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Les travaux de construction se sont effectués à un prix relativement bon marché. La pénétration vers l'intérieur n'a nulle part été pénible. La forêt bordière, moins large ici que dans les régions voisines de l'Ouest, a été traversée aisément. Les Dahoméens, nombreux et robustes, assez volontiers fournis par les chefs indigènes, donnent une main-d'œuvre économique; ils sont cependant incapables de faire les travaux délicats qu'il faut confier à des Sénégalais. Jusqu'à présent la ligne, qui a 1 mètre d'écartement, n'a guère dépassé le coût de revient kilométrique de 80.000 francs. Les travaux de prolongement vers Parakou (440 kilomètres de la côte) sont en cours. Le tracé en a été étudié et préconisé dans les rapports remarquables du lieutenant-colonel Guyon. L'on se préoccupe de pousser le rail jusqu'au Niger. Atteignant le fleuve près de la frontière. anglaise du Lagos, le chemin de fer serait la meilleure route d'accès au grand bief navigable de 600 kilomètres, qui s'étend des rapides de Labezenga aux chutes de Boussa; il desservirait non seulement le Dahomey, mais le Borgou, le Sokoto, le Gando 1.

Un champ d'action aussi vaste s'ouvre au chemin de fer de notre Côte d'Ivoire. Il est regrettable que l'exiguïté des ressources de cette possession l'ait longtemps empêchée de commencer des travaux, que tous savaient indispensables. Les premiers terrassements n'ont été effectués qu'après le vote de la loi du 5 juillet 1903 autorisant l'Afrique Occidentale Française à contracter un emprunt de 65 millions. Le tracé a été étudié et relevé par le commandant Houdaille et le capitaine. Crosson-Duplessis. Le mouillage tout à fait insuffisant de Grand-Bassam, la barre dangereuse qui en obstrue l'entrée, ont fait abandonner tout projet d'établir à ce point le terminus de la ligne. On a préféré choisir la localité d'Abidjean, sur la lagune, à 13 kilomètres ouest de Bingerville. De grands travaux

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y sont actuellement poursuivis pour rectifier les fonds de la lagune et creuser derrière le cordon littoral un chenal sûr vers la haute mer. L'infrastructure du chemin de fer est à la veille d'être achevée jusqu'à Erimakouguié, à 79 kilomètres d'Abidjean, et la pose des rails s'ensuit peu à peu 1. La première section de la voie se terminera à Kouadiokoffi (260 kilomètres) dans le Baoulé. L'écartement adopté, comme d'ailleurs dans toute l'Afrique Occidentale Française, est celui de 1 mètre.

Plus riche (quant à son budget du moins), la Guinée française a pu commencer plus tôt la construction de son chemin de fer. Grâce à un emprunt de 14 millions fait à la Caisse nationale des Retraites et à la Caisse des Dépôts et Consignations, la colonie a pu, dès 1900, entreprendre les travaux. L'objectif était de relier le Niger et le Fouta au port de Konakry et de diriger vers ce point un trafic que les Anglais de Freetown con voitaient aprement. Au capitaine Salesses, aujourd'hui directeur des travaux du chemin de fer et du port, revient l'honneur d'avoir étudié le tracé de la ligne. Elle part de Konakry, qui a pu, au prix de travaux assez faciles, devenir un bon port; déjà on y a concentré de puissants moyens d'action pour assurer le chargement et le déchargement rapide et commode des bateaux. De ce point initial la voie doit atteindre Kouroussa, où le Niger commence à être navigable (530 kilomètres environ; elle passera par Timbo, la capitale future du Fouta et dès maintenant un de ses centres principaux. Un aussi long parcours s'effectuera sans travaux trop coûteux; partant de Konakry à la cote zéro, la voie a son point culminant à Koumi à la cote 800 et redescend vers Kouroussa à la côte 400. Il n'y a ni grand viaduc, ni tunnel, ni pont à grande portée à construire; la rivière la plus large à traverser, celle de Kolenti, n'a que 60 mètres. Les indigènes fournissent assez économiquement le gros travail. Ces circonstances ont permis à la colonie de construire à ses frais et par ses seuls moyens le premier tronçon de 149 kilomètres de Konakry à Kindia, de 1900 à 1903. Grâce à l'emprunt contracté en 1903 par le gouvernement général, les travaux sont désormais poussés plus vite encore. Au début de 1905 la locomotive atteignait le pont de la Santa (kilom. 166). La plate-forme débouche maintenant dans la vallée de la Sira-Fore et se développera prochai

