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la sollicitude avec laquelle nous veillons sur vous, qu'on a vu arriver dernièrement dans cette ville quelques Égyptiens, pour la plupart adonnés au commerce, et que ces étrangers osent faire l'apologie des désordres odieux qui ont été commis à Alexandrie par les hérétiques. Ces gens soutiennent, au surplus, comme ceux dont ils embrassent la défense, qu'il n'y a en Jésus-Christ qu'une seule nature, c'est-à-dire la nature divine, et que la nature humaine, qu'il a prise dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie, n'a jamais eu en lui la moindre réalité : proposition doublement impie, puisqu'elle aurait pour résultat de faire considérer l'humanité comme mensongère dans la personne de notre Rédempteur, et de rendre la divinité passible. Nous pénétrons, à n'en pas douter, le but qu'ils ont en vue, et le motif qui les anime. Car, comme ils ont eux-mêmes abandonné la vérité de l'Évangile, pour suivre les impostures du démon, ils veulent entraîner aussi les autres dans leur chute, et leur faire partager le sort déplorable qu'ils se sont volontairement attiré. Nous vous engageons, en conséquence, avec la tendresse d'un père, et l'affection du frère le plus dévoué, à vous tenir en garde contre les ennemis de la foi catholique et de l'Église, qui nient opiniâtrément l'Incarnation de notre divin Sauveur, et qui combattent de toutes leurs forces le symbole établi par les saints apôtres. Fermez-leur attentivement la porte de vos cœurs, et n'acquiescez à aucun de leurs dogmes: en un mot, n'ayez avec eux aucune liaison, aucune conformité de sentiments, selon cette maxime de l'apôtre : Évitez celui qui est hérétique, après l'avoir averti une première et une seconde fois; sachant que quiconque est en cet état, est perverti, et qu'il pèche comme un homme qui se condamne lui-même par son propre jugement (1).

Car, c'est vouloir périr par sa propre obstination, et se séparer de Jésus-Christ par une folie inconcevable, que d'adhérer à des doctrines impies, connues pour avoir occasionné précédemment la ruine d'une infinité de personnes imprudentes; c'est courir à sa perte que de considérer comme un dogme catholique et conforme à la pureté de la religion, un système qui a été incontestablement condamné, au jugement des saints Pères, dans les hérésies aussi funestes qu'insensées de Photin, de Manès et d'Apollinaire; c'est enfin se précipiter dans l'abîme, et dévouer son âme à la réproba

(1) Tit., w, 10,

tion la plus manifeste, que de donner les mains à l'extravagance de ceux qui nient, par le fait, l'Incarnation de notre Seigneur, comme si cette détestable opinion était encore nouvelle, et qu'elle n'eût pas déjà encouru la censure la plus certaine et la plus irréfragable. Comme si encore l'Évangile tout entier ne nous enseignait pas ces vérités: le salut du genre humain a été opéré uniquement par le mystère de la miséricorde divine, et le grand ouvrage de la Rédemption n'est consommé qu'à l'égard de ceux qui croient d'une foi ferme; le Fils unique de Dieu, égal en tout son Père, a pris une substance semblable à la nôtre; il a bien voulu devenir ce qu'il n'était pas, tout en demeurant ce qu'il était auparavant, c'est-à-dire que depuis son Incarnation il s'est trouvé à la fois vrai homme et vrai Dieu; il s'est revêtu entièrement et parfaitement de notre nature (à l'exception néanmoins de la tache du péché, dont il n'a jamais pu être souillé), en unissant à son essence divine un corps et une âme véritablement subsistants; en un mot, conçu par l'opération du Saint-Esprit dans les entrailles de la bienheureuse Vierge sa Mère, il n'a pas dédaigné ni de venir au jour, à la manière des enfants ordinaires, ni de croitre, comme eux, dans les premières années de l'enfance. Le Verbe de Dieu, Fils unique du Père, publiait ainsi hautement, par la puissance de sa divinité, et par la faiblesse de sa chair, qu'il possédait réellement la nature humaine dans sa personne, ayant, en même temps, des actions corporelles qui lui venaient de son corps, et des opérations spirituelles qui procédaient de sa divinité. Car c'est le propre des hommes de sentir la faim ou la soif, et de se livrer au sommeil; d'éprouver la crainte et la tristesse et de répandre des larmes; enfin, être crucifié, mourir, être enseveli, ce sont encore là des actions qui ne conviennent qu'à un homme; mais c'est le propre de la divinité de marcher sur la mer, de changer l'eau en vin, de ressusciter les morts, d'effrayer le monde en mourant, par les prodiges les plus terribles, et de monter au plus haut des cieux avec un corps rappelé subitement à la vie. Ainsi, ceux qui croient toutes les vérités que la foi leur expose peuvent discerner, sans la moindre difficulté, ce qu'il faut attribuer à l'humanité, de ce qu'ils doivent, au contraire, rapporter à la divinité; car il n'y a dans le concours des deux natures qu'une seule personne de Jésus-Christ, lequel a pris en naissant la réalité d'un homme parfait, sans rien perdre pour cela de la puissance de sa divinité.

