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Souffrez Mufes, fouffrez, qu'à l'ombre du Repos
Je chante des Jardins le paisible Héros ;
Par fon heureux travail, par fes foins honorée
De mille nouveaux fruits la Terre s'eft parée,
Et devenant feconde au gré de fes défirs,
A charmé tous nos fens de mille doux plaifirs.
Le folide Element, qui foûtient notre vie,
La Terre fe plaignoit de n'être plus fervie
Que par des hommes vils, par de ruftiques mains;
Elle qui vit jadis les plus grands des Romains
Au fortir des Combats, de leurs mains triomphantes
Cultiver avec foin les moindres de fes Plantes:
Elle n'enfantoit plus dans fa trifte douleur,
Que des Fruits imparfaits fans force, ou fans couleur;
A peine pour garder les loix fes coutumes,
Donnoit elle au Printems les plus fimples legumes?
Et retenant cachez fes precieux trefers,
Elle ne daignoit plus les produire au dehors.
De fon riche Palais, la difcrete Nature
Avec joye entendit cet innocent murmure,
Et pour notre bonheur promit de mettre fin
Aux finiftres effets d'un fi jufte chagrin :
Elle avoit dès long-tems, du fage QUINTINYE
Formé pour les Jardins l'admirable génie,
Et verfé dans fon fein les dons qu'elle départ,
Quand elle veut qu'un homme excelle dans fon Art:""
L'efprit qu'il reçût d'Elle, ouvert fur toutes chofes
Ne voyoit point d'effets fans en chercher les caufes:
Avec un foin exact il avoit medité

Tout ce qu'a jamais (çû la docte Antiquité,
Tout ce qu'a recueilli la longue Experience,
Enfin rien ne manquoit à fa vafte fcience,
Que de voir la Nature encore de plus près
Et d'en bien penetrer les plus rares fecrets.
Un jour que vers le foir preffé de laffitude,
Et les fens épuifez de travail d'étude,
Il fe laißa furprendre aux charmes du repos,
Sur un lit de gazon, qui s'offrit à propos:

ser notre Poëte, dont il emprunta les penfées, fit celle

A peine à la faveur du frais, & du filence
Souffroit-il du fommeil la douce violence,
Que d'un vol infenfible il fe vit transporté
Dans un vafte Palais d'admirable beauté,
L'ouvrage & le fejour de la fage Nature,
Dont l'ordre négligé, dont la fimple structure
Avoient plus de grandeur, avoient plus d'agrémens
Que n'en eût jamais l'Art, ni tous fes ornemens.
Il voit, que de ces lieux l'agaffante Maîtreffe
N'y fçauroit endurer la fterile Pareffe.

Là dans un reduit fombre, où par des longs travaux
Avec l'aide du Tems fe forgent les Métaux,
Il obferve étonné, que de la même argile,
Dont notre feu mortel fait un vase fragile,
Le feu de la Nature, inimitable Agent,
Forme comme il lui plaît, de l'or ou de l'argent:
Dans un Antre voifin il contemple, il admire
Les principes cachez de tout ce qui respire,
Les atomes fubtils, dont les corps font formez.
Et les Resorts vivans, dont ils font animez;
Mais fe laiffant aller à l'ardeur qui l'emporte,
Il paffe aux Vegetaux, pour voir de quelle forts
Dans fon travail fecret la Nature conduit
L'admirable progrez de la Planse & du Fruit:
Il remarque attentif, que l'ouvrage commence
Par humecter long-tems la fertile femence,
Que groffißant toujours elle vient à crever,
Pour dégager le germe, & le faire lever;
Que ce germe, au travers de fes fibres menues
Offre cent petits trous, comme autant d'avenues,
Où les fucs, les fels reconnus pour amis
Sont dans leur tendre fein uniquement admis:
Il voit que de ces fucs de differente force
L'un fe façonne en bois, l'autre devient écorce,
Et qu'en fuivant toujours la forme des conduits,
Les uns font le feuillage, les autres les Fruits.
Il s'inftruifoit ainfi plein d'une joye extrême,
Quand parut à fes yeux la Nature elle-même
Avec tous les appas, & tous les agrémens,
Qu'elle laisse entrevoir aux yeux de ses amans ;

A cultiver fon Art flateufe elle l'exhorte,
Et pour l'encourager lui parle de la forte.
Peut être qu'ébloui de l'éclat fans pareil,
Qui s'épanche en tous lieux du Globe du Soleil,
Tu penfes qu'il n'est rien dans l'enceinte du monde
Qui ne doive fon être à fa clarté feconde;

La Terre dans fon fein tenferme d'autres feux
Non moins forts & puiffans, quoique moins lumineux,
Dont les fombres chaleurs plus douces & plus lentes
Sont l'amour, le foûtien, la force des plantes.
Ces deux feux differens, en joignant leur pouvoir,
Font tout croître, & germer, font tout vivre & mouvoir,
Il est encor un feu vil, abjet, méprifable,
Né du fale rebut d'une ruftique étable,

Mais qui rempli de fucs, & de fels précieux
Fait feul plus que la Terre le Flambeau des Cieux :
Par fon heureux fecours, joint à ton induftrie,
Tu peux cueillir des fruits au fein de ta Patrie
Plus doux, plus favoureux, plus fins plus délicats,
Que ceux où le Soleil dans les plus beaux Climats
Aura, pendant le cours de fa longue carrierre,
Répandu tous ses feux, & toute fa lumiere.
De l'Art que tu chéris, le fecret fouverain.
Eft de fe bien pofter, & fur un bon terrain:
Il faut connoitre encor, comment l'Arbre prend vie,
Comment il fe nourrit, comment il fructifie,
Quelle vertu l'anime, & fi diverfement
A tout, fans fe peiner, donne le mouvement.
Dans l'endroit où le tronc se joint à la racine,
L'ame fait fa demeure, & prend for origine.
Lorfque l'Hyver répand fa neige, & fes frimats ;-
Elle quitte la tige defcend en embas,
Où fage elle travaille à pouffer de fes fouches

De nouveaux rejettons, qui comme autant de bouches
Attirent l'aliment, & forment la liqueur,..

