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sœur, distribua tous ses biens aux pauvres, et n'eut plus d'ambition que pour la pauvreté de Jésus-Christ et les humiliations de sa croix. Pendant les trente années que dura son épiscopat il ne mangea jamais de pain de froment, ne but jamais de vin et n'usa ni d'huile, ni de vinaigre, ni de légumes, ni même de sel. Seulement, aux jours de Pâques et de Noël, on lui donnait une fois à boire du vin mêlé avec tant d'eau qu'on y sentait à peine le goût du vin. A tous ses repas il commençait par prendre de la cendre, mangeait ensuite du pain d'orge, que souvent il pétrissait de ses mains, après avoir luimême battu et moulu le grain. Aux jours de jeûne il ne mangeait que le soir, et quelquefois il restait trois jours sans nourriture; on l'a vu même passer la semaine sans manger plus d'une fois.

Il ne portait, soit en hiver, soit en été, qu'un habit fort pauvre, qui consistait en une seule tunique et une cucule, ou une espèce de camail à l'usage des gens de la campagne, pour travailler dans les bois ou dans les champs. Il ne quittait jamais ces vêtements que lorsqu'ils tombaient en pièces ou qu'il trouvait l'occasion d'en faire une aumône pour couvrir la nudité du pauvre; il avait sur la peau un cilice fort rude dont il ne se défaisait jamais. Son lit était un enfoncement sur la terre, entre deux bûches, rempli de cendres, rendu aussi dur que la pierre par le poids de son corps sur cette couche. Il n'avait pour toute paillasse qu'un cilice avec une méchante couverture, sans aucun oreiller. Il ne se déshabillait jamais pour dormir, quittait rarement ses souliers et sa ceinture, qui n'était que de cuir, et portait toujours sur lui un reliquaire. En cet état son sommeil était continuellement interrompu par ses soupirs et ses gémissements; toujours on le voyait en prières,

quelle que fût son occupation, etil veill ait presque sans cesse, car il lui était comme impossible de dormir avec tant d'incommodités. Une telle vie pouvait-elle être autre chose qu'un long martyre? Dieu, par une double faveur, fit expier promptement à son serviteur ses fautes passées; il s'éleva en fort peu de temps à un haut degré de sainteté. Germain exerçait la même sollicitude sur son troupeau que sur lui-même; il agissait avec une charité sans bornes pour tous ceux qui étaient commis à ses soins. Il remplissait les devoirs de l'hospitalité avec une affection extraordinaire, recevant chez lui toutes sortes de personnes, sans choix et sans exception. Il leur lavait les pieds, suivant le précepte du Seigneur, et les faisait fort bien traiter, tandis que lui-même était à jeûn. Ce grand saint sut allier parfaitement deux qualités qui paraissent incompatibles : la conversation avec tout un peuple, et la vie solitaire et retirée. Pour ouvrir un chemin à ceux qui voulaient marcher plus sûrement dans les voies du salut et servir Dieu avec plus de perfection, il fit bâtir un monastère sous le titre de Saint-Cosme et Saint-Damien, vis-à-vis d'Auxerre, de l'autre côté de la rivière d'Yonne, qu'il rendit célèbre d'abord par son administration, et depuis par ses miracles. C'est là que l'on était assuré de trouver le saint évêque lorsqu'il n'était point à son église; toute son occupation était de visiter et d'instruire tour à tour son peuple et ses religieux, et de les exciter tous à la piété chrétienne par ses propres exemples. A cette époque, l'Église était attaquée par une des plus pernicieuses hérésies qui se fussent encore élevées, celle de Pélage et de Célestius, dont j'ai raconté l'origine et fait connaître la nature (1). La première année de l'épiscopat de saint Germain fut signalée par la lettre cir

(1) Voyez tome I, chap. 11.

culaire du pape Zozime, par le grand concile de Carthage et celui de Telepse, et par le rescrit de l'empereur Honorius contre les Pélagiens. Les successeurs de Zozime, Boniface et Célestin, et les évêques catholiques des provinces de l'Empire avaient veillé avec soin pour empêcher que la contagion de cette secte ne gagnât le troupeau de Jésus-Christ. De sorte que Pélage et Célestius, se voyant repoussés de tous côtés et ne pouvant obtenir du pape Célestin la révision de leur procès, se retirèrent dans la Grande-Bretagne, pour répandre leur poison dans le lieu de leur naissance, loin des yeux de ce saint Pape et de saint Augustin. Ils furent secondés par un évêque de leur secte nommé Severien, et par son fils Agricola. Malgré l'éloignement de cette province, ils ne purent y demeurer cachés. L'Église de la Grande-Bretagne, craignant pour la pureté de sa foi, fit savoir à l'Église des Gaules que l'hérésie pélagienne commençait à se glisser dans ses provinces, et lui demanda des secours contre les ennemis de la grâce de Jésus-Christ. Les évêques des Gaules s'assemblèrent pour répondre à cet appel. Le Pape, d'accord avec l'épiscopat gaulois, nomma Germain pour aller au secours des Bretons, et lui donna le titre de vicaire apostolique. Cette nomination se fit en 429, suivant saint Prosper. Saint Loup de Troyes fut associé à saint Germain pour l'aider dans cette importante mission.

