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et vous n'avez qu'à vous imaginer que c'est une dépêche.

Excusez auprès de mon auguste bienfaiteur une paresse et une stérilité qui sont l'effet nécessaire de l'âge, et profitez de toutes les occasions qui peuvent s'offrir à vous, de lui parler de ma vive et respectueuse reconnaissance.

Vous connaissez depuis longues années les sentimens qui m'attachent à vous.

MORELLET.

Avez-vous pensé aux stéréotypes d'Herhan?

LETTRE IX.

1er Septembre 1807.

Je suis bien peu en état d'écrire à Votre Excellence, de manière à l'intéresser. Mes yeux et ma tête s'affaiblissent en même temps et sensiblement. Je ne puis guère lire ni écrire une heure de suite, sans fatigue et sans douleur; et lorsque je ne puis faire ni l'un ni l'autre, je n'ai plus que des pensers vagues, fugitifs, et incohérens comme ceux des rêves. Je voudrais que quelque métaphysicien subtil, comme Degérando, pût m'observer et m'expliquer moi-même, à moi-même; en attendant, je me trouve peint dans Lucrèce avec beaucoup de vérité.

Post ubi jam validis quassatum est viribus ævi
Corpus, et obtusis ceciderunt viribus artus;
Claudicat ingenium, delirat linguaque mensque,
Omnia deficiunt atque uno tempore desunt.

Pardonnez donc ma stérilité à ma décadence et à ma faiblesse; je suppose que Votre Excellence, ainsi que mon auguste bienfaiteur, vous mettez toujours un vif intérêt à notre littérature, et que vous apprendrez avec peine et les pertes que nous avons faites et la difficulté avec laquelle nous les

remplacerons. Portalis, Lebrun, et plus récemment Dureau, nous laissent trois places vacantes. Croyez-vous que nous puissions trouver trois sujets propres à les remplacer? Je vous le donne en quatre. Nous avons pourtant vingt candidats : il y en a qu'on n'entend pas nommer sans rire. Nous avons cru, Suard et moi, et nous avons tâché de propager notre opinion parmi nos confrères, qu'avec trois places vacantes c'était le vrai moment d'exercer le droit que nos statuts nous laissent, d'appeler à nous des membres des autres classes; qu'avec une pénurie assez marquée de talens distingués, nous ne pouvions rien faire de mieux que de nous donner pour confrères quelques-uns des hommes de la première classe, connus en Europe, comme Lacépède, Laplace, Delambre, Cuvier, qui jouissent dans le monde savant d'une si grande réputation, et dont les noms honoreraient notre liste.

Après l'un de ces hommes-là, si nous ne pouvons pas en avoir deux de suite, mon avis est de nommer Raynouard, auteur des Templiers, qui ont eu quarante représentations, et de pièces qui ont remporté le prix à l'Académie.

Reste une troisième place, qui court risque d'être donnée au vieux Laugon, qui n'a de titre que l'Amoureux de quinze ans, ou à Saint-Ange, qui a, dans ses Métamorphoses, un assez beau titre littéraire, mais qui est un peu vain; qui, sitôt qu'il sera notre confrère, se couvrira à coup sûr de ridicules qui rejailliront sur nous. Vous

voyez le danger de cette situation. Que n'êtes-vous ici, pour nous aider à éloigner de nous les malheurs dont nous sommes menacés! Notre élection est fixée au 7 octobre; vous en trouverez le résultat dans les papiers publics, si je ne vous écris pas encore avant ce temps-là.

Nous avons eu hier, 3 octobre, notre assemblée publique de la classe des arts, où l'on a distribué les prix de peinture, de sculpture, etc., et où, après la distribution des prix, s'est faite l'inauguration de la statue de l'Empereur, que l'Institut avait votée, et qui est placée dans la salle de nos séances publiques (le dôme Mazarin), derrière le bureau où sont les officiers. Après la distribution, on a exécuté une cantate dont les paroles sont d'Arnault, et la musique de Méhul. La musique m'en a paru bien faite, quant aux paroles je vous en envoie un exemplaire, dans lequel un critique, difficile à contenter, a souligné les traits et les expressions dont il est mécontent, et a fait quelques remarques que je vous envoic.

Mais je vous fais observer qu'un ouvrage de commande, et destiné à être mis en musique, doit être traité avec indulgence. Ce n'est pas par des productions de ce genre qu'on peut juger le talent. Voilà, je crois, de quoi excuser le critique (1).

(1) L'exemplaire critiqué à la marge no s'est pas retrouvé. (Note de l'Editeur.)

Je ne sais si l'on vous a envoyé l'ouvrage nouveau de Parny, intitulé les Roses-Croix. Ce sont des combats sans motif et sans fin, et des héros sans nombre, qui tous ont des noms pires que celui de Childebrand, Engist, Oswal, Althor, Edgitha, Alkent, Genisthal, Erich, Odror, Erloff, Lodbrown, Ladnor, Lambdarck, Insleff, etc. Enfin, ils sont plus de quatre-vingts, comptés un par un, sans qu'aucun attire l'attention et excite l'intérêt, de sorte que ceux qui tentent de lire disent tous : Moi je n'ai pas pu passer le second chant; moi, je suis resté à la moitié du second, etc. J'en suis fâché pour Parny, qui est un bonhomme; mais il n'y a bonhommie qui puisse faire prendre en patience un tel ennui. ́

Vous apprendrez, je crois, avec quelque satisfaction, la nomination de Pictet, ci-devant tribun, à une place d'inspecteur des études. Vous savez que c'est un homme très-instruit, très-estimable et d'un très-bon esprit. Il pourra être utile dans la nouvelle organisation de cette partie projetée depuis si long-temps et dont on a déjà présenté quinze à dix-huit plans différens. Les génevois n'ont pas été atteints, autant que nous, du vandalisme révolutionnaire, et ils ont conservé beaucoup de bonnes choses dans leur instruction publique. Ils peuvent nous donner de bons exemples et de bons conseils.

MORELLET.

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