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des Affaires étrangères, et M. le professeur Schiemann, dont le nom a été souvent prononcé au cours des polémiques de presse qui compliquèrent les travaux de la conférence, petit homme maigre, très polyglotte, au geste et au parler lents, au type slave accusé (il est, je crois, d'origine russe) et dont nous verrons bientôt à Paris le fin profil de pope, car il doit, pour des études en cours, venir consulter nos bibliothèques.

Et la conversation s'engage sur un ton d'amabilité volontairement familière et aisée; c'est à peine si, de loin en loin, une inflexion, une tournure de phrase étrangère trahit la nationalité de notre interlocuteur; car Guillaume II connaît notre langue, j'allais dire « dans les coins »>, si cette expression trop boulevardière n'était pas de celles que le parisianisme exotique de notre impérial visiteur au rebours de tels étrangers et des plus haut côtés qui se plaisent à affirmer leur virtuosité française jusqu'aux confins de l'argot dédaigne d'employer.

L'évocation du souvenir de Waldeck-Rousseau provoque cette parole douloureuse comme il s'enquiert des dernières heures du grand homme d'Etat, dont il vient de saluer la mémoire, et parle du mal cruel qui l'emporta : « Oui, oui, je connais, dit mélancoliquement le kaiser; c'est de cela qu'on meurt dans ma famille. » Et il ajoute : « Je n'oublierai jamaisle regard de mon père cherchant à lire dans les yeux de ceux qui l'approchaient les progrès du mal dont il souffrait. Nous avons fondé un institut à Francfort consacré à l'étude de ce fléau. Un de nos professeurs croit bien avoir trouvé un sérum... »

Quittant ce triste sujet, l'on causa politique, politique orientale. Le souverain allemand suivait de longue date le laborieux effort des Japonais : « J'en avais parlé au tsar, comme aussi du merveilleux service d'informations que les Nippons avaient étendu d'un bout à l'autre du monde... Quand on en rencontre un, l'on ne sait, en vérité, si l'on a devant soi un marchand, un artisan ou un officier déguisé. Dans une boutique de barbier où des attachés militaires allaient se faire raser, j'ai appris que celui qui promenait le rasoir autour de leurs visages était un colonel d'état-major japonais !... » Et s'animant : « On verra par la suite, en Asie et ailleurs, ce que pourra coûter ce premier triomphe des hommes jaunes sur les blancs... Pour l'instant, cela va le mieux du monde avec l'Angleterre... Mais les Orientaux ont plus d'un tour dans leur sac. Ainsi ils viennent, conformément aux traités, d'ouvrir une ville au commerce sur le Yalou; seulement ils ont eu soin d'établir, entre les deux rives du fleuve, un pont qui empêche les navires de le remonter... » Et il rit, accentuant son observation d'un petit claquement du pouce et de l'index. Je le considérais attentivement, pendant que se déroulait l'entretien, suivant les mouvements de cette physionomie mobile, derrière laquelle on sent une pensée toujours agissante, une volonté toujours en éveil. De taille moyenne et bien prise, assez grisonnant (« Mieux vaut des cheveux gris que de n'en plus avoir », avait-il déclaré un moment avec bonne humeur), l'air et l'allure jeunes, la face plutôt plate avec des pommettes accusées, le nez bien dessiné et les dents superbes dans une bouche un peu germanique, où le rire a plus d'éclat que de grâce; celle-ci s'ombrage de moustaches relevées, mais non point épaisses, agressives, hérissées en fers de hallebarde, comme celles représentées en certains portraits et qui sont devenues le trait convenu des caricaturistes : de pacifiques moustaches blondes, retroussées avec bonhomie, des moustaches en vacances... L'œil est étonnant, d'un gris bleu, un peu dur, la prunelle toujours en mouvement, un œil qui parle, qui écoute, qui enregistre, et qui retient. Toute la personne d'ailleurs est en action incessante, toujours sous vapeur,

coopérant au discours, commentant la parole; l'œil interroge, la tête approuve, la main ponctue; seul, le bras gauche, immobile, ne quitte guère la ceinture ou la poche du veston....« Qui sait? conclut-il, avant dix ans nous verrons peut-être une flotte japonaise dans la Méditerranée; et ce sera chose nouvelle que d'entendre formuler l'avis du souverain de l'empire du Soleil Levant dans des questions occidentales.»

S'il est vrai, comme je l'entendais affirmer il y a peu de jours par quelqu'un qui arrive de Chine, qu'une escadre japonaise doive l'an prochain visiter les ports d'Angleterre, la prophétie de Guillaume II pourrait connaitre des réalisations plus prochaines.

