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le soleil au milieu de son cours, et par un temps serein, sa lumière trop brillante blesse la vue, et les rayons de cette clarté qui importune offensent la membrane de l'œil. Une suite nombreuse de prêtres, revêtus d'un costume pompeux, accompagne le Pontife, et le suit lentement, sans négliger aucun des devoirs de leur charge, et sans quitter leur rang, l'esprit plein d'une sainte confiance, et prêts à sauver leur malheureuse ville, ou à s'exposer, pour sa délivrance, à une mort certaine. Dans une autre partie du bas-relief, les soldats d'Attila se serrent autour de leur roi éperdu, et comme lui, le cœur glacé par la crainte, ils se hâtent de battre en retraite, et de quitter précipitamment et en désordre les frontières de l'Empire romain. Un bruit confus se fait entendre au loin dans le camp: la terre épouvantée tremble sous les pieds de la cavalerie et de l'infanterie; au milieu du tumulte, un nuage de poussière s'élève en tourbillonnant, et obscurcit l'atmosphère de ses flots onduleux (1). »

Saint Flavien d'Antioche, saint Ambroise, saint Nicaise, saint Exupère, saint Orience, le prêtre Constance, saint Germain d'Auxerre, sainte Geneviève, saint Agnan, saint Loup, saint Léon, dont nous venons de voir et d'admirer les vertus et les œuvres, nous représentent, dans l'espace d'un demi-siècle, toute la mission providentielle remplie par l'Église. J'emprunte encore une belle à M. Guizot pour résumer et caractériser cette mis

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(1) Le père Doissin, né en Amérique en 1721, est mort à Paris en 1753. Outre son poëme sur la Sculpture, il en a composé un autre sur la Gravure, Ces deux onvrages se distinguent par la facilité, la pureté, l'élégance et la chaleur du style, la beauté du coloris.

sion: « A cette époque le christianisme n'était pas seulement une religion, c'était une Église. S'il n'eût pas été une Église, je ne sais, Messieurs, ce qui en serait advenu au milieu de la chute de l'Empire romain. Il est clair qu'il fallait une société fortement organisée, fortement gouvernée, pour lutter contre un pareil désastre, pour sortir victorieuse d'un tel ouragan. Je ne crois pas trop dire en affirmant qu'à la fin du quatrième et au commencement du cinquième siècle, c'est l'Église chrétienne qui a sauvé le christianisme; c'est l'Église, avec ses institutions, ses magistrats, son pouvoir, qui s'est défendue vigoureusement contre la dissolution intérieure de l'Empire, contre la barbarie; qui a conquis les Barbares, qui est devenue le lien, le moyen, le principe de civilisation entre le monde romain et le monde barbare..... Tous les éléments civils de la société moderne étaient dans la décadence ou l'enfance. L'Église seule était à la fois jeune et constituée; seule elle avait acquis une forme définitive et conservait toute la vigueur du premier âge; seule elle possédait à la fois le mouvement et l'ordre, l'énergie et la règle, c'est-à-dire les deux grands moyens d'influence. N'est-ce pas, je vous le demande, par la vie morale, par le mouvement intérieur, d'une part, et par l'ordre, par la discipline, de l'autre, que les institutions s'emparent des sociétés ? L'Église avait remué, d'ailleurs, toutes les grandes questions qui intéressent l'homme; elle s'était inquiétée de tous les problèmes de sa nature, de toutes les chances de sa destinée. Aussi son influence sur la civilisation moderne a-t-elle été très-grande, plus grande peut-être que ne l'ont faite ses plus ardents adversaires ou ses plus zélés défenseurs..... L'Église se présente au cinquième siècle comme une société indépendante, consti

tuée, interposée entre les maîtres du monde, les souverains du pouvoir temporel d'une part, et les peuples de l'autre, servant de lien entre eux et agissant sur tous (1). »