Fuyez donc, mes bien-aimés, comme un poison mortel, les hommes dont nous vous parlons; détestez-les, évitez-les; n'ayez aucun entretien avec eux, s'ils refusent de se corriger, après que vous les aurez avertis; car il est écrit: Leur doctrine, comme la gangrène, gâtera peu à peu ce qui est sain (1). Un juste jugement les a retranchés de l'unité de l'Église; vous ne devez, dès lors, avoir avec eux aucune communication; s'ils ont perdu les avantages de notre communication, ils ne sauraient s'en prendre qu'à leurs déréglements et à leurs crimes; ils ne peuvent nous accuser d'aucune inimitié mal fondée envers eux. Pour vous, qui êtes chéris de Dieu, et à qui le docteur des nations, l'apôtre saint Paul, rend le plus éclatant témoignage en disant: Que votre foi est cé lèbre dans toute la terre (2); conservez soigneusement dans vos ames le dépôt précieux qu'un si sublime panégyriste a loué en vous; continuez à vous montrer dignes de ses éloges. Qu'il n'y ait personne parmi vous qui consente à y devenir étranger: ne vous laissez pas infester par la contagion de l'impiété d'Eutychès, après vous être préservés inviolablement, pendant tant de siècles, du venin de toutes les hérésies, grâce aux enseignements de l'Esprit saint. Nous espérons avec confiance que la protection de Dieu veillera à la garde de vos cœurs, et y maintiendra la foi sans altération; en sorte qu'après avoir obéi jusqu'à ce jour au Tout-Puissant avec une scrupuleuse fidélité, vous parveniez à lui plaire éternellement par la pratique persévérante de la foi catholique. Par notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il (3).

En racontant la révolte des moines de la Palestine contre le concile de Chalcédoine (chapitre X), j'ai donné une courte analyse de la lettre adressée par saint Léon à ces moines égarés (page 406). L'étendue de ce

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document ne m'a pas permis de le publier dans le cours du récit. Voici la traduction de cette admirable épître, où s'épanchent avec éloquence et le cœur du Pontife et le génie du Docteur.

Léon, évêque, à tous les moines établis dans la Palestine.