Qui de l'Arbre au Printems fait toute la vigueur,
Quiranimé en montant fon tronc

fes branchages,

Et le couronne enfin de Fruits, & de Feuillages:
Ainfi c'est un abus de ne pas retrancher
Ces menus filamens, où l'on n'ofe toucher:

Tomus IL..

R

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Dès qu'ils ont vû le jour, auffi-tôt ils périßent
Et dans terre enfouis fe féchent, fe moififfent,
Infectent ce qui vit. Loin que l'arbre par eux
En repouffe des jets plus fains, plus vigoureux,,
Il en fent devenir fes forces languiffantes,
Et ne prend d'aliment qu'aux racines naissantes.
Tes Peres peu fçavans fe font encor trompez
Dans l'Art dont les rameaux veulent être
coupez
Quand du milieu de l'Arbre une branche nouvelle
S'élevoit fierement groffe, luifante & belle.
Elle étoit confervée, & charmé de t'avoir
L'ignorant Jardinier y mettoit fon espoir..
ry
Il faut jetter à bas cette jeune infolente,
Qui prend pour fe nourrir tout le fuc de la planter
Ce fuc; dès qu'on la coupe, auffi tot rabatu.
Aux branches d'alentour partage fa vertu,
Repare abondamment leurs forces prefque éteintes,
Et groffi tous les Fruits, dont elles font enceintes.
Je ne pourrais nombrer les abus differens,
Qu de mille façons tombent les ignorans:
Le Tems mes leçons te les feront paroître,
Des Arbres cependant travaille à bien connoître-
Tous les temperamens, & toutes les humeurs,
Leurs chagrins, leurs defirs, leur langage, leurs mœurs.
Il faut qu'à demi mot un Jardinier entende
Ce que dans fes befoins un Arbre lui demande :
Sa tige, fes rameaux, fes feuilles, fa couleur..
Lai témoignent affez fa joye, ou fa douleur,

Si dans ces lieux Jacrez j'ai voulu te conduire,
Simoi même je prens la peine de r'inftruire
Et de te découvrir tant de fecrets divers,
Tudois en rendre grace au Maître que tu fers 8:
Ce Prince eft mon amour, c'est mon parfait ouurage
Sabonté, fa valeur, fa force, fon courage.

Et tous mes plus grands dons, qu'en lui j'ai ramassezz
Auroient fait vingt Héros dans les fiècles passez s
Fai pris le même foin de fa Race immortelle,
Dent j'ai formé les traits furle même modelle,
Pour l'honneur de ses jours j'ai dans tous les talenses
Hou naître en mille endroits des hommes excellens,

D'eloquens Orateurs, d'ingenieux Poëtes,
De fes faits éclatans, fideles interprêtes ;
Des Peintres, dont tel eft le charme du pinceau,
Des Sculpteurs, dont telle eft l'adresse du cifeau,
Que j'ai peine moi-même, en voyant leur ouvrage
A me bien démélér d'aveque mon image.
Je veux que le bel Art, qui caufe tous tes foins
Leur difpute la palme, & n'excelle pas moins:
Quand fuivi de fa Cour, & couronné de gloire
Louis en defcendant du char de la Victoire,
Viendra fe délaẞer, après mille dangers,

Dans les longs promenoirs de fes riches Vergers,
Il faut que de beaux Fruits en tout tems foient couvertes
De tes Arbres feconds les branches toûjours vertes,
Puifqu'en toutes faifons fuivi de fes Guerriers
Dans le beau Champ de Mars il cueille des Lauriers.
Ainfi la QUINTINYB apprit de la Nature

Des utiles Jardins l'agréable Culture:

De-là tant de beaux Fruits, de-là nous font venus
Tant d'Arbres excellens autrefois inconnus,
Ou qui ne fe plaifoient qu'aux plus lointaines Terres;
De-là viennent encor ces admirables Serres,
Où les Arbres choifis, qu'on enferme dedans,
Sous un calme éternel font toûjours abondans.
Chez lui, quand l'Aquilon de fes froides baleines
Fixoit le cours des eaux, & durciffoit les plaines
Dans l'enclos foûterrain de ces tiedes réduits
De l'Eté, de l'Automne on trouvoit tous les fruits,
On trouvoit du Printems toutes les fleurs écloses,
Et l'Hyver au milieu des Fraifes, des Rofes,
Auroit crû n'être plus au nombre des Saifons
Si dehors il n'eût vi fa neige, dr fes glaçons.
Mais quand au Renouveau la diligente Aurore ·
Redoroit dans nos prés les richeffes de Flore,

Quand aux jours les plus chauds on voyoit dans les champs
Rouler fous les Zephirs les fillons endoyans;
Ou quand fur les côteaux, le vigoureux Automne
Etalloit les raifins, dont Bacchus fe couronne:
Quel plaifir fut de voir les Jardins pleins de fruits
Cultiver de fa main, par fes ordres conduits,

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