Les deux évêques s'étant mis en route pour la GrandeBretagne, en 429, arrivèrent au bourg de Nanterre, près Paris, pour y prendre leur logement. Dans ces siècles de foi, la renommée des saints se propageait, d'une extrémité du monde à l'autre, avec une rapidité que n'égalent pas les inventions de l'industrie moderne. L'entrée dans une ville d'un personnage, devenu cé

lèbre par la sainteté de sa vie, était une fête et une bénédiction pour tout le peuple. Les deux évêques d'Auxerre et de Troyes, et surtout le premier, jouissaient déjà d'une réputation augmentée encore par la mission qu'ils tenaient de la confiance du Saint-Siége et de l'épiscopat des Gaules. On juge donc combien le bruit de leur arrivée et de leur séjour dans le petit village de Nanterre dut exciter d'émotion. Tout le peuple se porta au devant des deux évêques pour recevoir leur bénédiction. Dans la foule se trouvaient un cultivateur nommé Sévère, sa femme Géronce et leur petite fille Geneviève, âgée de sept ans. Saint Germain, en adressant une exhortation à cette multitude, discerna cette petite fille en qui l'Esprit divin lui fit voir les grâces célestes dont elle était ornée. Dieu se servait, en passant, de son grand serviteur pour élire cette enfant, la signaler au peuple qu'elle était appelée à édifier et à sauver. Saint Germain dit qu'on fasse approcher la petite fille, et, après l'avoir caressée, demande son nom et quels sont ses parents. Tous les assistants: Geneviève! Geneviève! Voici Sévère, son père, et Géronce, sa mère! Ils se présentent, à travers la foule, devant l'évêque. Germain Cette enfant est votre fille? - Sévère et Géronce Dieu nous l'a donnée. Saint Germain : Vous êtes heureux d'avoir une telle fille qui sera un jour l'exemple même des hommes! Et se tournant vers Geneviève Mon enfant, ouvrez-moi votre cœur, dites si vous consentez à vous consacrer au service du Seigneur et à devenir son épouse? - Geneviève, avec une fermeté et une précision bien au-dessus de son âge : Depuis longtemps, mon père, tout mon désir est de vivre dans une virginité perpétuelle et de n'avoir d'autre titre que celui d'épouse de Jésus-Christ. Après cette

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réponse, saint Germain lui donne sa bénédiction pour la consacrer dès ce moment à Dieu, et il la conduit à l'église de Nanterre, accompagné de tout le peuple. Pendant la récitation de Nones et de Vêpres, le saint évêque tint la main étendue sur la tête de Geneviève. Il la garda encore auprès de lui durant le repas, et ne la renvoya qu'après avoir fait promettre à son père qu'il la lui ramènerait le lendemain matin avant son départ.

Le lendemain, au lever de l'aurore, Sévère et Géronce se rendirent chez saint Germain avec Geneviève. - L'évêque : Vous souvenez-vous de votre promesse, ma fille? Geneviève : Oui, mon père, je me souviens de ce que j'ai promis à Dieu et à vous, et j'espère jusqu'à ma mort y être fidèle avec le secours de la grâce. Charmé d'une si belle réponse, le saint évêque l'exhorte à persévérer dans les mêmes sentiments; puis, regardant à terre, il voit une pièce de monnaie de cuivre, marquée du signe de la croix, il la ramasse, la donnant à Geneviève, il lui dit : Gardez-la pour l'amour de moi, ma fille, portez-la toujours suspendue à votre cou pour tout ornement, et laissez l'or et les pierreries à celles qui servent le monde.

et

Le même jour, les deux prélats continuèrent leur route et s'embarquèrent pour la Grande-Bretagne. On était en hiver. Leur vaisseau fut battu d'une furieuse tempête. Saint Germain l'apaisa en invoquant le nom de la sainte Trinité et en jetant dans la mer quelques gouttes d'huile, suivant Constance, ou d'eau bénite, suivant Bède. A leur débarquement, ils furent reçus avec beaucoup de joie par un très-grand nombre de personnes qui s'étaient rendues sur le rivage, attirées par la renommée de leur sainteté, de leur doctrine et de leurs miracles. Les églises ne pouvant contenir la

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