Au milieu des soins dont je suis redevable envers l'Église universelle, et envers tous ses enfants, j'ai appris, par le rapport d'un grand nombre de personnes, qu'on a jeté quelque trouble dans vos esprits, et que des traducteurs ignorants, à ce qui semble, ou mal intentionnés, vous ont fait comprendre certains points de doctrine autrement que je ne les ai enseignés, ces interprètes infidèles n'étant pas en état de rendre exactement en grec le sens des expressions latines; impuissance qui se conçoit d'autant mieux que, lorsqu'il s'agit de développer des matières délicates et difficiles, le plus habile raisonneur est assez embarrassé pour se suffire à lui-même, en s'exprimant dans sa langue naturelle. Toutefois, ce commencement de dissension a produit à mes yeux le bon effet de me rassurer au fond sur vos véritables sentiments: en vous voyant désapprouver des erreurs que la foi catholique a constamment repoussées, j'ai compris que vous préfériez la vérité au mensonge, et que vous rejetiez, non sans raison, ce que je déteste moi-même avec vous, conformément aux règles que l'Église nous a tracées de tout temps. Car, outre que ma lettre, adressée à l'évêque Flavien, de sainte mémoire, renferme dans son propre texte tout ce qui est nécessaire pour son éclaircissement, sans avoir aucun besoin d'explication, elle est d'ailleurs en parfaite harmonie avec mes autres écrits, où le sens de ce que j'ai enseigné se trouve pareillement exposé dans le plus grand jour. En effet, obligé, comme je l'étais, d'entrer dans une discussion sérieuse contre des hérétiques, qui avaient troublé beaucoup de peuples de Jésus-Christ, j'ai fait voir aux très-cléments empereurs, au saint concile œcuménique, et à l'Eglise de Constantinople, ce que nous devions savoir et penser touchant l'Incarnation du Verbe, suivant la doctrine de l'Évangile et des Apôtres. En remplissant cette tâche, je ne me suis écarté en rien de la profes

sion de foi des saints Pères; car la croyance catholique est une, véritable et indivisible; on n'y peut rien ajouter, et on n'en peut rien retrancher. C'est cette croyance inviolable et parfaite que Nestorius d'abord, et maintenant Eutychès, se sont efforcés d'attaquer par des systèmes, différents il est vrai, mais, du reste, également impies, essayant d'introduire dans l'Église de Dieu deux hérésies, contraires entre elles, et méritant ainsi, l'une et l'autre, d'être condamnées par les disciples de la vérité, qui n'ont pu voir, dans les impostures opposées de ces deux hérésiarques, qu'un tissu d'extravagances, qu'une profanation détestable des choses saintes.

Anathème donc à Nestorius, qui a cru que la bienheureuse Vierge Marie n'était la mère que d'un pur homme, formant ainsi deux personnes, l'une de l'humanité, l'autre de la divinité, et n'admettant pas un seul Christ dans l'union du Verbe de Dieu avec la chair, mais établissant distinctement et séparément deux Christs, l'un Fils de Dieu, et l'autre fils de l'homme. Cependant, sans porter atteinte à l'essence du Verbe, immuable, qui a précédé tous les temps, et qui lui est coéternelle avec le Père et le Saint-Esprit, le Verbe a été fait chair dans les entrailles virginales de sa Mère, d'une manière si merveilleuse, que, par une seule conception et un seul enfantement, la même Vierge, après l'union des deux substances, s'est trouvée à la fois la Servante et la Mère du Seigneur vérité qu'Élisabeth a comprise à merveille, comme l'atteste l'évangéliste saint Luc, lorsqu'elle dit à sa cousine : D'où me vient ce bonheur, que la MÈRE DE MON SEIGNEUR VIENNE ME VOIR (1)? Anathème aussi à Eutychès, qui, se vautrant dans la fange des impiétés et des erreurs des anciens hérétiques, a renouvelé le troisième dogme d'Apollinaire : en sorte que, niant la réalité de la nature humaine, pour le corps et pour l'âme, il soutient que la personne de notre Seigneur Jésus-Christ ne comprend tout entière qu'une seule nature, comme si la divinité du Verbe s'était transformée elle-même en un corps et en une âme ; et comme si, d'ailleurs, être conçu, naître, sucer le lait maternel, croître, être crucifié, mourir, être enseveli, ressusciter, monter au ciel, et s'asseoir à la droite de son Père, d'où il viendra un jour pour juger les vivants et les morts; comme si, dis-je, tous ces actes avaient appartenu seulement à l'essence divine de Jésus-Christ, qui n'admet

(1) Saint Luc, 1, 43.

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