Saint Léon, en arrachant Rome et l'Italie à la puissance d'Attila, brisa le cours de la destinée du chef des Huns. Au printemps de l'année 453, il voulut quitter de nouveau ses campements du Danube pour revenir dans la Gaule venger contre les Visigoths sa défaite de Châlons; mais après une courte expédition, sur laquelle les historiens ne donnent que des détails obscurs et contradictoires, il rentra dans la Pannonie. Dieu ne voulant plus de cet instrument de destruction, Attila redevint un Barbare ordinaire, uniquement livré aux instincts grossiers d'une nature sauvage. Avec la fureur qu'il portait dans toutes ses actions, il se plongea dans tous les excès de l'ivresse, de la gloutonnerie et de la débauche. Il vivait au milieu d'un nombre prodigieux de femmes enlevées de tous les pays qu'il avait ravagés ; elles devenaient, les unes après les autres, l'objet d'une convoitise frénétique. Dans un des derniers jours de l'année 453, ayant voulu célébrer de nouvelles noces avec une jeune fille d'une grande beauté, il se retira dans sa tente épuisé de débauche, gorgé d'aliments et de vin. Le lendemain matin, ses officiers le trouvèrent baigné dans son sang, à la suite d'une violente hémorrhagie. << Il creva, suivant l'énergique expression de M. de Chateaubriand, du trop de sang qu'il avait bu. » Attila fut enseveli à la manière d'Alaric. Une vaste fosse ayant été creusée dans une plaine, les Huns y déposèrent le corps d'Attila avec des armes et des trésors, butin de ses

(1) Hist. gén, de la civ, en Europe, p. 52-132; 3e édit.

expéditions, et les prisonniers furent tous immolés sur le sépulcre qu'ils avaient creusé, afin que leur mort as

surât le secret de la tombe d'Attila.

Dans la préface de sa tragédie d'Attila, Corneille trace du chef des Huns un portrait qui ne manque pas de vérité : « Il était plus homme de tête que de main, tâchait à diviser ses ennemis, ravageait les peuples indéfendus, pour donner de la terreur aux autres et tirer tribut de leur épouvante; il s'était fait un tel empire sur les rois qui l'accompagnaient, que quand même il leur eût commandé des parricides, ils n'eussent osé lui désobéir. Il est malaisé de savoir quelle était sa religion: le surnom de fléau de Dieu, qu'il prenait lui-même, montre qu'il n'en croyait pas plusieurs. Je l'estimerais Arien, comme les Ostrogoths et les Gépides de son armée, n'était la pluralité des femmes. Il croyait fort aux devins, et c'était peut-être tout ce qu'il croyait. »

Le Holà décoché par Boileau contre l'Attila de Corneille a sans doute empêché bien des lecteurs d'ouvrir cette composition de la vieillesse de notre grand tragique. Il se rencontre cependant dans cet ouvrage des vers dignes de l'auteur du Cid et de Polyeucte. Quelques citations ne seront point déplacées ici pour terminer ce que j'avais à dire sur Attila.

Le chef des Ostrogoths conseille au chef des Huns de s'allier avec les Francs :

Un grand destin commence, un grand destin s'achève,
L'Empire est prêt à cheoir, et la France s'élève;

Vos devins vous l'ont dit: n'y mettez point d'obstacles,
Vous qui n'avez jamais douté de leurs oracles.
Soutenir un État chancelant et brisé,

C'est chercher par sa chute à se voir écrasé.

Appuyez donc la France, et laissez tomber Rome;

Aux grands ordres du ciel prêtez ceux d'un grand homme,

D'un si bel avenir avouez vos devins,

Avancez le succès, et hâtez les destins.

Lisez ce dialogue entre Attila et Honoria :

ATTILA.

Ce Dieu dont vous parlez, de temps en temps sévère,
Ne s'arme pas toujours de toute sa colère,
Mais quand à sa fureur il livre l'univers,
Elle a pour chaque temps des déluges divers.
Jadis de toutes parts faisant regorger l'onde,
Sous un déluge d'eaux il abima le monde!
Sa main tient en réserve un déluge de feux
Pour le dernier moment de nos derniers neveux;
Et mon bras dont il fait aujourd'hui son tonnerre,
D'un déluge de sang couvre toute la terre.

HONORIA.

Lorsque par les tyrans il punit les mortels,
Il réserve sa foudre à ces grands criminels
Qu'il donne pour supplice à toute la nature,
Jusqu'à ce que leur rage ait comblé la mesure.
Peut-être qu'il prépare en ce même moment
A de si noirs forfaits l'éclat du châtiment;
Qu'alors que ta fureur à nous perdre s'apprête,
Il tient le bras levé pour te briser la tête,
Et veut qu'un grand exemple oblige de trembler
Quiconque désormais ose te ressembler,

Dans les derniers vers de cette tragédie, Corneille décrit la mort d'Attila, étouffé par le

sang:

De ce sang renfermé la vapeur en furie
Semble avoir étouffé sa colère et sa vie,

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