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faire; Il n'eft queftion, lui dit l'ivrogne, que d'avaler cette divine liqueur. L'Empereur vouJant en goûter par curiofité, en but un grand coup, & l'effet en fut très-prompt dans une tête qui n'avoit jamais fenti les vapeurs du vin. Son humeur devint fi gaie, & tous fes fens fe livrèrent tellement à la joie, qu'il crut fentir que tous les charmes de fa couronne n'égaloient point ceux de fa fituation. Il continua de boire: mais l'ivreffe ayant fuivi de près, il tomba dans un profond fommeil, dont il ne revint qu'avec un violent mal de tête. La douleur de ce nouvel état lui fit oublier le plaifir qu'il avoit goûté. Il fit venir Béeri Muftapha, auquel il fe plaignit avec beaucoup d'emportement. Celui-ci, à qui l'expérience donnoit bien des lumières, engagea fa vie qu'il guériroit fur-le-champ Amurat, & ne lui offrit point d'autre remède, que de recommencer à boire du vin. Le Sultan y confentit. Sa joie revint, & fon mal fut auffi-tôt diffipé. Il fut fi charmé de cette découverte, que non-feulement il en fit ufage le refte de fa vie, dont il ne paffa point un feut jour fans s'enivrer; mais, qu'ayant fait Béeri Mustapha fon confeiller privé, il l'eut toujours auprès de fa perfonne pour boire avec lui. A fa mort, il le fit enterrer avec beaucoup de pompe, dans un cabaret, au milieu des tonneaux; & il déclara dans la fuite, qu'il n'avoit pas vécu heureux un feul jour depuis qu'il avoit perdu cet habile maître & ce fidèle confeiller. Pour & Contre. Tome XX.

JALOUSIE.

LA jalousie de la femme ne contribue le plus

fouvent qu'à rendre le mari inconftant. Quiconque eft foupçonneux, a dit un poëte moderne, invite à. le trahir. Auffi une femme fenfée à qui on rapportoit que fon mari faifoit la cour à plufieurs

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jolies femmes, répondit affez délicatement : « It m'importe peu que mon mari promène fon » cœur toute la journée, pourvu que le foir il » me le rapporte. »

Les Poëtes ont comparé la jaloufie à une furie, dont le teint eft pâle & livide, & le regard farouche; l'enfer eft dans son cœur ; les remords la poursuivent; elle abhorre toute la nature, & fe hait la première. Gabrielle de Vergi, d'une naiffance illuftre qui vivoit du temps des croifades, fut la victime de cette implacable furie. L'aimable Gabrielle, élevée dès l'enfance avec Raoul de Coucy, jeune homme de grande espérance, avoit conçu pour lui les plus tendres fentiments. Coucy, de fon côté, n'imaginoit point de plus grand bonheur, que l'affurance charmante de paffer avec Gabrielle, le refte de fes jours. Mais les parents de cette jeune perfonne, qui, fans doute, n'avoient jamais fenti les douceurs d'une union formée par l'eftime & le tendre amour, la livrèrent entre les mains de Fayel, homme cruel, barbare & jaloux. Cet homme féroce lui fit un crime d'avoir eu un cœur fenfible. En vain cette malheureufe épouse chercha à calmer les foupçons de fon tyran, par la conduite la plus fage, & les attentions les plus marquées, elle ne put éviter d'être livrée aux horreurs d'une noire prifon. Coucy inftruit du fort de cette amante, qui lui étoit devenue encore plus chère depuis qu'elle fouffroit, confent à s'éloigner des lieux qu'elle habite. Il fait plus, il conçoit le généreux deffein d'aller chercher la mort dans les combats entre les Sarrafins ; trop heureux fi cette mort peut adoucir la jaloufie de Fayel, & adoucir le fort de l'infortunée Gabrielle ! Il fe met à la tête de deux-cents chevaliers choifis, & fait des prodiges de valeur; mais comme il alloit au-devant du coup qui devoit l'arracher à la vie, il trouva bientôt la mort fur un tas de Sarrafins tués ou bleffés. Alors fentant fa fin approcher, il appelle fon écuyer, & d'une

