, il y eut un foldat qui avoit les poignets coupés, & qui voloit fes camarades. Il fit long-temps ce métier fans être découvert. Il s'étoit fait faire des étuis de cuir fort, dans lesquels entroient fes deux moignons. Le bout extérieur de ces étuis étoit fait d'un morceau de bois, dans lequel étoient différentes ouvertures propres à recevoir les tiges de différents inftruments; tels que roffignols, crochets, poinçons, &c. Il ouvroit ainfi les chambres & les armoires enfin il fut pris en flagrant délit. Il fut condamné à mort par le confeil de guerre. Son jugement, à cause de la rareté du fait, fut commué par Louis XIV lui-même, en une prison perpétuelle. Il eft mort à Bicêtre.

Depuis ce temps-là, un foldat fans bras, & un autre fans jambes, fe trouvèrent les deux plus forts joueurs de boule. Celui qui n'avoit point de bras, lançoit très-adroitement la boule avec le pied; & celui qui étoit fans jambes, fe tenant fur fes deux jambes de bois, appuyé d'une main

fur une canne, jettoit la boule de l'autre main, à-peu-près comme un enfant de cœur encense.

Comme il se préfente des gens de toute espèce, curieux de voir l'Hôtel, quelques invalides, pour s'amufer, ont imaginé une plaifanterie qu'ils font à ceux qu'ils jugent affez fimples pour se laiffer attraper. Ils leur recommandent fur-tout de ne pas manquer de voir l'invalide qui a une tête de bois. Ils indiquent fon corridor & fa chambre; & comme leurs camarades font prévenus, ils font faire aux idiots, de longues courfes dans l'hôtel pour chercher la tête de bois, en les envoyant de chambre en chambre, d'où on leur dit toujours qu'il vient de fortir dans le moment.

IVROGNES.

LA paffion du vin, ainfi que les autres paffions,

trouble les actions de ceux qui s'y adonnent, obfcurcit leur raison, & les porte à mille extravagances. Il faut avouer néanmoins que les ivrognes ont des faillies & des naïvetés qui leur font particulières, & peuvent amufer. C'est auffi par ce côté qu'on les monte quelquefois fur la scène comique.

Un ivrogne vouloit paffer par un cul-de-fac, croyant que c'étoit une rue. Comme il ne peut en venir à bout, il fe perfuade qu'on lui a bouché le paffage. Il tire fon épée, & fe bat d'eftoc & de taille contre une borne qu'il prend pour un homme. A force de ferrailler, il fait fortir quelques étincelles. Ah! le vilain, dit-il en reculant, il porte des armes à feu!

Un buveur intrépide voyoit fa maison qui alloit être engloutie par une inondation; il court vîte à fa cave, en tire la feule pièce qui y reftoit, & après l'avoir fait transporter en haut: mes amis, leur dit-il, l'inondation augmente, ne perdons point

de temps, vuidons cette pièce de vin, & pour nous fauver nous aurons la futaille.

Un ivrogne qui avoit bien bu, fe leva la nuit d'auprès de fa femme, & alla piffer par la fenêtre. Comme il pleuvoit, il entendoit l'eau d'une gouttière qui tomboit, & croyant que c'étoit lui qui faifoit ce bruit, il reftoit toujours dans la même posture. A la fin fa femme lui cria : auras-tu bientôt fini? Hélas! repartit l'ivrogne, je finirai quand il plaira à Dieu.

Une femme d'artifan, à table avec fa famille, prenoit à tâche de contredire fon mari qui étoit un franc ivrogne. Celui-ci, pour appuyer fes raifons, fe faifit du pot de vin,(c'étoit toute la provifion du repas), & boit un grand coup, en difant; Si ce que je dis n'est pas vrai, que ce verre de vin me ferve de poison. La femme revenant à la charge, notre ivrogne recommence les mêmes imprécations; & de contradictions en contradictions le pot fe vuidoit, lorfque les enfants plus prudents que leur mère, lui dirent. Eh! de grace foyez du même fentiment, autrement nous allons mourir de foif..

[ocr errors]

Le premier Sultan qui fe foit enivré de vin, eft Amurat IV. L'occafion qui l'y pora, & le goût qu'il prit enfuite pour cette liqueur, méritent d'être remaqués. Ftant à fe promener un jour fur la place publique, plaifir que tous les Sultans fe donnent fous un habit qui les déguife, il rencontra un homme du peuple, nommé Béeri Muftapha, fi ivre qu'il chanceloit en marchant. Ce Spectacle ént nouveau pour lui, il demanda à fes gens ce que c'étoit. On lui dit que c'étoit un homme iwe; & tandis qu'il fe faifoit expliquer comment on le devenoit, Béeri Muftapha, le voyant xrêté fans le connoître, lui ordonna d'un ton impérieux de paffer fon chemin. Amurat, furpris de cette hardieffe, ne put s'empêcher de lui répondre Sais-tu, miférable, que je fuis le Sultani Et moi, reprit le Turc, je fuis Béeri

:

[ocr errors]
[ocr errors]

Muftapha. Si tu veux me vendre Conftantino ple, je l'achète: tu feras alors Muftapha, & je ferai Sultan. La furprise d'Amurat augmentant, il lui demanda avec quoi il prétendoit acheter Conftantinople. Ne raifonne pas, lui dit l'ivrogne, car je t'achèterai auffi, toi, qui n'es que le fils d'une esclave. (On fait que les Sultans naiffent des esclaves du ferrail.) Ce dialogue parut fi admirable au Grand-Seigneur, qu'apprenant en même-temps que dans peu d'heures la raison reviendroit à Beeri, il le fit porter dans fon palais, pour obferver ce qui lui refteroit de ce tranfport, & ce qu'il penferoit lui-même de tout ce qu'il rappelleroit à fa mémoire. Quelques heures s'étant paffées, Béeri Muftapha, qu'on avoit laiffé dormir dans une chambre dorée, fe réveille & marque beaucoup d'admiration de l'état où il fe trouve. On lui raconte fon aventure, & la promeffe qu'il a faite au Sultan, Il tombe dans une mortene frayeur, & n'ignorant point le caractère cruel d'Amurat, il fe croit au moment de fon fupplice. Cependant ayant rappellé toute fa préfence d'efprit pour chercher quelque moyen d'éviter la mort, il prend le parti de feindre qu'il eft déjà mourant de frayeur, & que fi cn ne lui donne du vin pour fe ranimer, il fe contoît fi bien, qu'il eft für d'expire bientôt. Ses gardes qui craignirent en effet qu'il ne mourût avant que d'être préfenté à l'Empereur, lui font apporter une bouteille de vin, dont il nefeint d'avaler quelque chofe, que pour avoir occafion de la gardur fous fon habit. On le mène après devant l'Empereur, qui lui rappellant fes offres, exige abfolument qu'il lui paie le prix de Conftantinople, conme il s'y étoit engagé. Le pauvre Turc tira fa boueille : Ó Empereur! répondit-il, voilà ce qui m'aroit fait acheter hier Conftantinople, & fi vous poffédiez les richeffes dont jouiffois alors, vous le croiriez préférables à la monarchie de l'univers. Amurat lui demandant comment cela pouvon fe

« PrécédentContinuer »