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grande pureté. » Dans son excellente Histoire de l'Eglise, Godeau s'exprime aussi en ces termes : « Toutes les beautés de l'éloquence, toutes les forces de l'esprit et du raisonnement y sont mêlées à un air de piété si affectif, qu'il est impossible de les lire sans être touché du désir de quitter la conversation des hommes pour jouir de celle de Dieu. » Les autres productions de saint Eucher sont un Traité des formules spirituelles, ou des explications de l'Écriture, écrites pour un de ses fils; l'Histoire de saint Maurice et des martyrs de la légion thebaine (1).

Le nom glorieux de Lérins est resté attaché à celui d'un simple prêtre nommé Vincent. Il était né, suivant l'opinion la plus générale, à Toul, de parents qui lui firent donner l'éducation la plus distinguée. Ayant ensuite embrassé la profession des armes, il eut dans le monde une existence brillante; mais il lui arriva comme à presque toutes les intelligences supérieures et aux âmes délicates, dans ce siècle : il abandonna les honneurs et la fortune pour se jeter dans la solitude et dans l'Église. Il se réfugia à Lérins et fut élu au sacerdoce.

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Ballotté, dit-il, par les tristes et divers tourbillons de la vie séculière, je me suis enfin caché au port de la religion, refuge toujours si favorable à tous les hommes. Là, déposant toutes les pensées d'orgueil et de vanité, priant Dieu, par le sacrifice de l'humilité chrétienne, je cherche à éviter, non-seulement le naufrage de la vie présente, mais encore les feux du siècle futur. » Devenu un homme nouveau, ayant retrempé son génie à la source des Saintes Écritures, de la tradition et des Pères, Vincent donna au monde un livre qui est resté

(1) OEuvres de saint Vincent de Lérins et de saint Eucher, trad. en français, avec le texte, par Grégoire et Collombet, 1 vol. in-8°.

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un chef-d'œuvre d'exposition de la foi et de réfutation des hérésies. C'est en 434 que Vincent composa son Commonitoire ou Avertissement contre les Hérétiques. Par humilité, il le publia sous le nom de Peregrinus, de Pélerin. Le suffrage unanime des siècles a conservé le jugement porté sur la clarté, la précision, l'érudition, l'élégance, l'onction et l'éloquence qui distinguent ce livre (1).

Lérins produisit encore Fauste, qui, vers 434, fut élu successeur de saint Maxime, à la tête de ce monastère, et le remplaça aussi, entre les années 454 et 462, sur le siége de Riez. Fauste se rendit surtout célèbre par ses luttes contre les hérétiques. Nous possédons de cet évêque des lettres, des sermons et des traités polémiques contre les ariens, les prédestinatiens, les macédoniens. Il a été condamné comme partisan du semipélagianisme. De savants auteurs, parmi lesquels se rencontrent les Bollandistes, ont essayé de justifier Fauste

contre cette accusation.

A côté de saint Eucher et de saint Vincent de Lérins, vivait, dans la même retraite, Salvien, dont j'ai eu occasion de parler au commencement de cette histoire. Sa renomniée a survécu à son siècle, et il est resté comme l'un des peintres les plus vrais et les plus éloquents de cette lamentable époque. Il a été appelé le Jérémie du cinquième siècle. Sa naissance date de la même année que celle de saint Léon-le-Grand, 390, mais on ignore si sa famille vivait à Cologne ou à Trèves. Ayant épousé la fille d'un païen, nommé Ypatius, Salvien eut une fille, et peu de temps après, à l'exemple de Paulin,

(1) Éd, du Commonitorium, par Baluze, avec des notes et additions; à Rome, in-42, 1731. Une traduction a été publiée, en 1838, in-12, par l'abbé Pavy,

Lyon.

d'Eucher et de tant d'autres saints, il prit la résolution de ne plus voir dans sa femme qu'une sœur. Ypatius se montra très-irrité de cette détermination, et quoiqu'il fût devenu chrétien, il resta de longues années sans vouloir communiquer avec sa fille et son gendre. Afin d'amener une réconciliation, Salvien écrivit à son beaupère et à sa belle-mère une lettre qui nous fait connaître et l'éloquence de cet écrivain et les luttes intérieures de la famille dans ce siècle, où les traditions du paganisme et du christianisme se trouvaient en présence:

