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JEU, JOUEURS.

PLATON

LATON trouvant un de fes difciples qui jouoit, lui fit une réprimande. Le difciple s'excufa, en difant qu'il ne jouoit qu'un petit jeu. Mais! lui dit Platon, comptes-tu pour rien l'habitude de jouer, que ce petit jeu te fait contracter?

Un homme qui avoit rodé long-temps par le monde, revint enfin dans fa patrie. Ses amis accoururent en foule felon l'ufage, & lui crioient à l'envi: nous fommes charmés de vous revoir en bonne fanté; allons, racontez-nous un peu vos aventures. Ah! que de miracles furent en un moment fur le tapis! Meffieurs, leur dit-il, entr'autres chofes, vous favez la diftance prodigieufe qu'il y a d'ici au pays des Hurons! Hé bien, à douzecents lieues delà, j'ai vu une espèce d'hommes qui m'a paru tout-à-fait fingulière. Souvent ils demeurent affis autour d'une table, jufques bien avant dans la nuit; mais il n'y a point de nappe mife, ni de quoi occuper la mâchoire. La foudre pourroit gronder fur leurs têtes, deux armées pourroient combattre à leurs côtés, le Ciel même pourroit menacer ruine, fans leur faire quitter la place, fans les diftraire; car ils font fourds & muets. De temps-en-temps on entend fortir de leurs bouches, quelques fons mal articulés ; cès fons n'ont aucune liaison entr'eux, & ne fauroient fignifier grand'chofe; & pourtant ils font rouler les yeux à une partie de ces gens-là, de la manière la plus étrange. Je les ai fouvent confidérés avec admiration; car ils ne manquent jamais de fpectateurs, qui font apparemment attirés par un motif de curiofité; & croyez-moi, mes amis, je n'oublierai jamais les phyfionomies terribles que j'ai eu lieu d'obferver dans ces occafions. Le désespoir, la rage, quelquefois une joie maligne,

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non.

mêlée d'inquiétude, venoient s'y peindre tour-à-
tour. Tantôt c'étoit la fureur des Euménides; tan-
tôt l'air férieux & morne des Juges infernaux;
tantôt les angoiffes d'un patient qu'on mène au fup-
plice. Mais, demandèrent les amis du voyageur,
quel eft le but de ces malheureux? fe feroient-ils
dévoués à travailler pour le bien public? - Ho,
Vous verrez qu'ils cherchent la pierre
philofophale. Ce n'eft point cela, C'est
donc la quadrature du cercle. Encore moins.
-Ah! nous y voici; ils font là pour faire péni-
tence de leurs crimes.
Vous vous trompez
encore. Mais auffi, vous nous parlez de vrais
maniaques: fans ouir, fans parler, fans rien fen-
tir: morbleu! que peuvent-ils faire? - Ils jouent.
Cet apologue eft de M. Lichtwehr, fabulifte Alle-
mand.

-

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On difoit à un homme d'efprit, de parier pour quelqu'un qu'il ne croyoit pas bon joueur, mais qui gagnoit fouvent. Il répondit : « Je voudrois "avoir toujours parié pour lui; mais je ne faurois>> me réfoudre à le faire. "

M. de Saint-Aignan, eft-il dit dans les Mémoi res de l'Abbé Arnaut, avoit inventé à l'armée, un nouveau jeu de cartes, auquel il jouoit un jour, dans fa tente, avec M. de Roquelaure. Il furvint une difficulté pour un coup. M. de Roquelaure affuroit que, par toutes les raifons du jeu, le coup devoit paffer comme il le difoit. M. de Saint-Aignan foutenoit le contraire, prétendant qu'ayant fait lui-même lejeu, il l'avoit fait ainfi. On prit des juges, qui condamnèrent M, de Saint-Aignan, affurant qu'il n'avoit pu faire, dans fon jeu, une faute contre les règles. Il fallut en paffer par-là, quoiqu'il ne pût pas bien comprendre qu'il ne fût pas permis à un homme qui invente un jeu, , de l'affujettir aux règles qu'il lui plaît.

Deux joueurs de dés mirent fur table, cent écus, & convinrent que celui qui auroit le moins de points gagneroit. Le premier ayant fait deux as ?

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mit auffi-tôt la main fur l'argent: mais le fecond l'arrêta; & ayant jeté les deux dés de forte que l'un étant monté fur l'autre, ne découvroit qu'un feul as, prétendit que les cent écus lui appartenoient; de quoi il fallut que l'autre, en dépit qu'il en eût, demeurât d'accord.

Un certain Gafcon ruiné, jouoit gros jeu, & perdoit plus de vingt cartes qu'il faifoit aller au lanfquenet. Voilà, s'écria-t-il, de ces coups extraordinaires, qui ne font faits que pour moi. Une femme, touchée de cette perte réitérée, ne put s'empêcher de le plaindre. Chère petite, lui dit-il épargne-toi ce mouvement de pitié, ce n'eft pas moi qu'il faut plaindre, je ne perds pas; ce font ceux à qui je dois, qui perdent.

Un autre joueur, dans le même cas, s'écrioit : Ah! fortune, tu me fais perdre ; mais je te défie de me faire payer.

On propofoit à un joueur que la fortune venoit de favorifer, de fervir de fecond dans un duel. Je gagnai hier, répondit-il, huit-cents louis, & je me battois fort mal; mais allez trouver celui à qui je les ai gagnés; il se battra comme un diable, car il n'a pas le fou.