Journal officiel du 24 septembre 1905. Rapport au Président de la République. - Cf. aussi Documents parlementaires. Rapport Le Hérissé sur le budget du ministère des Colonies pour l'exercice 1906, p. 168. Voir également DE RENTY, Les chemins de fer coloniaux en Afrique, Paris, 1906, t. III, p. 157 et sq.

En 1905, plus de 6.000 travailleurs ont été occupés (Documents parlementaires, Rapport Le Hérissé sur le budget des Colonies, 1906, p. 163).

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nement sur les pentes douces qui descendent vers Kolenté (kilom. 200) 1. Dans trois ou quatre ans, Kouroussa doit être atteint.

Le tronçon existant est déjà fort utilisé par le commerce; les caravanes ont pris l'habitude de s'arrêter à son terminus intérieur, au lieu de pousser jusqu'à Konakry. Lês recettes kilométriques atteignent déjà 4.500 francs contre 4.000 de dépenses. Le mouvement commercial a provoqué la création d'une petite ville européenne à Kindia en moins de douze mois. Si rien n'entrave le cours des travaux et ne vient augmenter le prix d'établissement de la voie (jusqu'ici la moyenne a été de 90.000 à 100.000 francs par kilomètre), cette entreprise, si bien engagée déjà et bien conduite, sera l'une des plus belles parmi nos œuvres coloniales, celle dont l'exemple devrait s'imposer dans d'autres possessions, encore arriérées, comme le Congo.

On voudrait, pour la gloire de nos fastes coloniales, n'avoir à enregistrer que de semblables succès. La mise en valeur de notre empire d'outre-mer a par malheur supporté parfois trop de retards, trop d'indécisions, trop de négligences. L'étude de l'établissement des deux voies ferrées du Sénégal nous est une de ces occasions regrettables de signaler de pareils errements.

A Faidherbe revient l'honneur d'avoir vu dans le Sénégal une route vers le Soudan. Le premier, il conçut le plan de relier le Sénégal au Niger. Mais son idée ne fut reprise qu'en 1879 par M. de Freycinet 3. Pour éviter la barre du Sénégal, qui rend l'embouchure du fleuve impraticable à la navigation, le programme qui fut alors élaboré consistait à unir Saint-Louis à l'admirable rade de Dakar; la ligne proposée traverserait d'ail– leurs une région fertile, propre à la culture de l'arachide. Puis, de Saint-Louis, le cours du fleuve serait utilisé sur un long bief de près de 900 kilomètres; ce parcours fluvial est ouvert à la navigation pendant neuf mois de l'année, il est même capable de supporter les bateaux calant 5 mètres pendant trois mois, quand à la fin de la saison humide (été) les eaux montent jusqu'à 12 et 15 mètres à Bakel. Au terme du bief, à Kayes, un peu en aval de Médine, où les chutes de Felou arrêtent en tous temps la navigation, une seconde voie ferrée serait construite qui atteindrait le Niger à Bammako.

La loi du 29 juillet 1882 décida l'exécution de la première

1 Journal officiel du 24 septembre 1905, Rapport au Président de la République. 2 Journal des Débats du 21 octobre 1905: Interview de M. Salesses.

3.Cf. le rapport dans le Journal officiel du 14 juillet 1879.

