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Quidquid fincerum menti Sapientia dictat,
Id fequere adnitens, hanc venerare ducem.
Et veneres linguæ, nec longè quære leporem,
Ultrò quæfitus promicat ipfe lepos.
Sublime ingenium fucum faftidit, & umbras,
Nativis gaudet luxuriare bonis.
Ofi Naturæ noflent myfteria Vates!
Ingenuâ fimplex crefceret arte labor.

A MONSIEUR L'ABBE' DE CHAVIGNY CONTRE LES FABLES, Traduction par M. LB R.

CIV.

Fles, Dieux & Déelles, retirez-vous; nous vous avons

ICTIONS bourrues & mal digerées des anciens Poë

foufferts trop long-tems; cet Apollon tant de fois rebattu, & ces Mufes fi fouvent & fi vainement invoquées, ne feront jamais pour moi que des divinitez fourdes & muettes. Ces fottifes étoient bonnes aux Poëtes du tems paflé, qui en faifoient une partie de leur Religion: mais pour nous qu'un autre efprit anime, nous ne les devons plus regarder que comme de pures niaileries, & il nous faut fuivre d'autres routes. La raifon toute feule doit être notre guide, & nous ne devons pas regarder les erreurs des Anciens comme des exemples, mais comme des écueils.

Si j'ai besoin d'une lumiere pour éclairer mon efprit, & d'un feu pour l'échaufer, Jésus-CHRIST qui eft la fplendeur éternelle du Pere, fera mon flambeau ; & l'Efprit faint qui eft une fource de chaleur, m'embrasera de fes flâmes.

Au lieu des neuf Mufes j'invoquerai les neuf Chœurs

des Anges; & ces Efprits bienheureux mêlant leurs accords aux accords de ma lyre, donneront à mes vers une douceur celefte & incomparable..

Une montagne plus fainte & plus belle que celle du Parnaffe s'offre à mes yeux; fi on conferve encore un feu très- pur, & des reftes auguftes du Dieu qu'il a autrefois confacrée par la préfence. Les Palmes qui parent fa cime, valent mieux que tous les Lauriers du Parnasse, & peuvent couronner un Poëte bien plus noblement & plus glorieufement. Veut-on prendre fon vol plus haut, & s'élever jufques dans les nues? le chemin du Ciel y est tout marqué, & l'on y voit encore, les traces d'un Dieu qui y eft monté. Ce Mont illuftre a porté des Poëtes d'un bien plus grand prix que ceux de Theffalie, des Poëtes qui fe font moquez des Dieux, & n'en ont pas fait pour cela des vers moins divins. Qu'Homnére auroit été heureux, s'il eût connu le mont de Sion! fans doute qu'il eût été épris de les beautés; fes vers ne feroient pas remplis de tant de folles divinités que nous les voyons; & la majefté d'un Dieu feul & véritable les auroit rendus bien plus majestueux.

Une Religion nouvelle & meilleure s'eft élevée fur les ruines de l'ancienne, & s'eft répandue par toute la terre. L'on ne connoît plus maintenant qu'un Dieu tout-puiffant, qui regne dans le Ciel; il n'y a plus que lui qui lan ce le tonnerre. Pauvre Jupiter, te voilà defarmé, & ces foudres dont tu faifois autrefois tant de bruit, font tom bées fur ta tête. Où eft maintenant le char & le trident de Neptune, & Neptune lui même? la mer l'a englouti dans fes eaux, & de fon thrône a fait fon fepulere. C'est JESUS-CHRIST qui eft le Maître des vents & des tempêtes, & c'eft lui qui les arrête & les fait taire d'une feule parole. N'eft-ce pas encore le même Dieu qui donne à la terre fa chaleur & fa fecondité, & qui fait tomber à propos les pluyes douces & les rofées ? L'air ne le doit-il pas auffi reconnoître pour fon Souverain, depuis qu'il l'a honoré de fa préfence, & en a traverfé toutes les regions avec un corps glorieux & reffufcité ? Que Junon donc ne fe montre plus,& s'évanouiffe en l'élement qui faifoit fon Empires,& que Cerés fe cache de honte dans les entrail:

les de la terre. L'Enfer, dont le fouvenir feul fait trem Bler les coupables, trembla jufques dans fes fondemens lorfqu'un Dieu homme alla s'y faire reconnoître : & Pluton & Rhadamante, fouffrent à leur tour les fupplices qu'ils ont fait fouffrir aux autres.

Ne faites donc plus revivre mal à propos dans vos vers ees reftes infames de l'Antiquité. Les Dieux-mêmes fe taisent à la naissance d'un Dieu Enfant; pourquoi leur voulez-vous rendre la voix qu'ils ont perdue? Si l'on pouvoit rappeller des Enfers les Poëtes anciens ils feroient les premiers à detefter les Dieux qu'ils ont adorés, & à rendre à Dieu l'empire & la gloire qu'ils lui ont ravie.

Ils condamneroient toutes ces fables, & fe ferviroient d'ornemens plus folides & plus convenables. C'eft pour quoi fi vous me voulez croire, comme les chofes ont changé, changez auffi la maniere de les dire, & laiflezlà toutes ces vieilles & grotefques décorations de théa tre. Qui oferoit maintenant métamorphofer une fille en un tronc d'arbre, à moins que de s'expofer à paffer pour plus ftupide que ce tronc-même ? Encore fi ces fables étoient ingenieuses, ce feroit quelque chofe, on fe confoleroit de la perte qu'on y fait de la verité; mais elles font ordinairement fi groffieres, qu'elles n'ont ni le folide de la verité, ni la grace de l'invention. Apollon aime une fille, cette fille s'enfuit, & fe voyant preflée, implore le fecours des Dieux, & auffi tôt l'on voit fes membres délicats fe durcir en écorce d'arbre. Ne voilà. t-il pas une fille bien exaucée & bien récompensée de fa vertu Et que les Poëtes ne craignent point que la Nature change fon cours ordinaire, fi l'on vient à ôter ces Divinités : toutes les chofes ne laifferont pas d'aller bien fans cela, les Jardins bien entretenus feront verds & fleuris fans Pòmone; & il n'eft pas besoin de Flore pour donner aux fleurs leur fraicheur & leur beauté.

