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dans la maison qu'occupait sur le mont Aventin sainte Marcelle; elle vivait dans la prière et la méditation des Saintes Écritures, avec une jeune fille d'une grande beauté, nommée Principia, qu'elle formait à la piété. Les soldats lui réclamèrent son or. Elle leur répondit qu'elle l'avait distribué aux pauvres, et qu'elle ne s'était réservé que le vêtement qui la couvrait. Les Barbares la frappèrent violemment, persuadés qu'elle voulait les tromper. Sans se préoccuper d'elle-même, elle leur demanda pour unique grâce de ne pas la séparer de Principia, exposée par sa jeunesse et sa beauté à des outrages plus cruels que la mort. Les soldats furent touchés de cette fermeté, et ils conduisirent les deux femmes à la basilique de Saint-Paul.

Dans une autre maison, un soldat s'empara d'une jeune femme chrétienne remarquable par sa beauté; n'ayant pu assouvir sur elle ses instincts de brute, il tira son épée et lui mit la gorge en sang. Inébranlable dans sa résolution, elle présenta sa tête au barbare, qui, plein d'admiration pour cette héroïque vertu, la fit entrer dans la basilique de Saint-Pierre, la recommanda aux gardes en leur ordonnant de ne la remettre qu'entre les mains de son époux (1).

Voilà cette Cité de Dieu décrite par saint Augustin, et c'est en apprenant ces faits édifiants, au milieu des horreurs de la destruction de Rome païenne, qu'il écrivit le septième chapitre de son livre 1a, intitulé :

« Le nom de Jésus-Christ seule cause de la clémence des Barbares; » et il dit :

« Ainsi ruines, meurtres, pillage, incendie, désola<«<tion, tout ce qui s'est commis d'horreurs dans ce ré

(1) Procop., Hist. vand. Paul Orose, Sozomène, Hist. —S. Jérôme, Ep. XVI. -S. Augustin, Cité de Dieu, l. I.

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« cent désastre de Rome, la coutume de la guerre en est « la cause. Mais ce qui s'est rencontré d'étrange et de « nouveau, la férocité des Barbares devenue un prodige « de clémence qui choisit, qui désigne à la multitude « les plus vastes basiliques comme l'asile où nul ne sera frappé, d'où nul ne sera arraché, où les vainqueurs «< plus humains amèneront leurs captifs pour leur assurer « la liberté, d'où les vainqueurs plus cruels ne pourront « les emmener pour les rendre à l'esclavage, c'est au nom «< du Christ, c'est à l'ère chrétienne qu'il faut en faire honneur. Qui ne le voit est aveugle; qui le voit en « silence est ingrat; qui s'élève contre les actions des grâces est insensé. A Dieu ne plaise que nul homme « sage en rapporte la gloire à ces cœurs sauvages et bar<< bares! Celui-là seul les a maîtrisés par le frein de l'é«pouvante, par les admirables tempéraments de sa dou«ceur, qui a dicté au Prophète cet oracle antique : « Je visiterai leurs iniquités avec la verge et leurs péchés << avec le fouet; mais je ne leur retirerai pas ma misé« ricorde. >>

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Lorsque Rome n'offrit plus de butin, Alaric la quitta pour se diriger vers l'Italie méridionale, où il paraissait vouloir donner enfin à son peuple une situation fixe. Mais avant qu'il commençât à exécuter ses projets, une mort prématurée l'enleva, en 410, à Cosenza, dans la Calabre. « Il semblait, dit Bossuet, qu'il ne fût au monde « que pour accomplir son ouvrage de la destruction de « Rome. >>

Alaric présente, dans l'histoire de son siècle, un phé

nomène aussi intéressant qu'inexplicable. Hardi, entreprenant, habile dans l'art de guerre, avide de butin, réunissant enfin tous les caractères distinctifs d'un vrai Barbare, il se montra en même temps policé, calculateur, modéré, maître de lui-même, ne se laissant ni étourdir par la bonne fortune, ni décourager par la mauvaise. Le but principal de tous ses efforts fut la possession de l'Italie; il lutta avec toutes ses forces contre son illustre adversaire Stilicon pour la conquête de ce beau pays, mais la puissance sauvage du génie inculte dut céder à la puissance supérieure du génie civilisé. Quand l'ingratitude et de basses intrigues ont réussi à renverser le héros qui avait sauvé Rome de tant de périls, Alaric parvint enfin à faire trembler devant lui et à humilier le sénat et le peuple; mais cette pourpre romaine qu'il a conquise, il la dédaigne pour lui-même et la jette sur les épaules d'un obscur courtisan, Attale, pour, bientôt après, l'en dépouiller. Le voilà maître de Rome, la domination de l'Empire est anéantie, désormais il est le seul, le véritable maître de l'Italie; c'est alors qu'il se dirige vers la Basse-Italie et reste, ce qu'il était avant ses conquêtes, Alaric, roi des Visigoths, sans songer à ceindre sa tête du diadème des empereurs d'Occident. Peut-être devons-nous voir précisément dans cette conduite étrange la preuve de son grand caractère. La conviction que son peuple était encore trop grossier et trop barbare pour conserver, par les mœurs, les lois et la suprématie intellectuelle, le pouvoir conquis par la force des armes, le détermina à préférer le titre de premier général de l'Empire romain à celui d'empe

