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et jouissait d'une certaine importance. Parmi ses adhérents, beaucoup l'étaient par conviction. Il ne faut donc pas s'étonner si la première idée de l'empereur, pour se tirer de toutes ces difficultés, fut pour la convocation d'un nouveau concile. Mais les motifs puissants, tant intérieurs qu'extérieurs, que le Pape allégua contre l'adoption d'une semblable mesure, obligèrent bientôt l'empereur à abandonner ce projet, et il prit, pour arriver au même but, une autre voie, qui, sans le forcer à recourir à la convocation d'un concile, pût le mettre en état d'opposer aux demandes du parti d'Eutyches l'arrêt et la volonté déclarée de l'Église. Il chercha donc à faire décider la partie purement ecclésiastique de cette affaire par ceux qui seuls étaient compétents, par les évêques. En conséquence, il adressa un rescrit à tous les métropolitains, pour les engager à convoquer les évêques et les clercs de leurs provinces respectives, et à leur demander leur opinion sur Timothée Élure et sur les décisions rendues à Chalcédoine au sujet de la foi. Afin de leur faciliter le moyen de juger sainement cette affaire, l'empereur leur envoya à tous des copies des requêtes qui lui étaient parvenues d'Égypte, et à quelques

uns d'entre eux les actes et les décrets du concile. Il les exhorta à se prononcer librement et sans détour, exempts de crainte et sans considération personnelle, se rappelant bien qu'ils n'avaient de compte à rendre qu'à Dieu. Il engagea en même temps les métropolitains à faire en sorte que ces assemblées eussent lieu le plus tôt possible, et à ne rien négliger pour que le résultat répondît au but qu'il se proposait. Cette circulaire impériale fut portée avec la plus grande rapidité à tous les métropolitains par des courriers spéciaux (magistriani).

Mais l'empereur Léon ne se contenta pas de consulter

E

les évêques des grandes Églises ; il voulut encore avoir l'avis des solitaires les plus célèbres par leur sainteté et par leurs lumières. A cette époque il en existait trois qui exerçaient l'influence la plus considérable en Orient; c'étaient saint Jacques le Syrien, saint Baradat et saint Siméon Stylite, que j'ai eu déjà occasion de faire connaître. La mission remplie par ces héros de la pénitence chrétienne ayant été entièrement méconnue par presque tous les historiens, je pense utile d'entrer dans quelques détails sur la vie de ces trois solitaires.

Le plus vieux des trois était saint Jacques, surnommé le Syrien, et disciple de saint Maron. Il demeurait sur une montagne, à une lieue et demie de la ville de Cyr, et il était connu particulièrement de l'illustre évêque Théodoret. Il vivait à découvert, sans avoir ni toit, ni clôture, exposé continuellement à toutes les injures de l'air, et à la vue de ceux qui le venaient visiter; quelquefois il était brûlé du soleil, quelquefois on le trouvait enseveli sous la neige. Par-dessous son habit il portait de pesantes chaînes de fer, et ne se servait point de feu, pas même pour faire cuire sa nourriture, qui ne consistait qu'en des lentilles trempées dans l'eau. Il opérait une foule de miracles, guérissant des fièvres et d'autres maladies, et chassant les démons : l'eau qu'il avait bénite était un remède à plusieurs maux. Il ressuscita un enfant de quatre ans, que Théodoret dit avoir vu, et entendu raconter le miracle au père. Quand le saint était malade, le peuple s'assemblait autour de lui, afin d'enlever son corps aussitôt après sa mort. On avait bâti une église pour le placer, et Théodoret lui avait préparé un cercueil dans l'église des Apôtres; mais le saint anachorète lui fit promettre de l'enterrer sur la montagne; et le cercueil y ayant été transporté, il y fit mettre des re

liques des prophètes, des apôtres et des martyrs, qu'il avait ramassées de tous côtés, afin que l'on ne pût dire que c'était son sépulcre, et voulut être mis dans un autre cercueil auprès de ces saints.

Le genre de vie embrassé en Syrie par saint Baradat fut encore plus rigoureux. Après être resté longtemps enfermé dans une cellule très-étroite, il se construisit sur la pointe d'un rocher une espèce de cage très-basse et ouverte de tous côtés. Il ne pouvait s'y tenir sans être courbé, et ainsi resserré comme dans un étroit cachot, il était encore exposé à toutes les injures de l'air. Il passa de longues années dans cette position, au milieu des exercices de la plus impitoyable pénitence. Le feu de l'amour divin, dit Théodoret, dont le Saint-Esprit avait embrasé Baradat, lui faisait faire par une vertu surnaturelle ce qui naturellement était impossible à la faiblesse humaine. Baradat ne quitta ce genre de vie que sur les instances du patriarche d'Antioche. Le solitaire obéit avec une soumission et une promptitude qui prouvèrent bien que le désir de se singulariser n'entrait pour rien

