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CHAPITRE II.

Affaires extérieures. - Premières conséquences de la convention du 27

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· M. Thiers suit la

juillet. · Accord des puissances contre la France. · Changement de politique chez Louis-Philippe. L'alliance anglaise négligée pour l'alliance autrichienne.- Rivalités des cabinets de Paris et de Londres. · Mécontentement de lord Palmerston. politique de ses prédécesseurs. -Espagne et Portugal. Agitations intérieures de l'Angleterre; discussions parlementaires; déclaration importante de lord Aberdeen. Querelle de territoire avec les États-Unis. Discussion de l'Angleterre avec le royaume de Naples.

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- Question des soufres. tion en Chine de la vente de l'opium. Réclamations de la compa

Commencement d'hostilités. - Prohibi

gnie des Indes; déclaration de guerre.

Complications d'embarras

pour l'Angleterre.

Au moment de raconter les actes d'un nouveau cabinet, il nous faut jeter un coup d'œil sur l'ensemble des affaires extérieures qui doivent avoir sur son existence une influence si décisive.

L'Orient, terrain brûlant de discussions diplomatiques, venait d'ouvrir une phase nouvelle aux intrigues des chancelleries. La convention du 27 juillet, qui semblait assurer l'unité du concert européen, n'avait été au contraire qu'une nouvelle occasion de discorde. Le gouvernement français en

fuyait les conséquences, le gouvernement anglais les poursuivait avec des emportements exagérés. Le contrat signé en commun n'était qu'une source d'aigreurs et de méfiances; la présence à Londres de M. de Brunow dévoilait les desseins de la Russie. Il y avait évidemment complot contre la France. L'Angleterre oubliait les desseins de la Russie sur le Bosphore, l'Autriche pardonnait les empiétements du czar sur les provinces danubiennes ; le czar n’avait nulle mémoire de ses accusations contre les projets ambitieux de l'Angleterre en Syrie, en Grèce et sur la mer Rouge. Toutes les rivalités se taisaient pour s'unir contre la France. Toutes les haines s'absorbaient dans une haine commune. La Prusse, désintéressée dans la question d'Orient, aurait pu, aurait dû, par une sage neutralité, empêcher ou amoindrir l'orage qui menaçait la tranquillité de l'Europe. Mais au moment le plus actif des intrigues, la mort frappait le roi de Prusse, et le nouveau roi était animé de ce vieux patriotisme teutonique qui prenait sa source dans les traditions de 1813. Les Français ne lui apparaissaient que comme les éternels oppresseurs de l'Allemagne, les possesseurs illégitimes des provinces limitrophes du Rhin, et il se laissait aller contre eux à tous les ressentiments fanatiques des plus exaltés gallophobes. A ces préjugés politiques se joignaient un mysticisme religieux qui lui soufflait des colères insensées contre la France sceptique et incrédule, et des traditions monarchiques qui lui inspiraient une sainte horreur pour la France révolutionnaire. Avec une telle politique, toute de sentiment, sans une ombre de logique, le roi de Prusse devait nécessairement se faire complice de toute manœuvre tendant à humilier la France. La nouvelle coalition déployait toute

l'activité de ses intrigues, lors de l'avénement du 1er mars. Le cabinet de Saint-James était le centre des opérations.

La gravité de la situation ne venait pas seulement du mauvais vouloir des cours du Nord. Il y avait longtemps que ce mauvais vouloir s'était manifesté, à différentes époques et avec des nuances diverses. Mais ce qui était grave, dans un pareil moment, était la rupture de l'alliance anglaise, et l'isolement où allait se trouver la France, la France mécontente à l'intérieur et compromise à l'extérieur. C'était, en effet, à provoquer cette rupture que s'attachaient tous les efforts de l'empereur Nicolas. M. de Brunow, à Londres, avait des pouvoirs illimités sur les concessions à faire au cabinet anglais, pourvu que de ces concessions sortit une brouille entre les deux grands pays constitutionnels de l'Europe. La politique du czar n'avait pas un autre but. Au surplus, il avait un auxiliaire secret dans celui-là même qu'il poursuivait de ses hostilités, Louis-Philippe. Ce n'est pas un des moins étranges incidents de ce drame compliqué, et nous devons, à cet égard, quelques explications.

