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Toutée et du commandant Lenfant, moins rigoureusement interrompue par les rapides qu'on ne l'avait longtemps cru: le commandant Lenfant a même réussi à franchir avec de petits chalands les chutes de Boussa'. Toutefois, ce qui est possible à un explorateur, voyageant avec des bagages, mais sans marchandises proprement dites, ayant le temps et les moyens de donner tous ses soins à l'entreprise, est sans doute moins aisé

au commerce.

C'est pourquoi l'avenir vaincra sans doute les appréhensions du Colonial Office. Au reste, les Anglais, dont l'intérêt est de drainer vers Lagos la plus forte part du commerce nigérien, n'ont accès que par cette colonie au cours moyen du fleuve. L'hinterland de leurs établissements de la Côte d'Or et de la Guinée, comme l'hinterland du Togo allemand, a été limité par les traités de 1896 et 1897. Au profit de nos possessions la voie a été coupée de ces territoires vers le Niger. La Grande-Bretagne est une puissance coloniale trop avertie pour ne pas remédier un jour à cet obstacle par la création d'un grand railway de Lagos au Gando et au Sokoto.

Les lignes de chemin de fer construites, ou en cours de construction. dans les possessions étrangères du golfe de Guinée semblent en revanche, et contrairement aux voies françaises parallèles du Dahomey, de la Côte d'Ivoire et de la Guinée, n'avoir que le caractère et l'importance de lignes d'intérêt local. Pour cette raison, et aussi pour garder dans cet article aux établissements français de l'Afrique occidentale l'unité que leur groupement en un gouvernement général leur a donnée, nous étudierons d'abord les lignes du Togo, de la Côte d'Or et de la Guinée anglaise, puis les chemins de fer et les projets. français.

La configuration que les conventions diplomatiques ont donnée à la colonie du Togo y rend un chemin de fer indispensable. Le Togo a un développement côtier insignifiant, une soixantaine de kilomètres. Encore le littoral est-il accompagné, comme tous les rivages du golfe de Guinée, d'abord d'une ligne de lagunes malsaines, puis d'une grande ramification de la forêt équatoriale. Certes celle-ci contient des espèces exploitables, mais la vraie région à mettre en valeur commence au delà. Voilà donc une possession qui ne peut être exploitée avec fruit que dans le sens de la profondeur. Si l'on ajoute que les produits qu'elle fournit (huile de palme, caoutchouc, etc...) sont par nature lourds, encombrants, difficiles à

1 LENFANT. Le Niger, voie ouverte à notre empire africain. Paris, 1905, in-8°.

porter; qu'au surplus le portage de l'intérieur vers la mer exige une moyenne de 12 à 15 jours de marche, et revient à un prix de 1 fr. 25 à 1 fr. 50 par tonne kilométrique; qu'enfin la direction des rivières Volta et Mono, qui dans leur bas cours sont navigables, dérive vers les colonies voisines, Côte d'Or et Dahomey, les courants naturels de commerce, il paraîtra évident que la question capitale pour le Togo est la question du chemin de fer.

Les Allemands, comme toujours, ont été lents sinon à se convaincre de cette vérité économique, du moins à entreprendre les travaux désirés. En 1902 seulement, ils ont décidé de suppléer à l'insuffisance du port de Lomé, embarrassé par la barre qui, longeant les côtes de Guinée, les rend partout difficiles. Ils ont commencé la construction d'un wharf, imité de celui de Kotonou. La même année, le gouvernement, désireux de réunir à Lomé tout le trafic de la colonie, faisait entreprendre l'établissement d'une petite voie ferrée de 42 kilomètres, courant parallèlement au littoral et destinée à faire converger vers ce port voyageurs et marchandises. Lomé doit être le point de départ de la ligne plus importante, que les crédits, récemment votés par le Reichstag (juin 1904), vont permettre de diriger vers l'intérieur. Le rail doit atteindre dans deux ans Atakpamé, à 180 kilomètres environ de la côte. Une autre voie, parallèle, est en projet, reliant Lomé à Misohohé, sur la frontière anglaise. La voie d'Atakpamé aura cette supériorité qu'elle pénétrera au cœur du pays et que sa zone d'influence atteindra le maximum; elle ne sera pas concurrencée, comme la ligne projetée de Misohohé, par l'attraction de la Volta et de la Côte d'Or.