reur.

Les obsèques d'Alaric furent dignes de ses exploits. Afin de dérober les restes de leur roi aux outrages des

Romains, les Goths détournèrent les eaux du Bisenzio pour ensevelir Alaric dans le lit de cette rivière qui coule au pied des murs de Cosenza. Ayant comblé la fosse avec une foule d'objets précieux et les corps des prisonniers qui l'avaient creusée, pour s'assurer du secret, ils firent reprendre aux eaux leur cours naturel, et leur murmure calme et solitaire se fit entendre, comme de coutume, sans que le passant pût se douter qu'elles cachaient le corps du destructeur de l'Empire romain.

La politique prudente d'Alaric fut suivie par Ataulf, son beau-frère et son successeur. Quoique tombée si bas, Rome, avec le souvenir de son ancienne puissance, inspirait encore une sorte de respect et d'effroi qui semblaient menacer d'une ruine inévitable quiconque oserait renverser un tel colosse. D'un autre côté, Ataulf se montra plus convaincu encore qu'Alaric de l'impossibilité de fonder, dès à présent, un Empire barbare qui pût avoir quelque durée; il s'exprima hautement à ce sujet, déclarant qu'il fut un temps où son désir le plus vif avait été la destruction du nom romain et la conquête de toutes les possessions romaines, enfin l'établissement d'un Empire Goth qui remplaçât l'Empire fondé par Auguste; mais l'expérience lui ayant démontré que les Goths, par leur caractère sauvage et indompté, étaient incapables de se soumettre au respect des lois, sans lesquelles le maintien d'un État n'était pas possible, il avait pris la résolution de préférer à la gloire de fonder un tel Empire celle de défendre l'Empire romain; c'est pourquoi, ajoutait-il, il se décidait à traiter de la paix avec Honorius et à lui offrir le secours de ses armes pour vaincre ses ennemis et raffermir son autorité dans les provinces insurgées.

Cet appui inespéré contribua beaucoup à soutenir en

core pendant quelque temps l'Empire ébranlé; mais s'il retarda, il ne put empêcher sa chute. Quand l'Italie, après des calamités si affreuses, put jouir d'un repos passager, quand plusieurs lois sages vinrent essayer de guérir les profondes blessures du pays, l'insurrection ne

fit qu'éclater avec plus de violence dans les provinces ; les usurpateurs qui se succédèrent en si grand nombre prouvèrent à quel point l'autorité de Rome était annulée hors de l'Italie.

En Afrique, province qui était toujours restée si fidèle à l'empereur, Héraclius, le meurtrier de Stilicon, se souleva, prit la pourpre et se montra, avec une flotte assez considérable, sur les côtes de l'Italie. Mais sa lâcheté ne lui ayant pas permis de soutenir son entreprise en face du danger, il expia sa révolte par une mort igno

minieuse.

En Gaule et en Espagne, Constantin, fils du roi des Bretons, avait conservé pendant longtemps le pouvoir, lorsqu'un de ses généraux, nommé Gerontius, se souleva contre lui, revêtit de la pourpre son ami Maxime, et pénétra dans la Gaule méridionale, pour attaquer Constantin lui-même. Constant, le fils de ce dernier, qui avait quitté le repos du cloître pour venir partager avec son père le fardeau du pouvoir, fut fait prisonnier et mis à mort. Constantin ne dut son salut qu'à l'approche d'une armée romaine, commandée par Constance, Romain de distinction. Mais si, pour le moment, il échappa au danger dont Maxime le menaçait, ce ne fut que pour recevoir plus tard la peine méri– tée par son usurpation. En vain Constantin appelat-il à son secours les Huns et d'autres peuples Barbares, Constance, qui rendit aux armes romaines un reste de leur ancien éclat, défit les Barbares, et Constantin es

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