Les violetes feront pâles fans faire commettre un crime à Apollon, & la Nature toute feule donnera aux Rofes leur odeur & leur incarnat. Que le foleil répande les rayons fur l'Anemone, & qu'elle reçoive une pluie douce & chaude; faudra-t-il encore pour la rendre plus

belle, qu'elle foit teinte du fang d'un jeune amant ? Les lis feront toûjours plus fuperbement vêtus que les Rois dans toute leur gloire, quand les fources de lait de Junon feroient fechées. Qu'ai-je affaire lorfque j'entens gazouiller un Roffignol, de m'aller imaginer que c'eft une fille qui fe plaint d'un affront qu'elle a reçu ; comme fi les roulemens de voix de cet oifeau ne fuffifoient pas tous feuls pour me charmer? Que je prens de plaifir à voir ces beaux jets d'eau, & ces cascades qui tombent par bonds, quoique je ne fonge pas feulement à Hylas ? Les Agneaux ne laifferont pas de bondir fur l'herbe & de brouter le gazon verd, bien qu'ils n'ayent plus avec eux les Faunes ni le Dieu Pan. Et enfin ne mettez ni Dryades dans les forêts, ni Naïades dans les eaux ; les eaux & les Forêts en feront-elles moins agreables ? Mais ce qui fait qu'on eft bien-aife de fe repréfenter des Nymphes dans les bois ou dans les fleuves, c'eft que l'efprit le plaît naturellement à ces fortes d'images qui flatent les fens, & que les voluptueux aiment à fe figurer ou une Venus, ou des Déeffes, à qui l'imagination donne toutes les douleurs qu'elle veut. Otez cela, & vous ne trouverez plus dans ces fictions, que des paroles qui ne fignifient rien. Pour moi je ne paye pas de mots qui n'ont qu'un fon vain, je demande des chofes. Ce n'eft pas néanmoins qu'on ne puifle animer les chofes mortes, & leur donner du mouvement. Quand je décrirai les préparatifs d'une guerre, je ferai fort bien venir la difcorde aux crins de Serpens, une torche de poix fumante à la main. On peut quelquefois fuivre les faillies de fon efprit; mais auffi il faut que ces faillies demeurent toujours dans les bornes de la bienféance. Donnez des aîles aux vents, à la bonne heure, & cent bouches à la renommée; car les aîles fiéent bien aux vents, & la renommée qui eft caufeufe eft ravie d'avoir bien des bouches. Que les croupes des montagnes bondiffent de joye, fi vous voulez, que les fleuves donnent des fignes d'allegreffe ; & qu'un champ bien émaillé de fleurs en devienne tout fier. Appellez diamans les boutons de la vigne, dites que la campagne eft riante, & faites demander au Ciel la pluye à une terre feche & alterée; car l'efprit fe plaît à ces vives images des chofes,

& aime qu'on les lui mette fous les yeux. Je fçai que les Poëtes ont plus de licence que les autres, & qu'ils font bien-aifes de refpirer un air plus libre; mais cette licence ne doit pas être effrenée, & ils ne s'en doivent pas fervir pour nous ramener des Divinités que la fuperftition des. Payens a introduites, & que nôtre Religion a abolies.

Et bien loin que la Poëfie y perde quelque chofe, elle Y gagnera beaucoup au contraire, puifque la perte de ce qui eft faux n'eft. pas confiderable, n'y ayant rien de beau que ce qui eft vrai. Il eft veritable néanmoins que ceux-là reflentiront plus cette perte, qui ne fe foutiennent que par la fable. Car qu'auroient-ils à nous dire s'ils ne nous parloient d'Apollon, des Muses, ou du Permeffe ; & cependant ils s'applaudiffent de ces niaiferies, & font bien glorieux quand ils ont fait des vers qui ont beaucoup de fon & de cadence, mais qui n'ont que cela, & où l'on ne fçauroit trouver un grain de fel, ni rien qui fatisfaffe l'efprit & la raison. Mais, difent ils, ces fables couvrent de grandes verités, & enferment fous leur écorce des chofes extremement utiles & de belles leçons. Et quand cela feroit, eft-il permis de donner à la Vertu le mafque du Vice, & de la mettre fous des figures honteufes qui la deshonorent? Il faut avoir du respect pour la verité, & ne la parer que d'ornemens honnêtes & convenables. Il ne faut pas habiller une honnête fille comme une courtifanne; car ce feroit faire tort tout enfemble à fa beauté & à fa modeftie, fa modeftie ne faifant pas une des moindres parties de fa beauté.

Je fçai bien pourtant que les Poëtes s'éleveront contre moi, & qu'ils crieront que de leur ôter la fable, c'eft leur ôter tout le plus beau de leur bien; mais je n'ai point d'autre réponse à leur faire, finon que s'ils ne trouvent rien pour fupléer à cette perte, il vaut mieux qu'ils fe taifent, & qu'ils prennent une bêche ou une épée. Mais il ne faut point qu'ils fe defefperent, ils trouveront bien d'autres ornemens que ceux-là. S'ils veulent fe donner la peine de fe confulter eux-mêmes, ils découvriront en eux les femences de la veritable beauté. Tout ce qui eft vrai & folide, eft beau auffi quand on a l'adrefle de le dire à propos ; & les plus petites chofes ont de gran

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