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elle-même, qui semblait être autrefois la reine du monde, nous voyons ce qui en reste. La voilà écrasée de plusieurs manières sous des douleurs immenses, par la désolation des citoyens, par les marques de dévastation que les ennemis ont imprimées sur elles, par la fréquence des ruines. Où est le sénat? où est le peuple? En les perdant, elle a senti la moelle de ses os se dessécher, ses chairs se consumer, et tout l'éclat des dignités séculières qu'elle étalait comme une parure s'est évanoui. Et nous qui avons survécu en si petit nombre, nous vivons encore sous le glaive, d'innombrables tribulations nous accablent, les douleurs, les gémissements se multiplient chaque jour. Rome est vide, et l'incendie est dans ce désert. Après que les hommes ont manqué, les édifices tombent. Encore une fois, où sont ceux qui se réjouissaient parmi les monuments de sa gloire? où est leur pompe? où est leur orgueil? où sont les plaisirs effrénés qui se renouvelaient continuellement dans son enceinte ? Il lui est arrivé ce ce que phète a dit de la Judée : tu seras chauve comme l'aigle. Dépouillée de son peuple et de ses hommes puissants au moyen desquels elle s'élançait sur sa proie, Rome ressemble à un vieil aigle tout chauve, qui n'a plus ni ailes, ni plumes. Ce que nous disons de la désolation de la ville de Rome, nous savons que cela s'est accompli dans toutes les autres villes. Méprisons donc de tout notre cœur ce siècle comme un flambeau désormais éteint, et ensevelissons du moins nos désirs mondains dans la mort du monde lui-même (1),

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Résumant les diverses invasions qui sont venues fondre sur Rome, pendant quatre siècles, depuis Alaric

(1) OEuvres de saint Grégoire-le-Grand, homélies sur Ezéchiel.

jusqu'à Charlemagne, l'abbé Gerbet écrit les belles lignes qui suivent : « La justice divine avait ordonné que la ville qui avait été, comme centre du paganisme et des persécutions, le scandale du monde, en deviendrait la leçon par son châtiment. L'exécution de l'arrêt fut différée jusqu'à ce que la ville fût devenue chrétienne. La Providence voulait que le châtiment pût être accepté comme expiation, et que de cette manière la Rome antique mourût au pied de la Croix. Lorsque cette préparation eut été faite, les exécuteurs parurent comme si Dieu les eût appelés à tour de rôle... On ne peut s'empêcher de remarquer que les supplices qu'ils ont infligés à la cité matérielle se trouvent avoir quelque analogie avec ceux que Rome païenne avait fait souffrir aux martyrs du christianisme. Les machines employées pour abattre les monuments furent les instruments d'une espèce de flagellation gigantesque. D'autres monuments furent mis sur un bûcher, notamment quelques obélisques, autour desquels on allumait des feux à leur base pour la calciner, lorsque les autres moyens paraissaient trop peu expéditifs ; d'autres enfin périrent par le supplice de l'eau, précipités dans ce Tibre qui avait englouti tant de saintes victimes. La Ville, qui avait forcé pendant longtemps les chrétiens à peupler les grottes souterraines des environs, fut réduite à n'être elle-même qu'une caverne inhabitée (4). »

Après avoir épargné aux citoyens romains la perte de la vie, saint Léon s'appliqua, dès que les Vandales se furent rembarqués, à soulager les misères que le pillage exécuté par les Barbares rendait si nombreuses et si affreuses. Les églises dévastées furent restituées au culte;

(1) Esquisse de Rome chrétienne, Introd., P. 38-39.

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plusieurs vases d'un grand prix, donnés par Constance aux trois principales basiliques de Rome et que l'on avait eu le bonheur de sauver, furent fondus et transformés, par l'ordre du Pape, en vases sacrés pour l'usage de toutes les églises de la ville; et, suivant l'expression de son premier biographe, si son pouvoir spirituel avait des limites, sa charité était sans bornes (1).