partie de ce plan. La Société des Batignolles se chargea, moyennant une subvention, une garantie d'intérêt de l'Etat et le monopole de l'exploitation pendant 99 ans, de construire la ligne à l'écartement de 1 mètre sur le parcours Dakar-SaintLouis (284 kilomètres). Les travaux commencèrent dès 1882. Bien que le tracé suivant la bordure côtière, naturellement basse, n'ait pas rencontré de graves dénivellations à racheter, bien que l'Etat ait dû chaque année verser à la Compagnie des sommes importantes, que la main-d'œuvre indigène ait été sans cesse aidée par des ouvriers venus d'Europe, et que le ravitaillement des chantiers ait pu se faire facilement au moyen de chameaux et de bourriquets, la construction ne fut achevée qu'en 1885 et coûta en moyenne plus de 100.000 francs par kilomètre. Pendant treize années encore, les finances de la métropole furent sollicitées par la Compagnie. Une gestion trop coûteuse, l'insuffisance du trafic, malgré l'incontestable utilité de la voie ferrée, obligèrent l'Etat à avancer à la Société, à des titres divers, plus de 45 millions. La situation ne s'est améliorée que vers 1898, quand pour la première fois les recettes ont été supérieures aux dépenses d'exploitation et d'entretien. Depuis 1900, la Société n'a plus besoin de recourir à la garantie d'intérêt. En 1902, elle a commencé à rembourser l'Etat de ses avances 2.

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Les recettes ont été........ 2.518.000 francs 2.473.052 francs Les dépenses d'exploitation. 1.923.000 1.675.923

L'exécution de la seconde partie du programme, la construction du chemin de fer de Kayes au Niger, n'offrit pas seulement la répétition de ces atteintes au budget métropolitain. Ce n'eût été que demi-mal. Un pays colonisateur doit savoir dépenser

1Cf. Documents parlementaires. Rapport Bourrat sur les chemins de fer des colonies pour l'exercice 1905, p. 21.

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Résultats généraux de l'exploitation pour 1904.
Longueur exploitée: 264 kilomètres.

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son argent. Ni le Portugal dans l'Angola, ni l'Angleterre dans l'Ouganda ou au Lagos n'ont hésité à engager leurs finances dans des entreprises de chemin de fer. Mais l'établissement de la ligne française du Soudan donna le plus lamentable exemple des hésitations du pouvoir central, de son impuissance à réaliser ses meilleures intentions, de l'ingérence dans une question coloniale et économique de considérations politiques et d'hommes incompétents, en un mot d'une incapacité trop réelle à mener à bonne fin. l'œuvre commencée. L'œuvre pourtant s'annonçait facile.

De Kayes au Niger, il y a, à vol d'oiseau, un peu plus de 500 kilomètres. Le tracé ne compte pas de fortes dénivellations; l'altitude moyenne, et qui va assez régulièrement en croissant de Kayes jusqu'aux approches du Niger, n'est que de 200 à 300 mètres; Kayes est à la cote 60, Bammako à la cote 350. Entre le bassin du Sénégal et celui du Niger, il n'y a ni plissement, ni plateau surélévé, tout au plus un dos de pays. Aucun cours d'eau important ne barre la route; ni le Bafing, ni le Bakhoï, ni le Baoulé, que la ligne doit franchir, ne sont des rivières très larges, dont la traversée demande de longs et coûteux travaux d'art. Le long du tracé d'épais bancs de grès peuvent fournir les moellons nécessaires. Les briques pour la constructions des gares sont fabriquées sur place. La main-d'œuvre peut être en partie recrutée parmi les Sénégalais, qui en général sont de bons ouvriers.

Les travaux commencèrent en 1881. Pendant quatre ans, année par année, le Parlement accorda les crédits voulus. Mais comme la construction avait été entreprise sans de complètes études préliminaires, la besogne avança lentement et fut dispendieuse. L'insuffisance de la main-d'œuvre indigène donna l'idée de recourir à des ouvriers chinois, marocains, italiens. L'expérience fut désastreuse. Pendant les hivernages, la malaria, la dysentérie décimaient les travailleurs. A la fin de 1884, on atteignait seulement le kilomètre 54 et on avait dépensé déjà 14 millions. La voie était, comme sur le parcours DakarSaint-Louis, à l'écartement de 1 mètre. De plus, comme le matériel, faute d'une organisation prudente, arrivait aux époques les plus inopportunes et trouvait rarement les abris nécessaires, comme le personnel européen souffrait du manque de précautions sanitaires ', l'opinion publique, mal avisée, hostile alors aux grandes entreprises coloniales, douta du succès de l'œuvre; le Parlement, découragé, refusa le crédit. On n'eut plus que la ressource de poursuivre les travaux avec des 1 Cf. DE LANESSAN, l'Expansion coloniale, p. 163.

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