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» comme des dragons, & le Suiffe me difoit de
» temps en temps; Demande pardon à Monfieur
" de la liberté grande; & là-deffus, m'envoyoit des
» bouffées de tabac à m'étouffer. Monfieur Cerife,
» de l'autre côté, me demanda la liberté de me
›› demander si j'avois été dans fon pays, & parut
>>furpris de me voir affez bon air, fans avoir
»voyagé en Suiffe. Le petit ragot, à qui j'avois af-
» faire, étoit aufli questionneur que l'autre. It me
», demanda fi je venois de l'armée de Piémont ; &
» lui ayant dit que j'y allois, il me demanda fi
» je voulois acheter des chevaux, qu'il en avoit
» bien deux-cents, dont il me feroit bon marché.
» Je commençois à être enfumé comme un jam-
» bon, & m'ennuyant du tabac & des questions,
" je propofai à mon homme, de jouer une petite
piftole au trictrac, en attendant que nos gens
»euffent foupé. Ce ne fut pas fans beaucoup de
façons qu'il y confentit, & me demandant par-
» don de la liberté grande. Je lui gagnai partie,
» revanche, & le tout dans un clin d'œil; car il fe
» troubloit, & felaiffoit tantenfiler, que c'étoit une
"bénédiction. Brinon (le gouverneur du Comte)
>> arriva fur la fin de la troifième partie, pour me
» mener coucher. Il fit un grand figne de croix,
» & n'eut aucun égard à tous ceux que je lui fai-
"fois de fortir; il fallut me lever pour en aller
» donner l'ordre en particulier. If commença par
» me faire des réprimandes de ce que je m'en-
» canaillois avec un vilain monftre comme cela.
» J'eus beau lui dire que c'étoit un gros marchand
qui avoir force argent, & qui ne jouoit non
» plus qu'un enfant. Lui, marchand, s'écrie-t-il!
Ne vous y fiez pas, M. le Comte. Je me donne au
diable, fi ce n'en quelque forcier. « Tais - toi,
vieux fou, lui dis-je, il n'eft non plus forcier
» que toi; c'est tout dire : & pour te le montrer,
» je lui veux gagner quatre ou cinq-cents pistoles
" avant de me coucher. En difant cela, je le mis
» dehors, avec défense de rentrer ou de nous

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interrompre. Le jeu fini, le petit Suiffe débou» tonne fon haut-de-chauffes, pour tirer un beau » quadruple, d'un de fes gouffets; & me le pré» fentant, il me demande pardon de la liberté » grande, & voulut fe retirer. Ce n'étoit pas mon >> compte. Je lui dis que nous ne jouions que pour >> nous amufer; que je ne voulois point de fon "argent, & que s'il vouloit, je lui jouerois fes » quatre piftoles dans un tour unique. Il en fit » quelque difficulté, mais il fe rendit à-la-fin, & "les regagna. J'en fus piqué. J'ea rejouai un » autre la chance tourna; le dé lui devint fa»vorable, & les écoles cefsèrent ; je perdis partie; >> revanche & le tout les moitiés fuivirent, le » tout enfin. J'étois piqué ; lui, beau joueur, il ›› ne me refufa rien, & me gagna tout, fans que j'euffe pris fix trous en huit ou dix parties. Je > lui demandai encore un tour pour cent pistoles. » mais comme il vit que je ne mettois pas au jeu, >> il me dit qu'il étoit tard, qu'il falloit qu'il allât >> voir fes chevaux, & fe retira, me demandant pardon de la liberté grande. Le fens froid dont », il me refufa, & la politeffe dont il me fit la ré»vérence, me piquèrent tellement, que je fus » tenté de le tuer. Je fus fi troublé de la rapidité >> dont je venois de perdre jufqu'à la dernière pif"tole, que je ne fis pas d'abord toutes les ré"flexions qu'il y a à faire fur l'état où j'étois ré» duit. ››

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Ces rufes ne font pas trop excufables: cependant on doit les diftinguer de ces friponneries manifeftes, dont quelques-unes fe trouvent raffemblées dans une Hifioire des Grecs, ou de ceux qui corrigent la fortune au jeu. Ces joueurs, pour écarter le nom odieux de Frippons, fe font les premiers appellé Grecs, parce que les anciens Grecs étoient naturellement fins & rusés, & cherchoient toujours à faire des dupes. Pendant Ja Foire de Beaucaire, deux Grecs, qui s'entendoient comme larrons en foire, ayant fu qu'un

Marchand d'étoffes de foie étoit prêt à faire banqueroute, pour n'avoir point vendu fa marchandife, l'envoyèrent chercher, & lui dirent qu'ils étoient de riches négociants Flamands, & qu'ils avoient befoin d'étoffes, au moins pour dix mille livres. Le Marchand fit apporter chez eux la plus grande partie de fes étoffes; on les choifit, & le marché se conclut. Dans cet intervalle, on fervit à dîner. Le Marchand fut invité à prendre fa place; il accepta, mangea beaucoup, & but de même. A peine eut-on deffervi, qu'il entra un troisième Grec, qui dit à celui qui avoit acheté les étoffes: Eh bien! voulez-vous que je vous donne votre revanche? Volontiers, répondit l'autre ; qu'on apporte des cartes. Monfieur, ajouta-t-il, en s'adreffant au Marchand, cet homme eft un négociant de mon pays, qui me gagna hier deux mille écus, fi vous étiez heureux, nous jouerions de moitié, cela corrigeroit la fortune; en ce cas vous tiendrez les cartes. Le Marchand l'accepta, & auffi-tôt on en vint aux prifes. En moins de deux heures, ce marchand perdit dix mille francs. Ici, le Grec qui les gagnoit, fit une pofe. Monfieur dit-il au Marchand, comme je ne fais avec qui j'ai l'honneur de jouer, & que voilà déjà une somme affez confidérable de perdue, vous me permettrez de vous demander qui me paiera? Allez, Monfieur, reprit l'autre Grec, je fais bon pour Monfieur; je vous réponds de tout ce qu'il perdra. Je lui dois dix mille francs pour des étoffes qu'il m'a vendues & que j'ai reçues. Voilà qui eft clair, dit le Grec qui avoit fait l'objection, je n'ai rien à dire à cela. Dans ce cas, ajouta-t-il, en reprenant les cartes, je vais continuer. Il continua en effet, & le March nd perdit non-feulement fes marchandises, mais encore tout ce qu'il avoit d'argent for lui.