Depuis assez longtemps, les querelles personnelles de M. de Talleyrand avec lord Palmerston avaient amené de la froideur dans les rapports des deux cabinets. On se souvient qu'à la chute des whigs, en 1834, M. de Talleyrand avait énergiquement appuyé leurs adversaires. A leur retour aux affaires, il avait donné sa démission, laissant les choses tellement envenimées, que les premières relations du général Sébastiani avec le cabinet de Londres furent pleines de difficultés. Cependant M. de Talleyrand, demeuré toujours le conseiller intime de la couronne, continuait, à Paris, les sourdes hostilités commencées à Londres. Jadis, ardent défenseur de l'alliance anglaise, il avait

complétement changé de politique, et les conseils nouveaux qu'il donnait à Louis-Philippe, portaient l'empreinte de sa finesse proverbiale, en flattant les penchants secrets de son royal interlocuteur. « Vous avez, lui disait-il, tiré de l'al<«<liance anglaise tout le parti qu'il y avait à en tirer; au<< jourd'hui, les avantages sont ailleurs; il faut rentrer dans «<le concert européen, dans la famille des rois, à laquelle « vous appartenez. » Ces conseils étaient trop dans les goûts de Louis-Philippe pour n'être pas accueillis. Dès lors, tous ses efforts tendirent à renouer avec l'Autriche des rapports qui lui assurassent un appui solide sur le continent. Avec l'Autriche, il espérait regagner la Prusse, peut-être la Russie, et se faire officiellement pardonner son origine révolutionnaire. Durant son ministère du 22 février, M. Thiers se prêta merveilleusement à ce changement de politique extérieure, et les affaires de la Suisse, où il se montra le docile instrument de l'Autriche, donnèrent la mesure de ses condescendances et de sa souplesse.

L'Autriche, cependant, acceptait volontiers des actes de complaisance, mais sans rien accorder en retour. En revanche, les relations de la France avec l'Angleterre, prenaient, chaque jour, un nouveau caractère d'aigreur. En Grèce, les deux cabinets engageaient une lutte d'influence ; en Espagne, ils n'étaient d'accord sur aucun point. Lorsqu'en 1835, l'intervention fut proposée par le ministère du 11 octobre, l'Angleterre refusa d'une manière péremptoire. Une médiation armée, offerte par le même ministère, avec l'assentiment de l'Espagne, fut suivie du même refus. En 1836, au contraire, ce fut l'Angleterre qui insista pour l'intervention; ce fut le cabinet français qui recula.

De ce jour à l'avénement du 12 mai, il n'y eut entre la

France et l'Angleterre, que froideur et méfiance. LouisPhilippe recherchait d'autres alliances, lord Palmerston était blessé dans son orgueil par des désaccords qui ressemblaient plutôt à des taquineries qu'à de l'énergie.

Cependant, l'intérêt britannique sembla l'emporter un instant sur ces ressentiments. Préoccupé de l'influence que préparaient à la Russie les graves complications de l'Orient, lord Palmerston proposa au cabinet du 12 mai une action commune des deux gouvernements. La France préféra rester dans le concert européen. Ce dernier refus mit le comble aux ressentiments du ministre anglais : « L'alliance de « la France, dit-il alors, est sans doute fort précieuse, mais « qu'est-ce qu'une alliance qui n'agit jamais? La France, si <«< elle le veut, est maîtresse de temporiser toujours et de « regarder faire tout le monde, plutôt que de risquer une << rupture avec personne; mais une telle politique ne sau<«<rait convenir à l'Angleterre. De tout temps, l'Angleterre << a eu l'habitude de mettre la main partout, et de se mêler « de tout ce qui se passe. Elle ne renoncera pas à cette ha<< bitude pour plaire à son alliée. »

Ce fut dans ces circonstances que M. de Brunow se présenta à Londres. Le négociateur russe n'avait donc pas besoin d'une grande habileté pour briser les liens, autrefois si solides, entre la France et l'Angleterre. D'un côté, les dépits de lord Palmerston, de l'autre, les leçons de Talleyrand, les allures agressives des deux chancelleries et les tendances secrètes de Louis-Philippe avaient depuis longtemps préparé la rupture.

A son avénement, M. Thiers était averti du danger. Il pouvait peut-être le conjurer par une attitude énergique ; il préféra continuer les manœuvres de ses devanciers, c'est-à

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