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transport, les méfiances timorées des indigènes ont paralysé, interdit la mise en valeur du territoire. Depuis la chute de l'empire de Rabah, la pacification apportée au pays par M. Gentil, commissaire général, et les premiers efforts des Compagnies concessionnaires, on ne doute plus guère que la solution de la crise, dont le Congo a trop souffert, doit être cherchée dans la construction des voies de communication'. N'est-il pas, au reste, d'une politique prudente de doter notre colonie d'une ligne propre, de l'affranchir de l'obligation et du danger de commercer et de se ravitailler par Matadi? Nous payons actuellement 3 millions de francs environ de redevances annuelles à la voie belge.

Les cours d'eau semblent à l'avance indiquer le tracé de la ligne; il y a un intérêt certain à suivre la vallée d'un des tributaires de l'Atlantique, Kouilou, Nyanga, Ogooué, Gabon, qui assurent un accès relativement facile à travers la zone forestière vers les hauteurs qui bordent la côte. De là un des affluents de gauche du Congo, et plusieurs sont navigables,

montre à nouveau la voie à suivre vers la dépression équatoriale, où coule le grand fleuve.

Nous avons vu qu'un des premiers projets présentés consistait à relier Loango à Brazzaville par la vallée du KouilouNiari. Ce fut le désir de Brazza 2. Aujourd'hui la prospérité de la ligne belge, parallèle et voisine, a fait écarter provisoirement cette idée. Un autre projet consistait à relier Libreville au confluent de l'Alima. Depuis quelques mois les renseignements fournis par M. Fourneau, aujourd'hui secrétaire général du commissariat général du Congo, ont fait modifier ce plan: il y aurait avantage à prendre pour terminus le confluent de la Likouala. Entre Ndjolé et un point à déterminer on suivrait la vallée de l'Ogooué. Les difficultés venant de la traversée d'un pays assez élevé seraient compensées par la rencontre du thalweg d'un fleuve, la richesse des bois, la fertilité du sol, la présence d'une population douce et laborieuse.

Une mission d'études, dirigée par un officier d'élite, qui s'est déjà spécialisé au Dahomey dans les questions de chemins de fer, le capitaine du génie Cambier, vient de reconnaître le terrain et de lever le tracé de la ligne entre Libreville et Makoua, sur la Likouala. Le parcours serait de 850 kilo

1 C'est une des conclusions du rapport de la commission d'enquête sur le Congo, réunie en octobre 1905 par M. Clémentel, ministre des Colonies.

2 Il voyait dans l'exécution de ce projet le moyen de « ne pas capituler devant la «puissante organisation des intérêts belges » (C. GUY. La mise en valeur de notre domaine colonial, Paris, 1900, in-8°, p. 540).

mètres environ. La mission a jugé que le point le plus propice à l'établissement de la tête de ligne serait la pointe Owendo, un peu en amont de Libreville et sur la même rive du Gabon. De là le rail cheminerait d'abord à travers la zone forestière, sans rencontrer d'obstacles graves, puis, vers le kilomètre 100, à la hauteur du Como, sur de petits plateaux inégaux, passant de la cote 85 à la cote 150 et séparés par des ravins, dont le fond descend parfois à la cote 45. Des travaux de terrassement et des ouvrages d'art seraient ici indispensables. Au kilomètre 200, la voie atteindrait Ndjolé sur l'Ogooué. Ndjolé, centre commercial important de la colonie, situé en un point où la navigation est possible, est un passage obligé. Aussi bien, tout effort tenté pour trouver un raccourci au Nord de cette localité et éviter la région tourmentée qui l'enserre, a paru infructueux. Au prix de la construction d'appontements, destinés à faciliter, surtout en temps de basses eaux, le transbordement des marchandises du wagon sur les bateaux ou inversement, Ndjolé deviendra un des marchés principaux du Congo1. Au delà de ce point, la vallée de l'Ogooué est la voie indiquée vers l'hinterland. Le confluent des tributaires. nécessitera la construction de ponts; le plus long atteindra, sur l'Iwindo, 150 à 200 mètres. Enfin, après le confluent de l'Iwindo, le rail se dirigera vers la vallée de la Likouala. Le thalweg de cette rivière a été préféré à celui de l'Alima, parce qu'il est moins sinueux et plus septentrional, plus éloigné par suite de la ligne belge. La construction de ce grand ruban ferré s'accomplirait aisément sur un sol, dont la composition géologique (argile ferrugineuse, grès et schistes) est très favorable aux travaux. Les ouvrages d'art, prévus en grand nombre, ne présentent nulle part de difficultés techniques d'exécution. Les Pahouins indigènes, qu'une intelligente di