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Deux autres Grecs vouloient lier partie avec un Médecin riche qui aimoit le jeu, mais qui étoit fi Occupé de fes malades, qu'ils n'avoient pu le join

dre. Un troifième, plus alerte, les tira d'embarras; il fit le malade, & envoya le matin chercher l'Eculape. Celui-ci le trouve effectivement au lit lui tâte le pouls, ordonne une purgation; mais c'étoit lui-même qu'on vouloit purger, & il promet de revenir le foir. Lorfqu'il arriva, un pharaon étoit établi; on n'y jouoit qu'avec de l'or, & Ja banque étoit de deux-cents louis. Le prétendu malade, après avoir entretenu de fon état, le Médecin, qui jettoit toujours des yeux avides fur la table: Vous avez la phyfionomie heureuse, lui dit-il, voudriez-vous me faire le plaifir de ponter dix louis pour moi ? Très-volontiers, répondit le Médecin. Le Grec lui donna les dix louis, & auffi-tôt il fe mit à jouer. Il étoit en effet fi heureux, qu'il ne mettoit fur aucune carte fans gagner. Toute la partie étoit surprise de fon bonheur. En moins d'un quart-d'heure il gagna cinquante louis. I les compta au malade, en lui temoignant qu'il avoit eu plufieurs fois envie de lui propofer d'être de moitié. Ah! mon Dieu, Monfieur le Médecin, dit le malade, j'en fuis au défefpoir, que n'avez-vous parlé ? J'aurois été charmé de partager avec vous ce petit profit. Mais ce qui eft différé n'eft pas perdu. Vous n'avez qu'à revenir demain à la même heure, ces Meffieurs feront ici, & nous jouerons ensemble ce que vous voudrez. Le Docteur n'y manqua pas. Il s'affocia avec fon malade, qui fe portoit affez bien pour être autour de la table. On laiffa d'abord gagner quelques louis au Médecin ; mais dans peu la chance tourna. Il perdit ce jour-là, & les fuivants, vingt mille francs, qu'il avoit gagnés à force de courfes & d'ordonnances.

Sept Grecs étoient aux aguets depuis long-temps, pour trouver l'occafion de duper un Banquier de Lyon, qui étoit arrrivé à Paris, & qui avoit la réputation d'aimer le jeu; mais celui-ci se tenoit fur fes gardes. Ces Meffieurs ayant fu le jour de fon départ pour Lyon, dans la diligence, jugèrent qu'il

n'y avoit plus de temps à perdre; ils arrêtèrent fept places. Ce Banquier fe trouva donc embarqué avec fept Grecs qui feignoient de ne point fe connoître, & qui fe donnoient, l'un pour un Colonel étranger, l'autre pour un Seigneur qui voyageoit incognito, pour fon plaifir. Celui-ci étoit le parent d'un Miniftre; celui-là, d'un Duc & Pair; & ainfi des autres. Le Banquier ne tenoit prefque point de place dans la voiture, tant il étoit petit auprès de gens d'une fi grande confidération : il ne s'étoit trouvé de fa vie, en fi bonne compagnie. Le foir, les Grecs demandèrent des cartes, & jouèrent entr'eux, fans mettre de la partie le Lyonnois, qui, s'ennuyant d'être fimple fpectatenr, pria qu'on lui permit d'y prendre part. On y confentit par politeffe; & très-poliment on lui enleva, à différentes féances, tout fon argent comptant & toutes fes lettres-de-change. On en étoit à la dernière, lorsqu'il arriva à Lyon; & ces Meffieurs cherchèrent un autre Banquier qui voulût faire avec eux le voyage de Paris, dans la diligence.

Un Grec qui en vouloit à un Financier, apprit que ce dernier avoit été obligé de fe loger chez un Chirurgien, pour réparer fa fanté, que fon libertinage avoit altérée. Bon! dit le Grec, qui fut cette anecdote, voilà mon affaire; je ne puis plus manquer mon homme; je n'ai qu'à paffer auffi par les remèdes. Je ne rifque rien en cela; il n'y a pour moi, au contraire, qu'à gagner à ce marché car il eft incertain fi je n'ai pas la même maladie, & il eft für que je lui gagnerai fon argent. Tous les Médecins difent qu'il faut s'amufer pendant le cours de ces remèdes, je me chargerai donc de l'amufer. Ce qu'il fit en effet d'une manière fi intéreffante, que pendant le cours des remèdes le Financier perdit quatre-vingt mille livres, & fortit de ce lieu, après foixante jours, radicalement guéri & des femmes & du jeu.

D'autres Grecs, dédaignant des moyens ordinaires, voulurent tromper le public par un ftrata

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