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REPONSE

DE M. DE SANTEUL,

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A LA LETTRE PRECEDENTE.

De S. Victor ce 19. Juin 1694.

"Arrive ici de Port-Royal, & en entrant on m'a donné vôtre Lettre. F'ai marché fur les tombes de vos meilleurs amis, & des miens, qui m'enseignent plus de leurs tombeaux que toute la troupe des F... dans leurs Chaires, je vous avoue qu'à chaque ligne de votre Lettre, je rougiffois, foit par les verités que vous me difiez, foit par la reflexion que j'ai prévûe en vous donnant mon livre, qu'il m'attireroit un tel compliment. J'avois toûjours refifté de vous faire ce prefent, dont Monfieur NICOLE m'a congratulé & Monfieur DU FOSSE'. Je n'ai donné cet ouvrage au public que parce qu'il alloit être imprimé à Lyon, fans ma participation & on l'auroit fagoté d'une étrange maniere. Je reçois cependant vos belles chrétiennes remontrances, &c. Monfieur le Tourneux m'a mille fois follicité à ramaffer mes Ouvrages difperfés, & il les apprenoit par cœur. (Car il n'y a rien contre les bonnes mœurs) je n'y ai jamais confenti, ne voulant pas monter fur le Parnaße, après en avoir defcendu pour monter fur le Calvaire. Et hæc nefcis. Vous êtes mon maître & mon juge, ¿ je veux croire que c'eft Dieu même qui parle par votre bouche. Vous avez raison de dire que je ne pratique pas ce que j'écris des Saints. Je ne fuis pas celui dont je dis, que l'Eglife chante (les faints Moines,)

Illi tota fuit gloria defpici :

Illi divitiæ, pauperiem pati:
Illi fola voluptas,
Longo fupplicio mori.

Il me falloit une Lettre comme la vôtre pour m'humilier rabattre l'orgueil des flatteurs. Je vous en rends mille graces, brúlez le livre, & que le feu purifie ce qu'il y a de fabuleux. Dieu augmente vos années pour le bien de l'Eglife.

SECONDE REPONSE

DE M. DE SANTEUL A MONSIEUR ARNAUL D.

Le 30. Juin 1694.

MONSIEUR,

Permettez moi de retracter la reponse que je vous ai faite trop brufquement. J'étois fi accoûtumé à recevoir des louanges de mes poëfies que vous appellez prophanes, que j'ai eu peine à digerer la pieufe & fage remontrance contenue dans votre Lettre. Mais après avoir fait quel ques reflexions, j'ai reconnu que vôtre fcrupule n'étoit pas mal fondé. Tous les Poëtes font éperduement amoureux de leurs productions, & l'on ne fait guere de jugemens temeraires, quand on les accufe de vaine gloire ; je n'ai donc que des graces à vous rendre pour votre pieté qui s'eft allarmée à mon sujet. C'est ainsi qu'un Pape écrivit à un Archevêque de VIENNE en Dauphiné, qui préferoit aux faintes fonctions de fa charge Paftorale la lecture des Poëtes Anciens, bien different de Saint Au-. *GUSTIN qui faifoit fes chaftes delices de l'écriture Sainte. SAINT PAULIN rompit tout commerce avec AusONE fon Maître comme il le dit,

Non patent Apollini
Sacrata Chrifto pectora

C'eft cette même charité qui vous a inspiré de me faite une fi belle Lettre, fi pleine d'inftructions. Vous avez apprehendé qu'une tacite renonciation à la promejfe faite à un ami, pour qui j'avois de la veneration n'eût corrompu mon cœur à violer ma promesse. Non, Monfieur, ceßez de craindre, je suis defcendu du Parnaße pour n'y jamais remonter. Les fermens des Poëtes Se rompent ordinairement comme ceux des Amans, mais il n'en fera pas ainfi d'un Chretien qui aime Dieu d fon Eglife, fi vous euffiez daigné jetter les yeux fur ma Préface (a), peut-être vôtre fcrupule auroit été levé: vous euffiez vû que j'ai été forcé à recevoir des ouvrages, que javois condamnés à un oubli éternel, depuis que l'Eglife a bien voulu adopter des Hymnes que le méme ami (b) m'avoit inspiré de faire, & que je n'ai entrepris que parce qu'il me conduifoit la main & par fa science,

