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l'Église, et en repoussant Julien, qui était une dangereuse et trompeuse béte, il donna aux catholiques autant de sujets de joie que si le glaive apostolique n'eût commencé que dès lors à retrancher la très-superbe hérésie des pélagiens. En cette occasion le diacre Léon assista Sixte de son conseil. » L'événement fit voir quelles avaient été la prudence et la sagacité de Léon. Car l'hérétique, infidèle à ses promesses, se remit de nouveau à troubler l'Église, et reprit la plume pour attaquer la grâce du Rédempteur, ce qui prouve clairement qu'il avait agi avec dissimulation et que ses sentiments intérieurs démentaient en secret ses paroles. (Prosper chron., ad an. 439.)

L'année suivante Léon fut chargé d'une importante mission qui témoigne de la grande confiance que son caractère et ses talents inspiraient à l'empereur. L'Empire d'Occident, qui, suivant l'énergique langage de Bossuet, attaqué par tant d'ennemis, n'en pouvait plus, se voyait encore affaibli par la jalousie de ses plus grands généraux. Aëtius et Albinus compromettaient la sûreté de l'Empire par leurs dissensions; Léon fut seul jugé capable de mettre un terme à cette rivalité calamiteuse; il partit pour la Gaule en 440, et parvint à réconcilier Aëtius et Albinus, dont toutes les forces furent dirigées contre les Barbares. Dans ces siècles où tout manquait à la fois à l'humanité, partout l'Église apparaît comme l'ange de la paix et de la charité.

Léon était encore dans la Gaule pour remplir sa mission, lorsque le pape saint Sixte III mourut, dans le mois d'août 440, après un pontificat d'environ huit ans. L'Église et l'Empire se trouvaient dans la situation la plus critique. Les hérésies et les Barbares, les dissensions intérieures, la corruption et les vices de toutes

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sortes conspiraient pour ruiner la société et neutraliser les efforts héroïques de salut tentés par l'Église. Dans ce péril immense, tous les regards se fixèrent sur l'homme qui, depuis longtemps déjà, donnait des preuves éclatantes et de son amour pour la vérité catholique et de la supériorité et de la vigueur de son intelligence. L'archidiacre Léon fut élu, et telle était la confiance universelle inspirée par ce choix, que l'Église romaine préféra rester quarante jours sans pasteur plutôt que mer un autre, et ces quarante jours se passèrent au milieu de la paix la plus merveilleuse. « Après la mort du pape Sixte, raconte saint Prosper, le siége romain vaqua pendant plus de quarante jours; le clergé attendait, avec une grande patience, et dans une tranquillité profonde, l'arrivée du diacre Léon, qui était allé dans les Gaules pour travailler à la réconciliation d'Aëtius et d'Albinus. Le délai même de son retour ne fut pas sans utilité, comme si, ajoute saint Prosper, ce retardement avait été prolongé exprès, pour que le mérite de l'élu et le discernement des électeurs fussent mis en évidence. »

Aussitôt on adressa à Léon une députation composée des personnages les plus honorables, pour lui faire connaître les suffrages du clergé, la volonté du peuple de Rome, et les désirs unanimes des gens de bien; et pour l'engager, au nom de tous, à hâter son retour, afin de consoler l'Église par sa présence. Quoique Léon fût bien étranger à l'amour des honneurs, il crut cependant devoir obéir car, refuser le poste qu'il n'avait pas brigué, c'était manquer de soumission envers Dieu; et fuir le pontificat sous ombre de vertu, eût été trahir l'Église, et livrer en quelque sorte le Saint-Siége au pillage : tant étaient grandes alors les intrigues de certains hommes, et les machinations des hérétiques, qui redoutaient un

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évêque vigilant et éclairé! Il partit donc pour Rome : Il у fut reçu avec avec acclamation par le peuple, avec joie par tout le clergé; on l'ordonna enfin évêque de l'église de Rome, le 29 septembre 440. Après quarante et un jours de veuvage, la chrétienté reçut dans la personne de Léon un des pontifes qui devaient le plus glorieusement illustrer le Saint-Siége, l'Église et l'humanité.