La colonie britannique de la Côte d'Or a en effet une longueur de côtes plus considérable, quelques cours d'eau navigables aux petits chalands (Ankobra, Tanoë, Volta), et deux ou trois points qu'on peut assez aisément rendre accessibles aux transports maritimes, Sekondi, Cape Coast Castle, Akkra. Ce sont des avantages naturels qui eussent suffi peut-être à dissuader longtemps une autre puissance de construire un chemin de fer dans une telle colonie; d'autant que, vers la Côte d'Or, la zone frontière atteint une largeur plus grande que dans les colonies limitrophes, et que la forêt est parcourue de rivières, marais et ravins qu'on ne peut franchir que sur des ponts. Mais comme ils tenaient la Côte d'Or, les Anglais décidèrent vite de la mettre en valeur. Il y fallait soumettre les Ashantis, longtemps rebelles et toujours prêts à la révolte; il était urgent de doter les régions aurifères des appareils d'extraction et de lavage qui leur étaient nécessaires ; il convenait de suppléer au

portage, lent et coûteux comme partout, et redouté comme un fléau par les indigènes.

Le chemin de fer parut, pour atteindre ces fins, l'entreprise la plus utile à accomplir. On la décida en 1897. Les travaux commencèrent l'année suivante. On résolut de prendre, comme terminus sur le golfe de Guinée, Sekondi. Ce point était dépourvu plus que tout autre de moyens naturels de pénétration vers l'intérieur; il était le port le plus voisin d'un des territoires aurifères, qui s'annonçait comme le plus riche, celui de Tarkwa; il pouvait être aisément joint à la capitale Koumassi, où en 1895 le gouvernement avait été assiégé par les Ashantis. Il suffit de doter Sekondi d'un wharf, qui, évitant aux navires une barre difficile, rendit leur accostage sans danger. Les 289 kilomètres de la voie (Sekondi-Koumassi) furent posés en cinq ans, sur le modèle des chemins du Cap, avec l'écartement de 1067. Le 1er octobre 1903, la première locomotive entra à Koumassi. A cause de la rareté de la main-d'œuvre, de la nécessité où l'on fut de débroussailler, de déboiser la route à travers la forêt, à cause des pluies qui arrêtèrent les travaux, le prix de revient a été assez élevé. On l'estime généralement à 160.000 francs par kilomètre; les fonds ont été fournis partie par la colonie, partie par les compagnies concessionnaires des mines. L'exploitation est faite en régie. Il est constant que ce chemin de fer rend déjà de grands services; il a permis l'introduction de l'outillage nécessaire à l'industrie minière, il est assuré d'une grande partie du trafic qui dépend de celle-ci (en 1903, alors que la ligne n'était pas achevée, le trafic total a atteint environ 26.000 livres sterling); il favorise l'extension de l'exploitation des richesses végétales. Toutefois, comme l'agriculture et la mise en valeur des produits végétaux commencent seulement de se développer, la fortune présente du chemin de fer paraît surtout liée à l'existence des Goldfields. Encore qu'on ne puisse ajouter une foi aveugle aux rapports, trop optimistes, des sociétés minières, il semble que le trafic, qu'elles provoquent devient d'année en année plus important. Là, comme toujours, le chemin de fer, après avoir servi à créer une source de richesse, en est le premier bénéficiaire 1.

Le Sierra-Leone a été doté d'une voie ferrée vers le même temps (1897-1903). La ligne déroule ses 122 kilomètres de Freetown à Bô. De grands travaux ont été faits à Freetown pour améliorer le port et créer des quais. La construction du chemin

Une voie est en projet entre Akkra et la Volta. Si elle était construite, elle drainerait à coup sûr vers la Côte d'Or une part considérable du commerce de Togo.

de fer a commandé elle-même des ouvrages d'art. Dès la sortie de Freetown le tracé rencontre des accidents de terrain, qui sur les 25 premiers kilomètres ont rendu nécessaires onze viaducs. Néanmoins les conditions économiques dans lesquelles les travaux ont été effectués ont laissé le prix de revient kilométrique assez bas: 70.000 francs environ. Les rails sont légers et l'écartement n'est que de 2 pieds 6 pouces (076).