par fa vertu: car qui fuis-je pour louer les Saints ; les imiter, c'est leur plus beau Panegyrique. Ces ouvrages étoient il y a long-tems dans les mains de l'Univerfité par feuilles volantes, & par morceaux ; on les avoit livrées aux Imprimeurs de Lyon à mon infçu. F'avois beau decrier mes Vers & les appeller des Vers adulterins des verités Chrétiennes ; on les croyoit legitimes dans le pays Latin, & le Paganisme les reconnoiffoit avec autant de plaifir, que la vraie Religion les regardoit avec horreur. Ils alloient fans ordre, fans revifion être compilez & rendus publics. Mais je les revendiquai à la premiere nouvelle, foit pour fupprimer ce qui pouvoit bleffer les oreilles chaftes, foit pour y châtier un stile trop diffus trop fleuri; foit enfin pour y ajoûter des beautés qu'un âge plus meur, & que la pieté me dictoit. Je devins un fecond pere de mes Poëfies, je les rendis fupportables aux yeux des ennemis de la fabuleufe Antiquité &affez purs pour plaire à ceux qui l'aiment encore. Ce font là des dépouilles de la vaine fuperftition, dont les Chretiens ne doivent jamais se revêtir, & encore moins s'en glorifier.

(4) Monfieur de Santeul parle ici de celle qu'il a mife à la tête de l'édition de 1694. qui

est la Piece cottée XXXVIII. de ce Recueil.

(6) M. le Tourneux.

Voilà,

Voilà, Monfieur, mes fentimens sur l'édition de mon livre que vous blâmez, les Argumens ne font pas fi prophanes que vous croyez. Si votre modestie ne vous cachoit à vous même, vous vous y verriez fous le nom d'un fameux Docteur (a), qui eft le Boulevart de l'Eglife; vous y verriez l'Epigramme (b) pour le Roi que vous avez honorée de votre citation. Mon amour propre voudroit ici me défendre par l'exemple de SIDONIUS APOLLINARIS: tout Saint qu'il étoit il fit revivre tout le Paganisme dans fes Vers. Saint GREGOIRE de NAZIANZE, le Pape DAMASE, JEROME VIDA Evêque d'Albe, URBAIN VIII. le Cardinal SADOLET, le Cardinal BEMBus n'ont point cru offenfer leurs caracteres par ce genre

d'écrits.

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Je croyrois volontiers que celui qui m'a inspiré de vous envoyer mon livre vous a auffi infpiré de m'écrire ; je lui en fçais bon gré. A la verité je fçavois que c'étoit une viande trop legere pour un homme nourri de la lecture folide des Saints Peres, & ma Poësie toute honteuse n'ofoit paroître devant vous, couverte des baillons de l'Antiquité fuperstitieuse ; j'apprehendois un pareil jugement que vous en avez fait tout ce que j'ai fait n'est qu'un amusement qui a ufé mon feu de jeuneße. Ces Vers me tenoient lieu d'occupation, je les regardois comme les Moines d'Egypte regardoient leurs corbeilles d'ofier, qu'ils bruloient après les avoir faites. An refte, je ne puis trop vous remercier de votre charité. Vous me fouhaitez le defir d'imiter les Saints avec l'effet. Hélas! je me fens bien éloigné de ces Divins origide ces vafes d'élection que la grace remplit, & qui les a faits Saints. Nous penfons toûjours mieux de la vertu que nous ne la pratiquons. Toutes les ftrophes de mes Hymnes m'accufent, & les vains applaudiffemens des hommes font bien contrebalancez par les remords de ma confcience devant Dieu,

naux,

(4) C'eft la Piece cotée dans ce Recueil CXXIX.

Tomus II.

(6) Cotée dans ce Receu CCXYI.

Y

Illis tota fuit gloria, despici:

Illis divitiæ, pauperiem pati:
Illis tota voluptas

Longo fupplicio mori.

Voilà ma condamnation écrite de ma main, & l'Eloge achevé de nos cheres fœurs de Port-Royal, des Moines de la Trape. Je reviens de ces Saints lieux, j'ai couché dans la chambré qui porte encore votre nom. J'ai vú, j'ai admiré ces victimes mourantes, qui n'ont de la voix que pour benir Dieu & pour prier pour ceux qui në les aiment point. Leur nombre diminue de jour en jour aux yeux des hommes, mais il augmente, aux yeux de Dieu,les Citoyens de la Sainte Patrie. Je le prie qu'il leur donne un fainte posterité, qui dans ce tems-ci eft presque defefperées mais Cîteaux le fut ainfi, quand une Colonie conduite par S. Bernard le repeupla: & cette fterilité fut plus feconde que la plus floriffante maison de Dieu Qu'il vous conferve pour la défense de fon Eglife, & qu'il grave dans mon cœur efficacement ce que j'ai écrit, peutétre par amour propre trop legerement fur le papier. Je fuis, Monfieur, de tout mon cœur & très fincerement Votre très-humble très-obeiffant ferviteur,

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