main qu'il conduit à peine, il lui remet une lettre qu'il vient d'écrire fur fon bouclier ». Ne plains » point mon deftin, lui dit-il, gémis plutôt fur le » fort de celle qui n'a pu fléchir un barbare époux : "porte à cet adorable objet mon cœur & ce » billet où j'ai tracé quelques mots. Je me fie à » ton zèle pour moi»: & il expire en prononçant le nom chéri de Gabrielle. L'écuyer > pour mieux s'acquitter de fa commiffion, fe déguise & va aux environs du château de Fayel, épier le moment d'y entrer fans en être apperçu. Mais cet homme jaloux, qui étoit toujours for pied, l'apperçoit le premier: ille prend auffi-tôt pour un de fes rivaux, croit le reconnoître, s'approche tout doucement, & le tue d'un coup de poignard. II reconnoît bientôt que c'eft l'écuyer de Coucy, & craignant tout d'un tel rival, il fouille avec une barbare activité, ce fidèle domeftique. Quelle joie transporte fon ame! il voit le cœur de celui qu'il a tant redouté; mais, lorsqu'il eut fini de lire la lettre pleine de tendreffe de cet amant, la jaloufie s'empara de tous fes fens. Elle lui fouffle le plus noir des projets. Je veux, dit-il, que ce cœur, aimé de la parjure, lui foit préfenté comme un mets. It donne fes ordres. Le repas funefte eft fervi. Gabrielle, ce jour-là, par un preffentiment inconnu, frémit d'horreur en s'approchant de fon époux. Celui-ci la preffe, la follicite de manger, elle fe rend. Ce mets, lui dit-il d'un air cruellement moqueur, a dû te plaire, car c'eft le cœur de ton amant. Elle tombe auffi-tôt fans connoiffance; mais fon époux, dont la vengeance n'étoit pas encore affouvie, lui rend le jour qu'elle fuit. Il lui commande, fous les plus grandes menaces, de lire la lettre qu'il lui préfente. Gabrielle la reçoit en frémiffant. Mais à peine a-t-elle apperçu les caractères tracés par le fidèle Coucy, qui lui apprend qu'il meurt avec joie pour elle, qu'un froid mortel s'empare de tous fes féns. Fayel fait de nouveaux efforts pour la rappeller à la vie; mais elle n'étoit déjà plus.

*

La jaloufie infpira de femblables forfaits, fous le règne de Charles II, Roi d'Espagne. Le Marquis d'Aftorgas, de la maifon d'Oforio, aimoit une jeune perfonne parfaitement belle. Sa femme, inftruite de cette intrigue, court auffi-tôt chez la maîtreffe de fon mari, bien accompagnée, & la tue elle-même. Elle lui arrache enfuite le cœur, qu'elle fit accommoder en ragoût, & fervir à fon mari. Lorfqu'il en eut mangé, elle lui demanda fi ce ragoût lui fembloit bon: il lui dit que oui. Je n'en fuis pas furprise, répondit-elle auffi-tôt; car c'eft le cœur de ta maîtreffe que tu as tant aimée. En même-temps elle tire d'une armoire, fa tête encore toute fanglante, & la fait rouler fur la table où ce malheureux amant étoit avec plufieurs de fes amis. Sa femme difparoît dans le moment & fe fauve dans un couvent, où elle devint folle de rage & de jalousie.

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Une Dame ayant demandé audience à Jean III, Roi de Portugal, & l'ayant obtenue, lui dit: Sire, votre Majefté auroit-elle pardonné à mon mari, s'il m'avoit furprise & tuée en adultère? Après que le Roi lui eut répondu, qu'en ce cas, il auroit pardonné à fon mari, elle ajouta : Tout va donc bien Sire; parce qu'ayant fu que mon mari étoit avec une autre dans une de mes maisons de campagne, j'y fuis allée avec deux de mes efclaves, à qui j'ai promis la liberté, s'ils m'affiftoient dans mon entreprife; & après avoir rompu la porte, je les ai furpris, & les ai tous deux tués d'un coup de poignard. Je vous demande, Sire, le même pardon que vous n'euffiez pas refusé à mon mari, fi j'euffe été convaincue du même crime. Le Roi, étonné de fa réfolution, lui pardonna.

Un gentilhomme Portugais, qui demeuroit à Goa, étant couché la nuit, auprès de fa femme & ayant rêvé qu'elle accordoit fes faveurs à un amant, ne fut pas plus tôt éveillé, que transporté de rage & de jaloufie, il la tua fur-le-champ, comme elle dormoit: Voyage de Moquet.

Le voyageur Carré eft témoin du fait fuivant, arrivé en 1672, tandis qu'il étoit à Donguery. Abdelkam, un des principaux Seigneurs de Vifapour, & Général des troupes du Royaume, s'étant laffé du métier des armes, avoit pris le parti de fe retirer dans fon ferrail, où fes grandes richeffes lui avoient facilité les moyens de raffembler deuxcents des plus belles femmes du monde. Dans cette fituation, il reçut l'ordre de reprendre le commandement d'une armée contre le Prince Sévagi. Lorsqu'il fe vit obligé de partir, fa jaloufie s'alluma fi furieufement, qu'elle lui infpira le plus noir de tous les deffeins. Il s'enferma huit jours, au milieu de fes femmes; & ce temps fut une fuite continuelle de fêtes & de plaifirs. Le dernier jour, pour s'épargner, dans l'abfence, toutes les inquiétudes de l'amour, il fit égorger à fes yeux, fes deux-cents femmes. On apprend avec plaifir, par la fuite de l'hiftoire, que Vifapour fut auffi-tôt délivré de ce monftre, par la main de fon ennemi. Sévagi, qui fe faifoit honneur de joindre l'humanité à fes qualités heroïques, conçut tant d'horreur pour cet abominable meurtrier, qu'il craignoit de fouiller fa gloire, en s'expofant au fort des armes avec lui: il lui fic propofer une conférence, fous prétexte d'accommodement. Abdelkam accepta l'offre. Ils devoient se trouver tous deux, fans fuite, entre les deux armées. Lorsqu'ils fe furent approchés l'un de l'autre, Sévagi tira fon poignard, & profitant de la furprise de fon ennemi, il le lui enfonça dans le fein, en lui reprochant fon crime, & lui décla rant que celui qui avoit violé les loix de la nature, devoit être exclus du droit des gens.

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