Les indigènes et les anciens commerçants, accoutumés dans cette région voisine du Fouta-Djallon et des Rivières du Sud à utiliser les petits fleuves côtiers, n'ont pu être décidés à envoyer leurs marchandises dans les gares qu'au prix d'un abaissement sensible des tarifs. Beaucoup, en Angleterre, trouvent même trop réduits, pour une colonie africaine, les prix pratiqués. Le trafic est heureusement assez fort pour équilibrer recettes et dépenses (en 1902, 21.230 livres sterling de dépenses contre 21.300 de recettes). Ce succès encourage aujourd'hui la colonie, propriétaire et directrice de la ligne, à en étudier, à en préparer le prolongement. Deux projets sont en cours d'examen et recevront sans doute une exécution prochaine : l'un consiste à former un embranchement vers le Nord pour éviter que cette région ne cherche son débouché vers le chemin de fer voisin de la Guinée française, l'autre à atteindre par le rail la république de Libéria, et au besoin à y pénétrer. Grâce à son hinterland agrandi, à son commerce enrichi, Freetown, comme Konakry, semble promise à une prospérité brillante. Aujourd'hui le mouvement de ses affaires l'emporte même, par l'importance, sur celui de la capitale de notre Guinée. Les deux villes hériteront un jour, sans se faire concurrence, de tout le commerce du Fouta-Djallon et des sources du Niger. Au chemin de fer l'une et l'autre devront cette fortune. Mais la voie anglaise, arrêtée dans son essor par les limites politiques, n'aura point le champ d'action presque infini qui semble s'ouvrir à la ligne française.

Nos colonies de l'Afrique Occidentale, si l'on sait méthodiquement en tirer tout le parti possible, semblent destinées à l'avenir le plus beau. L'objectif constant de notre politique dans cette région a été, depuis vingt-cinq ou trente ans, la prise de possession et l'exploitation de la vallée du Niger. Déjà Faidherbe avait ce plan. Après lui, et grâce à la science des explorateurs, à la vaillance des officiers, à l'effort des diplomates, s'est propagé un «< enthousiasme africain », à qui n'ont fait défaut ni les conceptions grandioses, ni même les illusions. Toutes les voies d'accès ont tour à tour été prônées

1 Cf. DUBOIS et TERRIER. Un siècle d'expansion coloniale. Paris, Challamel, 1902, in-8°, p. 491.

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vers un Niger et un Tchad, qui ne sont en vérité connus que d'hier. Unir l'Algérie au Sénégal, au Tchad et au Niger, faire de ce fleuve un Nil français sont des programmes séduisants. << La victoire remportée sur les déserts », « la possession du grand fleuve de nos Indes Noires », sont des formules brillantes. Mais avec la part de vérité qu'ils contiennent, ces projets renferment, nous le verrons plus loin, trop d'illusions, trop de mirages. C'est avec raison, selon nous, que les récentes et scientifiques explorations des dix ou quinze dernières années ont fait renoncer à des conceptions trop grandioses. Le Niger est français dans la plus grande partie de son cours; mais il n'est pas le Nil. Politiquement, par routes de caravanes et demain par télégraphe, l'Algérie est reliée à nos possessions de l'Afrique Occidentale. Mais la jonction est plus théorique que réelle; selon le mot de Faidherbe, rien n'empêchera qu'il subsiste toujours un affreux désert entre le Niger et l'Algérie. Depuis qu'on est mieux informé, on conçoit plutôt des projets partiels de mise en valeur. L'unification administrative en un gouvernement général de l'Afrique Occidentale Française de toutes nos colonies soudanaises ne va pas là contre. Au contraire, l'organisation unitaire de 1895, par la possibilité qu'elle a fournie à nos possessions de contracter un emprunt, par la pratique inaugurée en 1902 de l'aide interbudgétaire entre les colonies 1, a donné à celles-ci une vie et des ressources qui lui manquaient; elle leur permet de se développer parallèlement. Le Dahomey, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Sénégal sont des voies d'accès vers le Soudan, et tous, entraînés par une émulation légitime, cherchent, selon des plans bien étudiés, à devenir les débouchés de la région intérieure. Ainsi se trouve conjuré le danger, que plusieurs auteurs avaient redouté, celui de voir le commerce du Soudan central dérivé par trois grands courants vers les trois colonies anglaises de Lagos, de la Côte d'Or et de Sierra-Leone.

Le chemin de fer du Dahomey ne peut encore maintenant remplir l'office d'un débouché parfait. Commencé par la colonie même en 1900 à Kotonou, il n'avance qu'à 190 kilomètres dans l'intérieur. Le tronçon construit est livré à l'exploitation et permet d'espérer d'heureux résultats. Un grand wharf métallique a été bâti à Kotonou pour épargner aux vaisseaux la traversée de la barre difficile qui obstrue la navigation dans tout le golfe de Guinée; Kotonou est devenu un véritable port maritime.

1 Cf. DUCHÊNE, Revue de science et de législation financières, avril, mai, juin 1905.

QUEST. DIPL. ET COL. -T. XXII.

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