1 La question s'est même posée de savoir s'il ne suffirait pas de commencer à Ndjolé seulement la construction de la ligne. On économiserait 200 kilomètres de rail environ; les communications se feraient de Ndjolé à la haute mer par l'Ogooué. Ce projet rencontre de puissantes objections: à Ndjolé la navigation n'est possible que pour les petits bateaux; la navigation maritime s'arrête au cap Lopez et ne remonte pas l'Ogooué. Ces marchandises devraient donc, avant de gagner les grands vaisseaux du commerce, subir, outre un premier chargement sur wagon, deux transbordements (à Ndjolé et au cap Lopez). Ce serait créer une ligne de communication mixte et par là ralentie. Le Sénégal, qui a été doté d'une voie pareille (chemin de fer de Dakar à Saint-Louis, voie fluviale au delà) n'a pas trouvé l'expérience heureuse. Il s'efforce aujourd'hui, comme nous l'avons vu, de trouver dans l'extension de son réseau ferré un remède à ses défectueux moyens de transport. Pourquoi recommencer au Congo ce qui a paru insuffisant au Sénégal? Ajoutons que le territoire de Libreville à Ndjolé est une des rares parties de la colonie, qui n'ait pas été cédée aux Compagnies concessionnaires. Un chemin de fer vivifierait là un domaine, appartenant sans conditions à la colonie et exploité par elle directement. Toutes ces considérations feront sans doute renoncer à choisir Ndjolé comme tête de ligne.

rection disciplinerait, fourniraient une bonne part de la maind'œuvre; la besogne savante seulement serait confiée à des Sénégalais ou à des Dahoméens. Les dépenses seraient assez élevées; les calculs, actuellement faits, les évaluent à un maximum de 105 à 115 millions, soit 125.000 francs environ par kilomètre. Mais les richesses naturelles, que l'on développerait en nombre et en espèces, assureraient bientôt à la ligne un trafic important. Si l'on songe que dès aujourd'hui le Congo français mal mis en valeur fournit 3 millions de tonnes. annuelles de caoutchouc sur une production de 17 millions donnée par l'ensemble des possessions françaises, et que son commerce, en dépit de toutes les difficultés, a passé de 1894 à 1904 de 10 à 21 millions de francs, il est permis de penser que le chemin de fer sera pour lui un facteur certain de prospérité. Au caoutchouc et à l'ivoire, produits dominants, on pourra probablement joindre le cacao, le café, la vanille, peut-être l'arachide, la canne à sucre, le bananier, le tabac, les bois d'ébénisterie et de menuiserie, les gommes. Sur les rives belges de l'Oubangui, Van Gèle a déjà rencontré plusieurs plantations de ces espèces. La voie ferrée fera l'unité politique des vastes régions soumises à la France et où l'action administrative a toujours été rendue précaire par le défaut de moyens de communication. Prolongée par le réseau fluvial Congo-Sangha, elle fournira une route abrégée vers le Tchad. Elle donnera à Libreville et à sa rade sûre et profonde, accessible aux plus grands navires, leur importance naturelle; elle détournera vers ce port des marchandises qui aujourd'hui s'embarquent à Matadi; elle dérivera de Libreville vers Bordeaux, le Havre et Marseille un courant commercial qui va aujourd'hui du Congo belge vers Anvers. Il est à souhaiter que ce projet, minutieusement et profondément étudié, reçoive bientôt sa réalisation. S'il n'en était pas ainsi, notre colonie, dont le sort est lié à la création d'un chemin de fer, demeurerait éloignée de l'avenir brillant, auquel elle est promise 1.

LÉON JACOB.

1 M. Clémentel, ministre des Colonies, a fait connaître officiellement au mois de février dernier que le commissariat général du Congo s'occupait activement de doter la colonie d'un chemin de fer. Pour couvrir les frais de cette vaste entreprise, un projet d'emprunt est actuellement à l'étude.

RENSEIGNEMENTS POLITIQUES

France.

.I. EUROPE.

- L'incident de Djanet. - Dans notre livraison du 24 juillet, au cours de notre article sur l'agitation musulmane dans l'Afrique du Nord, nous avons eu l'occasion de signaler l'incident de Djanet, et de reproduire, d'après une dépêche de Constantinople au Temps, en date du 15 juillet, les assurances données alors par le gouvernement ottoman, à notre ambassadeur M. Constans, que la Turquie n'avait pas envoyé de troupes à Djanet et n'avait pas l'intention d'en envoyer. Nous ajoutions d'ailleurs qu'il était cependant certain qu'une colonne allemande s'était mise en marche vers Djanet, pour tâcher d'enlever le drapeau français hissé à Zellouaz-Djanet en janvier 1905. Depuis, les dépêches publiées par les journaux sont venues confirmer notre affirmation, et il a bien semblé un moment que le gouvernement du Sultan, troublé sans doute par des influences étrangères, ne savait véritablement quelle attitude adopter. Voici d'ailleurs l'intéressante depêche que le Temps a reçue, le 3 août, de Constantinople, et qui indique bien les fluctuations de l'opinion gouvernementale ottomane :

Constantinople, 3 août.