Autriche-Hongrie. L'Autriche devant le suffrage universel. M. H. Hantich, l'éminent professeur à l'Académie commerciale de Prague, nous adresse l'intéressante correspondance suivante sur l'introduction du suffrage universel en Autriche-Hongrie.

« Reportons-nous douze mois en arrière et examinons rapidement quelques événements politiques qui se sont déroulés depuis ce temps dans la monarchie austro-hongroise.

<< Dans les pays de la couronne de saint Etienne, le conflit des partis de la coalition nationale avec la couronne se corsait chaque jour davantage et l'opinion publique ne s'occupait que du projet Kristoffy, tendant à l'introduction en Hongrie du suffrage universel.

<< Est-il besoin de dire que dès le moment où l'idée de la réforme électorale sortit du Conseil, le gouvernement hongrois ne s'en servit que comme d'un moyen de tactique, d'un simple expédient à l'aide duquel il espérait briser de façon plus expéditive la résistance des coalisés révoltés.

« Que se produisit-il alors ? L'idée mise 'en avant, avec quelque légèreté, à Budapest, ne tarda pas à passer la Leitha et, trouvant un accueil enthousiaste chez les démocrates-sociaux et chez quelques nationalités slaves, fit rapidement son chemin en Autriche.

<< Parmi les partisans les plus ardents, les plus convaincus du suffrage universel se trouvèrent dès la première heure les Tchèques, qui croyaient alors voir, dans la substitution à l'ancien système électoral, basé sur la division des électeurs en quatre curies, du suffrage universel égal, à la fois une grande œuvre de justice sociale et le premier pas vers leur affranchissement de l'hégémonie allemande.

« On sait où la monarchie danubienne en est aujourd'hui de ses projets de régénération par le suffrage universel.

<< Tandis qu'en Hongrie le projet de la réforme électorale, élaboré par le cabinet Fejervary, a été abandonné, et que le parti de la coalition, plus fort que jamais, s'est vu confier par son roi la direction des affaires publiques, l'Autriche traverse, à l'heure qu'il est, une crise des plus violentes que lui vaut la démocratisation projetée du système électoral et, par un singulier retour de choses, c'est précisément le surprenant triomphe de la coalition magyare qui pousse

aujourd'hui le gouvernement de Vienne à mettre tout en œuvre pour hâter l'établissement en Autriche du suffrage universel.

<< Deux ministères se sont déjà usés à cette tâche : celui de M. de Gautsch et celui du prince Conrad de Hohenlohe. Le président du Conseil actuel, M. de Beck, a été assez circonspect pour ne pas faire dépendre l'existence de son cabinet de la réussite de la mission qu'il avait reçue.

<< Néanmoins la tournure que prirent les pour parlers de la Commission pour la réforme électorale avant le vote du compromis final - le 21 juillet lui semblait si grave, qu'il était décidé un moment à présenter, lui aussi, la démission de son cabinet à l'Empereur.

« Cette nouvelle crise ministérielle fut conjurée à temps par la modération exemplaire que s'imposèrent en ce moment critique les députés tchèques qui, ne voulant pas prendre la responsabilité de l'échec d'une œuvre si importante que la démocratisation de l'Autriche, se soumirent au vote de la majorité de la Commission, sans recourir aux moyens extrêmes que leur offrait l'obstruction. Ajoutons qu'ils se rendaient pleinement compte de la portée de la résolution qu'ils avaient prise, et ne se dissimulaient pas qu'en agissant ainsi, ils couraient risque de se rendre impopulaires aux yeux de leurs électeurs et de toute la nation tchèque.

« La tâche de la Commission n'était nullement aisée. Elle consistait à mettre d'accord les représentants de divers pays et royaumes dont la monarchie autrichienne se compose, au sujet du nombre des mandats que chacun de ces pays doit posséder dans la future Chambre. Ce ne fut qu'après de longs pourparlers entre le gouvernement et les chefs des partis politiques, nationaux et sociaux, et après plusieurs débats très orageux à propos de la répartition des mandats entre les Polonais et les Ruthènes, les Slovènes et les Italiens, les Slovènes et les Allemands, et surtout entre les Tchèques et les Allemands habitant les pays de la couronne de Bohême, que l'accord tant désiré fut enfin obtenu.

« D'après cet arrangement, qui n'est pas encore tout à fait définitif, la distribution des mandats par nationalités serait celle-ci : Les Allemands de tous les pays de la monarchie autrichienne, 233; les Tchèques de Bohême, de Moravie et de Silésie, 108; les Polonais, 80; les Ruthènes, 34; les Slovènes, 24; les Serbo-Croates, 13; les Italiens, 9; les Roumains, 5. Total: 316 députés.