A l'avénement de saint Léon les Barbares dépeçaient l'Empire romain; ils ne se contentaient plus de le cerner de tous les côtés, ils avaient pénétré dans l'intérieur, précédés de la dévastation et de la ruine. Nulle puissance n'était plus capable d'arrêter ces hommes dont la violence broyait impitoyablement tout ce qui se rencontrait sur leur passage; la Ville, jadis maîtresse du monde, avait été plus d'une fois livrée au sac et au pillage, accablée sous le poids de toutes les humiliations; les provinces s'étaient détachées d'elle car, dans sa faiblesse, elle n'avait su ni les protéger, ni faire rentrer les rebelles dans le devoir. Sur cette terre inondée du sang de ses habitants, le jeune empire des Barbares s'élevait avec une vigueur primitive au milieu des vastes débris de cet Empire écroulé; l'antique et fière domination, vieille de quinze siècles, n'offrait plus aux regards qu'un cadavre dévoré par la corruption, et que le premier coup porté par une main hardie suffisait à faire tomber en poussière et rentrer dans le néant d'où il était sorti.

Les limites de l'Italie étaient devenues celles de cet Empire grand comme le monde; en Italie seulement se conservaient quelques restes inanimés de l'ancienne société ; partout ailleurs se formaient de nouveaux États. La Bretagne, après avoir secoué le joug des Romains, luttait pour son indépendance contre les Pictes et les Scots; les Francs fondaient leur royaume dans la Gaule

et les Visigoths en Espagne; les Bourguignons occupaient la partie orientale de la Gaule; et plus terribles que tous les autres Barbares, les Huns se montraient dans un lointain menaçant, semblables à ces nuées sinistres qui portent la foudre. Un homme cependant, Aëtius, tenait tête à l'orage et, de son bras puissant, retenait la chute de l'édifice ébranlé.

L'Église aussi était cruellement éprouvée; le terrain sur lequel elle avait commencé à élever la société chrétienne lui échappait, et cette jeune société voguait, comme une nacelle sur une eau furieuse, battue sans relâche par les flots des invasions de Barbares. Les hérésies, d'un autre côté, se ruaient sur elle, pour lui ravir son ancre de salut, l'unité et la pureté du dogme: les ariens en Afrique, les manichéens en Italie, les priscillianistes en Espagne, les pélagiens en diverses parties de l'Empire, les nestoriens, bientôt suivis des eutychiens, en Orient.

Telle était la situation de l'Église et de l'Empire, lorsque Léon monta sur le trône pontifical. Des tempêtes plus désastreuses encore qui se préparaient devaient éprouver le génie et la vertu du nouveau chef de l'Église.

Léon connaissait bien son siècle; il ne se dissimulait ni les difficultés, ni les périls de sa mission; mais la foi la plus vive et le sentiment des devoirs imposés à sa haute position soutenaient son courage. Laissons-le parler et nous exposer lui-même les pensées qui remplissaient son cœur au moment d'assumer sur sa tête une redoutable responsabilité. Nous allons voir quelle était, au cinquième siècle, l'opinion de la Papauté sur la nature et l'étendue de son pouvoir. Le jour de l'octave de sa consécration, saint Léon réunit les fidèles de Rome et un

certain nombre d'évêques, peut-être dans cette vénérable basilique de saint Paul, qu'il devait plus tard restaurer (1), et prononça l'homélie suivante :

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Que ma bouche s'ouvre pour louer le Seigneur (2); que mon âme, mon esprit, ma chair et ma langue bénissent son saint nom! Car c'est un signe non de réserve, mais d'ingratitude, de passer sous silence les bienfaits de Dieu; et il est vraiment digne d'un pontife de commencer l'exercice de son ministère par des sacrifices d'actions de grâces rendus au souverain maître de toutes choses. Le Seigneur s'est souvenu de nous dans notre bassesse (3), et nous a comblés de ses bénédictions : il a accompli, lui seul, des merveilles en ma faveur (4), en me permettant de jouir en personne de l'affection de votre sainte assemblée, après que la nécessité d'un long éloignement m'avait dérobé à vos regards (5). J'adresse donc à notre Dieu de vifs remerciements, et je lui en adresserai constamment de semblables, pour tous les biens qu'il a daigné m'accorder. Je célèbre aussi avec la reconnaissance requise le suffrage favorable dont vous m'avez honoré, comprenant sans peine combien les sentiments d'attachement que vous avez montrés envers moi, peuvent me promettre de respect, d'amour et de fidélité, maintenant que je vais veiller au salut de vos âmes avec une sollicitude pastorale, puisque vous avez

(1) Quand nous donnerons quelques détails sur les travaux exécutés à Rome par saint Léon, nous ferons connaî re cette restauration de la basilique de Saint-Paul. (2) Ps. CXLIV, 21.

(3) Ps. cxxxv, 24. (4) Ibid.. 5.

(5) Saint Léon fait ici allusion à sa mission dans les Gaules,

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