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Les malheureux captifs emmenés de Rome en Afrique n'étaient pas non plus abandonnés par la charité chrétienne. Un vieillard, évêque de Carthage, remplit dans cette ville l'œuvre de miséricorde commencée à Rome saint Léon. Quand Carthage tomba, en 439, au pouvoir de Genséric, il chassa de cette ville le saint évêque, nommé Quod-Vult-Deus; il le fit exposer en mer sur un vaisseau à demi brisé avec presque tous les membres de son clergé, et il livra son église aux Ariens. Après être restée pendant quatorze ans sans pasteur, Genséric consentit, à la prière de l'empereur Valentinien, qu'on donnât à cette église pour évêque un vertueux prêtre nommé Deo-Gratias. C'était un homme d'une sainteté de vie admirable, qui, par ses discours et ses exemples, consola et fortifia beaucoup les fidèles au milieu de leurs afflictions. Il y avait deux ans que Deo-Gratias occupait le siége épiscopal de Carthage, quand Genséric débarqua dans cette ville avec la multitude des prisonniers enlevés de Rome. Ils appartenaient aux principales familles par la richesse ou par la naissance. Les Vandales et les Maures se partageant ces pauvres esclaves, séparaient les maris d'avec les

(1) Saint Prosper, Chron., an 455. liv. 1.

Procope, De la guerre des Vandales,

femmes, et les enfants d'avec leurs parents. Le saint évêque, voulant empêcher ce nouveau malheur, entreprit de racheter ces captifs et de les mettre en liberté ; dans ce but, il vendit tous les vases d'or et d'argent. qui servaient aux églises, et comme il n'y avait point de maison assez spacieuse pour contenir cette multitude, il lui destina deux grandes églises qu'il fit garnir de lits et de paille, ordonnant chaque jour ce dont chacun avait besoin. Il y avait parmi eux un grand nombre de malades, soit de la mer, à laquelle ils n'étaient pas accoutumés, soit des mauvais traitements de l'esclavage. Le saint évêque les visitait, à tous moments, avec des médecins, suivant l'avis desquels il faisait distribuer la nourriture en sa présence. La nuit même, il parcourait les lits, demandant à chaque malade comment il se portait : car il se dévouait tout entier à cette bonne œuvre, malgré sa faiblesse et sa grande vieillesse. Les Ariens, envieux de sa vertu, voulurent le faire périr par divers artifices, dont Dieu le délivra; mais il mourut peu de temps après, n'ayant occupé le siége de Carthage que trois ans. On l'enterra secrètement, pendant que les fidèles faisaient les prières accoutumées, de peur que le peuple n'enlevât son corps, tant il était aimé, et les captifs regardèrent sa mort comme une nouvelle servitude pour eux. L'Église honore sa mémoire le 22 mars.

Après la mort de Deo-Gratias, Genséric défendit d'ordonner des évêques dans la province consulaire et dans la Zengitane, où il y en avait soixante-quatre. Ainsi, au bout de trente ans, ils furent réduits à trois. Une cruelle persécution éclata, qui fit briller la gloire de plusieurs confesseurs et martyrs. Quatre frères, Martinien, Saturicus et deux autres étaient

T. II.

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esclaves d'un Vandale, avec une fille d'une rare beauté; elle se nommait Maxima. Martinien était armurier, et fort ami de son maître; Maxima gouvernait toute la maison. Le Vandale voulut les marier, pour se les attacher plus étroitement. Martinien fut heureux de ce projet, mais Maxima était déjà consacrée à Dieu; c'est pourquoi, quand on les eut unis, elle persuada à Martinien de garder la continence. Il gagna aussi ses frères, et tous cinq ensemble ils sortirent pendant la nuit, et allèrent à Tabraque, où les quatre frères entrèrent dans un monastère, et Maxima dans une communauté de filles, qui était voisine. Le Vandale se mit à la recherche des fugitifs et finit par trouver leur retraite; les ayant repris, il les enchaîna et leur fit souffrir divers tourments, voulant non-seulement que Martinien et Maxima vécussent ensemble comme mari et femme, mais encore qu'ils fussent rebaptisés.

Genséric, informé de ces faits, ordonna au maître de tourmenter les deux époux catholiques, jusqu'à ce qu'ils obéissent. Il les fit battre avec de gros bâtons taillés en forme de scie, qui mettaient leur corps tout en sang et le déchiraient jusqu'à découvrir leurs entrailles; et cependant le lendemain on les trouvait guéris; ce qui arriva plusieurs fois. On les jeta ensuite dans une prison avec des entraves aux pieds; mais elles se rompirent en présence d'un grand nombre de fidèles qui venaient les visiter. La vengeance divine s'étendit sur la maison de ce Vandale. Il mourut, lui, ses enfants, et le meilleur de ses esclaves et de ses bestiaux. Sa veuve donna les serviteurs de Dieu à un parent de Genséric, nommé Sersaon; mais le démon tourmenta ses enfants et ses domestiques. Il raconta ce qui lui arrivait à Genséric, qui ordonna d'enchaîner les quatre frères et de

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