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esprit avoit de la culture; mais elle gâtoit ces avantages par des afféteries qui trahissoient toutà-la-fois, et son peu d'usage du monde, et les prétentions de sa vanité (1). On a eu tort d'avancer qu'elle étoit l'auteur des écrits de son mari; Rolland connoissoit l'art d'écrire, mais son style se ressentoit de l'âpreté de son caractere. Sa femme, chargée de copier ses ouvrages, prenoit soin de les polir en même-temps, et de les orner des agré mens dont ils étoient susceptibles.

Rolland avoit obtenu l'emploi d'inspecteur des manufactures de la généralité de Lyon, qui lui procuroit un appointement de huit mille livres, formant tout son revenu. Cet emploi s'évanouissoit devant les institutions départementales; Rolland voulut rattraper la fortune fugitive. Il visa d'abord à la mairie de Lyon; et pour s'y faire porter, il alloit déguisé, dans les tavernes, pour insinuer son nom aux ouvriers, en se mêlant à leurs orgies. Il distribua parmi le peuple même, un libelle contre les échevins, les nobles, les négocians: contre tous ceux, en un mot, qui pouvoient mériter la confiance pu

(1) Madame Rolland avoit le ridicule de croire que lé style familier étoit au-dessous d'elle. Elle affectoit de parler en conversation, comme on écrit pour une académie.

blique,

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blique, afin d'écarter des fonctions municipales ceux qu'on devoit naturellement lui préférer.

Mais ces expédiens n'eurent pas tout le succès que s'en promettoit Rolland. Le peuple ne se souleva point, à sa voix, contre les classes calomniées par elle; et presque tous les suffrages se réunirent pour porter à la premiere mairie de Lyon, un ancien membre de la cour des monnoies, Palerne de Savy, qui avoit été avocat-général dans l'éphémere Conseil supérieur de 1771, où il s'étoit distingué par son éloquence et sa probité homme honnête, sensible, populaire, crédule et foible, qui, sans partager tous les torts de Bailly, devint presqu'autant, la dupe de son enthousiasme pour la révolution.

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Une subalterne place de notable fut tout le fruit que Rolland recueillit de ses manœuvres. Ce seroit peut-être une accusation précoce, d'affirmer ici, que dès-lors il étoit vendu au parti d'Orléans, pour lequel sa femme a dévoilé leur commun dévouement, dans son Appel à la postérité (1). Ce que je peux assurer cependant, c'est que Rolland étoit déja lié très-intimement avec Brissot,

(1) Espece de testament volumineux, que madame Rolland a laissé, pour s'entretenir avec la postérité. Tome I. Hist. de Lyon.

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Il arriva dans la nomination des premiers manicipaux de Lyon, ce qui est constamment arrivé dans toutes celles, où l'on a eu plusieurs choix à faire. Des électeurs honnêtes semblent avoir épuisé leur zele, après un premier succès contre la cabale des méchans. Les bons citoyens n'abandonnent que trop ordinairement les élections subséquentes, à l'intrigue qui jamais ne se décourage. En cette rencontre du moins, ils n'influerent point autant dans la nomination des officiers municipaux que dans celle du maire, parce qu'ils ne sentirent pas qu'un maire honnête, entouré de collegues foibles, nuls ou perfides, ne peut être qu'un magistrat impuissant contre les ennemis de la tranquillité publique.

Ces ennemis dangereux ne marquerent pas également leur influence dans la formation des administrations de district et de département. Elles furent néanmoins composées d'un mêlange de réformateurs politiques, parmi lesquels on remarquoit un calviniste, puissant en richesses. Tous étoient partisans de la révolution, et jouissoient encore de la considération publique, à laquelle ils renoncerent quelquefois ensuite, pour s'éviter les désagrémens révolutionnaires qu'ils eussent trouvés à s'y maintenir.

La garde nationale venoit de recevoir une organisation, dont la nouveauté causoit un peu d'enchantement, lorsque la mode des fédérations vint l'augmenter, par celle qu'elle fit célébrer aux Lyonnois, dans le mois de juin 1790. Les gardes nationales des départemens voisins y furent invités; la cérémonie eut lieu dans un vaste champ, éloigné de la ville, au-delà du Rhône, dans la plaine des Brotteaux, auquel elle valut le nom de Champ de Mars. Sur un temple orné d'emblêmes païens, l'autel de la religion catholique étoit dressé on y célébra la messe, la statue de la liberté, placée au-dessus, présidoit à l'auguste sacrifice. Les administrateurs et les citoyens-soldats prononcerent le serment de fidélité au roi, à la nation: ce serment fut couvert des applaudissemens d'une multitude immense, accourue de toutes parts, à cette fête.

L'ivresse qui l'accompagna se reproduisit dans celle du 14 juillet suivant, commandée par l'assemblée nationale, en mémoire de la prise de la Bastille. Cette seconde fédération se célébra sur la place de Bellecour, qui portoit le nom de Louisle-Grand, depuis l'inauguration qui y avoit été faite de la statue équestre de ce monarque. Ce fut derriere ce monument, qu'on dressa l'autel de

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lá patrie; la religion y offrit encore son sacrifice, et párut consacrer le serment qu'on y répėta. Mais, ainsi exposée à des irrévérences, inévitables au milieu de rassemblemens aussi profanes, elle sembla n'y avoir été traînée que pour y rendre publiquement son dernier soupir. La radiation qu'on fit alors du nom de Louis-le-Grand, en substituant à cette place, celui de la fédération présagea que la statue du monarque en disparoîtroit aussi bientôt.

Par une fatalité, dont la connoissance ne pouvoit qu'empoisonner toute joie publique, il étoit alors peu de fêtes qui ne fussent accompagnées de quelques mouvemens fâcheux. A l'époque de celle dont nous venons de parler, une nouvelle insurrection éclata, sans prétexte marqué. Incertaine dans sa marche, elle voulut d'abord, pour acquérir des forces, s'emparer des armes de l'arsenal: mais elle fut repoussée dans cette premiere tentative; et le projet des révoltés échoua. Un de leurs excitateurs fut pris et condamné au supplice de la corde. Sans vouloir expliquer l'énigme de cette émeute, je dois dire, pour aider ceux qui voudroient en deviner la cause, que ce chef étoit, comme les précédens, arrivé de Paris depuis plusieurs jours; qu'avant de marcher au gibet, il appella

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