« Parents chéris, écrit Salvien, parents vénérables, souffrez, de grâce, que nous vous interrogions. Des enfants si aimants peuvent-ils donc n'être pas aimés? Que notre conversion vous ait irrités lorsque vous étiez encore païens, nous n'en avons pas été surpris. Aujourd'hui, il en est bien autrement. Depuis que vous avez embrassé le culte de Dieu, vous avez prononcé en ma faveur. Pourquoi vous fâcher contre moi, si je cherche à perfectionner en mon cœur une religion que vous avez déjà commencé d'approuver en vous-mêmes ? Avez-vous d'autres motifs de plainte? Je suis loin de dire que je n'ai pu vous offenser; mais à présent que votre colère vient de ce que je parais aimer le Christ, pardonnez ce que je vais dire. Je réclame, à la vérité, votre indulgence, mais je ne puis avouer que ce soit mal, ce que j'ai fait. >>

Salvien, s'adressant à Palladia, sa femme, continue :

Toi, maintenant, ô tendre et vénérable sœur, remplis et ton rôle et le mien. Prie, toi, afin que j'obtienne; demande, toi, afin que tous deux nous gagnions notre

cause. Conjure-les donc, et dis-leur en suppliante : Qu'ai-je fait ? Qu'ai-je mérité? Pardonnez, quoi que ce puisse être. Je réclame indulgence sans connaître ma faute. Jamais, comme vous le savez, je ne vous offensai, ni par manque de respect, ni par insoumission; jamais je ne vous blessai d'une parole amère; jamais je ne vous outrageai d'un regard insolent; par vous j'ai été livrée à un homme, par vous engagée à un mari. Vous m'ordonnâtes, s'il m'en souvient bien, d'être, avant toutes choses, soumise à mon époux. Il m'a entraînée dans sa religion; il m'a invitée à la continence. Pardonnez; j'ai cru qu'il serait honteux de résister; la chose m'a paru honnête, pudique et sainte. Je me jette à vos genoux, parents bien-aimés; moi, votre Palladia, votre chérie, votre petite reine; moi, avec qui vous badiniez, en m'adressant jadis, daus votre indulgence affectueuse, ces termes de caresse. La voilà celle par qui vous advinrent, pour la première fois, et les noms de parents, et les joies d'aïeuls. »

Salvien termine en faisant intervenir sa fille Auspiciola:

« Nous vous offrons non point une enfant inconnue, mais un gage domestique. C'est une triste et malheureuse condition que la sienne, puisqu'elle n'a commencé de connaître ses aïeuls que depuis la disgrâce de ses parents. Prenez pitié de son innocence, laissez-vous fléchir aux droits du sang ; elle est déjà contrainte, en quelque sorte, de supplier pour les siens, elle qui ne sait pas ce que c'est qu'une faute (1).

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(1) OEuvres de Salvien, t. II, trad. de Grégoire et Collombet.

A ce vœu de continence, Salvien ajouta la pratique de la pauvreté, en vendant tous ses biens et les distribuant aux pauvres. Vers l'année 420, il se retira dans le monastère de Lérins, qu'il abandonna six années après, pour s'établir à Marseille, où il fut ordonné prêtre, et mourut en 484. Le plus important de ses ouvrages est son traité du Gouvernement de Dieu. Ce livre est trop connu pour que je m'arrête à l'analyser. C'est un des plus beaux monuments littéraires du cinquième siècle, sans avoir échappé, cependant, à son mauvais goût; le ton déclamatoire, les allures maniérées du bel esprit, la manie des antithèses, le néologisme se rencontrent à côté de pensées puissantes, graves et austères, de mouvements d'un pathétique entraînant, d'un style énergique et coloré. Quelques-unes de ces qualités se retrouvent aussi dans son traité de l'Avarice, en quatre livres. Il nous reste encore de Salvien neuf lettres.

Saint Isidore de Péluse, en Égypte, ne fut pas seulement un modèle de la perfection monastique, mais aussi un écrivain ascétique, dont le style est simple, naturel, élégant, plein de chaleur et d'onction. Suidas l'appelle un homme éloquent, philosophe et rhéteur. L'historien Nicéphore porte ce jugement : « Les nombreux écrits qu'il a laissés offrent tous un intérêt d'un genre particulier; mais ce sont ses lettres qui respirent un esprit divin et une éloquence pleine d'onction; ce sont des explications lumineuses de l'Écriture; elles renferment tout ce qu'il est possible de dire sur la morale. Il montre clairement aussi le zèle dont il était

animé pour toutes les choses honnêtes, pour l'Église, pour ceux qui souffrent injustement. Il s'élève avec beaucoup de force contre ceux-là surtout qui s'acquittent mal de leurs fonctions sacerdotales ou épiscopales. »

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