Lorsque l'ambassade de France reçut ses premières informations touchant l'intention du gouverneur de la Tripolitaine d'expédier des troupes à Djanet et à Bilma, elle fit verbalement des observations à la Porte qui, déclarant ignorer le projet, télégraphia au gouverneur. Celui-ci répondit quc l'expédition ne concernait ni Djanet ni Bilma, mais Ghadamès. L'ambassade fit suivre ses observations verbales d'une note rapportant ses renseignements et mettant la Porte en garde contre une tentative sur des localités appartenant au secteur français.

Peu de jours après, l'ambassadeur fit de nouvelles observations, disant savoir que l'expédition était bien organisée à Mourzouk-Ghat pour Djanet et Bilma. La Porte, toujours ignorante, télégraphia au gouverneur qui répondit vouloir expédier des troupes au Ghat et dans les environs en vertu d'un ancien iradé, mais non à Bilma. L'ambassade remit une deuxième note attirant sérieusement l'attention de la Porte sur les conséquences graves pour elle si le gouverneur donnait suite à son projet visant la région sous l'influence française.

Dans la troisième semaine de juillet l'ambassade recevant avis de son consul à Tripoli de l'organisation d'une expédition de trente hommes pour Djanet sous le commandement de l'adjudant-major Abd-elKader-Djami, demanda de nouvelles explications à la Porte qui, après avoir télégraphié à Tripoli, répondit verbalement que le gouverneur pro

jetait bien d'occuper Djanet comme étant dans la banlieue de Ghat, afin de protéger la route des caravanes. La Porte ajoutait cette fois que Djanet ne fut jamais occupé par les Français.

Le lundi 23 juillet, M. Constans remit à la Porte une troisième note plus ferme encore que les précédentes, déclarant que Djanet était dans la région visée par la convention anglo-française de 1899 et faisait partie des localités attribuées à l'influence française. La note ajoutait qu'en janvier 1905 le capitaine Touchard avec des méharistes occupa pendant quarante heures Djanet et constata l'absence d'officiers et de soldats turcs et s'assura que jamais n'avait eu lieu de perception d'impôts. En conséquence le gouvernement français prévenait la Porte qu'il ne tolérerait pas les projets du vali de Tripolitaine et que toute tentative de ce genre entraînerait comme suite l'occupation des localités placées sous le protectorat français.

M. Constans appuya cette note par un commentaire verbal dont le ton fut, d'après mes renseignements, peu agréable au grand vizir et au ministre des Affaires étrangères.

On dit aujourd'hui que la Porte prépare sa réponse en soutenant que Djanet est possession ottomane et soulevant toute la question de l'hinterland de la Tripolitaine.

La rumeur court que Djanet serait déjà occupé par les Turcs à l'heure actuelle. Il est impossible de prévoir la conduite future du gouvernement français, mais l'attitude énergique de M. Constans depuis le début de l'affaire fait prévoir des mesures sérieuses.

Deux jours après la publication de cette dépêche, le 5 août, la dépêche officieuse suivante a appris que notre ambassadeur demandait que les négociations se poursuivissent dorénavant à Paris.

Constantinople, 5 août.

M. Constans a déclaré à la Porte qu'il refusait d'entrer en discussion sur la question de l'hinterland de la Tripolitaine, attendu que cette affaire ne concerne pas la Turquie et que la France était tombée d'accord avec l'Angleterre sur les points occupés.

La Porte, renonçant à son projet d'envoyer une note responsive à l'ambassade, a chargé Munir pacha de négocier avec M. Bourgeois et lui a envoyé tout le dossier de l'affaire.

L'affaire en est là actuellement; nous n'avons qu'à attendre le résultat des entretiens engagés; nous sommes, au reste, convaincus que ce résultat ne saurait être qu'entièrement satisfaisant, étant donnée l'incontestable légitimité de la thèse française. Voici, à titre de documents, quelques renseignements fournis par le Temps sur cette partie peu connue de notre domaine africain :

DJANET ET BILMA

Le lecteur qui voudrait se renseigner sur ces points dont les noms le frappent pour la première fois serait très embarrassé. Si nous ne nous trompons, un seul Européen a visité Djanet jusqu'ici c'est le capitaine Touchard, du bureau arabe de Touggourt, qui y a passé trente-six heures au mois de janvier 1905. Et il n'a point publié de relation. Il n'est donc pas sans intérêt de faire connaître qu'il y a trouvé six villages contenant environ 1.200 habitants qui vivent du produit d'une forêt de 18.000 à 20.000 palmiers. Cette population est partagée en deux clans : l'un fit un

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