dans ce choix d'une existence si extraordinaire. Mais Baradat ne voulut pas que la liberté qui lui était donnée devînt une occasion de relâchement. Il vécut, toujours debout, les mains sans cesse élevées vers le ciel, couvert entièrement d'un sac de peau où il n'y avait d'ouverture que pour le passage de la respiration et de la nourriture. Dans cet exercice d'une vie toute spirituelle, entièrement détaché de toutes choses sensibles, pour ne rester uni qu'à Dieu, Baradat avait acquis une intelligence si supérieure, qu'il raisonnait avec une justesse et une force que n'atteignaient pas, dit Théodoret, les philosophes les plus subtils et les plus profonds. La renommée de cette sagesse et de ces lumières étant parvenue à la cour

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de Constantinople, l'empereur voulut aussi avoir l'avis de ce saint personnage sur la question qui occupait si vivement tous les esprits.

le

Saint Siméon était né dans un bourg de Cilicie nommé Sisan, sur la frontière de Syrie, et dès l'âge de treize ans il garda les brebis de son père. Un jour que troupeau ne pouvait sortir à cause de la neige, il alla à l'église avec ses parents, et entendit lire l'Évangile où sont décrites les béatitudes. Il fut surtout extrêmement touché de ces paroles: Bienheureux sont ceux qui pleurent; bienheureux sont ceux dont le cœur est pur! Il demanda à un vieillard comment on pouvait acquérir ce bonheur; il lui répondit : Par le jeûne, la prière, l'humilité et la pauvreté; et il lui conseilla de vivre dans la solitude. Le jeune Siméon, le cœur agité par ce qu'il vient d'entendre, se retire à l'écart, se prosterne et prie Dieu de lui servir de guide dans les routes de la sainteté et de la perfection. Un moment après il tombe dans un doux sommeil, pendant lequel il a une vision qu'il avait coutume de raconter ainsi : « Il me semblait que je creusais des fondements et qu'une voix me disait de creuser encore plus avant. Comme je voulais me reposer, la voix m'ordonnait de creuser toujours, ce qu'elle répéta quatre fois. Enfin elle me dit les fondements étaient assez que profonds, et que je pouvais sans peine élever un édifice de la forme et de la hauteur que je voudrais. » La prédiction, ajoute l'historien de sa vie, son contemporain Théodoret, fut vérifiée par l'événement, et il n'y avait que l'humilité et la ferveur la plus extraordinaire qui pussent porter l'édifice bâti par cet homme admirable, dont les actions étaient si supérieures aux forces de la nature. Dès que Siméon fut éveillé, il alla se présenter à un monastère voisin, gouverné par le saint abbé Timothée;

il resta prosterné devant la porte plusieurs jours de suite, sans boire ni manger, ne demandant d'autre grâce que celle d'être reçu en qualité de serviteur destiné aux plus basses fonctions de la maison. Ayant enfin été admis, on le vit, malgré sa grande jeunesse, pratiquer les austérités prescrites par la règle.

Après avoir passé deux ans dans ce monastère, il entra dans un autre, où l'on menait uue vie encore plus rigoureuse, et qui était gouverné par l'abbé Héliodore, vénérable vieillard qui vivait dans la solitude depuis soixante-deux ans, et dont Théodoret parle avec la plus vive admiration. Sous la conduite d'un tel maître, Siméon fit des progrès rapides. Il surpassa bientôt en austérités tous ses confrères : ceux-ci mangeaient de deux jours l'un, Siméon ne mangeait que deux fois la semaine.

Un jour, il prit une corde à puits faite avec des feuilles de palmier, très-dure, même pour les mains, et s'en entoura le corps par-dessous ses habits, en sorte qu'elle lui entra dans la chair : l'ayant ainsi portée plus de dix jours, on s'aperçut enfin de ce supplice volontaire à l'odeur et au sang qui dégoutait de la plaie. Pendant trois jours on humecta ses habits qui étaient collés par le sang corrompu, avant de pouvoir les détacher. Les médecins furent obligés de faire de profondes incisions pour arracher la corde, ce qui causa au saint des douleurs si vives que pendant quelque temps on le crut mort. Dès qu'il fut rétabli, l'abbé le renvoya du monastère, dans la crainte qu'une telle singularité ne préjudiciât à l'uniformité exigée pour la discipline monastique. Siméon se retira dans l'endroit le plus désert de la montagne, et descendit dans une citerne dessé chée, où il continuait à chanter les louanges de Dieu. Cinq jours après, les supérieurs du monastère,

se re

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