Un homme de finances jouoit mille pistoles au piquet, en une partie, avec un Seigneur de la Cour. Celui-ci jugea qu'il pouvoit le faire capot & le gagner, s'il lui perfuadoit qu'il avoit trois valets, dont cependant il en avoit écarté un. Il compte le point & le refte de fon jeu, jufqu'à vingt; & après avoir rêvé un moment il jette fa première carte, & compte vingt-trois. Son adverfaire lui demande comment il les compte. Le courtisan recommence à compter fon jeu, & y ajoute trois valets. Le Financier dit qu'il ne les avoit point nommés avant de jouer fa première carte. Le Seigneur foutient le contraire, & offre de parier cent piftoles. La propofition eft acceptée les fpectateurs condamnent le Seigneur, qui, affectant une forte de dépit, & continuant à jouer

:

les

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les cartes, fit capot le Financier, parce qu'il garda l'as du valet que fon adverfaire, plus fin que lui, avoit écarté,

On rapporte une fubtilité à-peu-près semblable, d'un Gafcon vis-à-vis d'un autre Financier. Celuici couroit rifque d'être capot; il avoit deux as qui lui reftoient, & qu'il montroit à découvert; il ne favoit lequel garder. Le Gafcon voyant qu'il levoit le bras pour jetter l'as dont il falloit fe défaire, avança adroitement un de fes pieds fous la table, preffa un des pieds du Financier. Celui-ci, qui étoit environné de plufieurs de fes amis, crut que c'étoit un d'entr'eux qui l'avertiffoit de jetter l'autre as ; ce qu'il fit : & comme il fe vit capot; il demanda tout haut, avec dépit, quel étoit le preffeur de pied? Le Gafcon, après lui avoir reproché, en riant, d'attendre qu'on l'avertît, lui dit: « C'eft moi,qui ne crois pas être obligé de vous » donner un bon avis. ››

Le Comte Hamilton, dans fes Mémoires pleins de fel & de bonnes plaifanteries, peint d'une touche originale & vraie, un jeune homme dupe d'un vieux routier. Le jeune Comte de Grammont, en voyage avec fon gouverneur pour fe rendre à l'armée de Piémont, étoit defcendu à Lyon, dans une auberge. Ce gouverneur, qui appréhendoit que fon élève ne trouvât quelque fujet de diffipation qui l'arrêtât trop long-temps, vouloit le faire fouper feul dans une chambre; mais le Comte infifta à manger en compagnie. En pleine auberge, s'écria ce gouverneur ! Eh! Monfieur, vous n'y fongez pas; je me donne au diable, s'ils ne font une douzaine de baragouineurs à jouer cartes & dés, qu'on n'entendroit pas Dieu tonner. « A ces mots "de cartes & de dés, dit le jeune Seigneur qui ra» conte lui-même son aventure, je fentis mon "argent pétiller. Je defcendis, & fusun peu furpris "de trouver la falle où l'on mangeoit, remplie de » figures extraordinaires. Mon hôte, après m'avoir » préfenté, m'affura qu'il n'y avoit que dix-huit Tome II.

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» ou vingt de ces Meffieurs qui auroient l'honneur » de manger avec moi. Je m'approchai d'une ta»ble où l'on jouoit, & je faillis à mourir de rire. »Je m'étois attendu à avoir bonne compagnie & "gros jeu ; & c'étoient deux Allemands qui » jouoient au trictrac. Jamais chevaux de carroffe » n'ont joué comme ils faifoient : mais leur figure fur-tout paffoit l'imagination. Celui auprès de qui je me trouvois, étoit un petit ragot graffouil» let, & rond comme une boule. Il avoit une fraise » avec un chapeau pointu, haut d'une aune. Non, » il n'y a perfone qui, d'un peu loin, ne l'eût " pris pour le dôme de quelque Eglife, avec un » clocher deffus. Je demandai à l'hôte, ce que » c'étoit. Un marchand de Bafle, me dit-il, qui » vient vendre ici des chevaux: mais je crois qu'il » n'en vendra guère de la manière qu'il s'y prend, >> car il ne fait que jouer. Joue-t-il gros jen, lui » dis-je ? Non, pas à-préfent, dit-il, ce n'eft que » pour leur écot, en attendant le fouper mais » quand on peut tenir le petit marchand en parti» culier, il joue beau jen. A-t-il de l'argent, fui

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dis-je? Oh, oh, dit le perfide Cerife, (c'étoit » le nom de l'aubergifte) plût à Dieu que vous lui » euffiez gagné mille piftoles, & en être de moi

tié, nous ne ferions pas long-temps à les atten»dre. il ne m'en fallut pas davantage pour médi» ter la ruine du Chapeau pointu. Je me remis " auprès de lui pour l'étudier. Il jouoit tout de » travers; écoles fur écoles: Dieu le fait. Je com»mençois à me fentir quelque remords fur l'ar» gent que je devois gagner à une petite citrouille qui en favoit fi peu. Il perdit fon écot: on fervit, » je le fis mettre auprès de moi. C'étoit une » table de réfectoire où nous étions pour le moins » vingt-cinq, malgré la promeffe de mon hôte.

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Le plus maudit repas fini, toute cette cohue fe » diffipa, je ne fais comment, à la réserve du pe"tit Suiffe qui fe tint auprès de moi, & l'hôte qui vint fe mettre de l'autre côté. Ils fumoient

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