<< Au bloc allemand qui ne comprend pas moins de 233 députés, on ajoute les voix des députés italiens et des députés roumains, ensemble 257 voix. Notons cependant que, depuis les événements d'Innsbrück, les rapports italo-allemands ont subi un sensible relâ chement.

<< Les Slaves opposeraient à ce chiffre de 257 députés l'appoint de leurs 259 voix, ce qui établirait une différence entre les deux blocs de deux voix, en faveur des Slaves.

« La Chambre actuelle compte 425 députés, dont 205 allemands, 196 slaves et 24 italo-roumains.

<< Les nationalités allemande et italienne sont, d'après le compromis adopté par la majorité de la Commission, considérablement favorisées aux dépens des nationalités slaves vu que les premières, qui représentent dans la population totale un contingent d'environ 10 millions, doivent compter un député par 35 à 40.000 habitants; les Slaves, au contraire, dont le total dépasse 16 millions, n'auraient un député que par 50 à 65.000 habitants.

« Bien que cette répartition ne soit, comme on le voit, rien moins qu'équitable, puisqu'elle donne aux nationalités slaves 42 mandats de moins qu'elles n'en devraient avoir, elle présente néanmoins un avantage indéniable sur l'ancien système, parce qu'elle réduit le nombre de mandats allemands de 48,3 % à 45,17 %. La part qui leur conviendrait par rapport au chiffre de la population qu'ils représentent, serait de 36 %.

<«< Il est certain que les élections faites sur la base du suffrage universel ne manqueront pas de produire un nouveau groupement des partis au Reichsrath, et que les questions de nationalité qui ne cessaient d'occuper presque exclusivement les débats en ces derniers dix ans, feront, désormais aussi, une bonne place aux questions d'ordre économique et social.

<< On peut espérer en outre que les nationalités amenées ainsi à s'occuper sérieusement de la défense des intérêts communs que leur crée la communauté de la patrie, et convaincus désormais de l'inutilité de la continuation de leurs luttes acharnées, qui ne font que les énerver, tout en affaiblissant l'efficacité des mesures défensives que les gouvernements autrichiens se voient de temps à autre obligés de prendre contre les agressions des chauvins magyars, apprendront à se mieux supporter et à vivre les unes à côté des autres en bonne intelligence.

« Les Slaves sont tout prêts à réduire au strict minimum leurs revendications nationales. Ils ne demandent, en somme, que la garantie du libre développement de leur nationalité.

<«< Que les Allemands cessent de se cantonner dans leur vain hypernationalisme, et l'Autriche verra s'ouvrir devant elle une ère nouvelle plus heureuse que la précédente. »

Prague, le 30 juillet.

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HENRI HANTICH.

Angleterre. L'Education Bill. Malgré les efforts de l'opposition, la nouvelle loi anglaise sur l'éducation a été votée en dernière lecture à la Chambre des Communes par 369 voix contre 197. Mais on pense que, à la session d'automne, la Chambre des Lords introduira dans la loi quelques amendements qui devront être alors soumis de nouveau à la Chambre des Communes.

Bulgarie.

L'agitation antihellénique. Un mouvement antihellénique très important semble s'organiser systématiquement en Bulgarie et se propage rapidement par tout le pays.

QUEST. DIPL. et Col.

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Le gouvernement, malgré les plus grands efforts, est absolument impuissant, en dehors de Sofia, à maîtriser cette agitation, surtout là où il n'y a pas de garnison.

Le 19 août, un congrès panbulgare doit se réunir à Philippopoli. On veut, à cette occasion excercer sur le gouvernement une pression qui le force à des représailles officielles contre les Grecs. Des affiches ont été placardées, sous le titre « Ordre du peuple », interdisant de parler grec dans les rues.

A Varna, une sorte d'émeute populaire a forcé le maire à congédier tous les fonctionnaires municipaux de nationalité grecque. Une feuille très répandue, la Vetcherna Pochta, distribue et fait signer par milliers des pétitions imprimées, adressées au Sobranié, demandant l'exclusion de tous les Grecs du service de l'État. Le gouvernement bulgare, s'il veut échapper à un mouvement populaire qui commence à menacer sa sécurité, sera obligé de prendre des mesures très sérieuses.

Norvège. Les élections norvégiennes. - Le 5 août ont commencé en Norvège les élections législatives pour le Parlement qui se réunira le 11 octobre. Les élections dureront trois semaines. Depuis plusieurs mois déjà les partis les plus importants, la droite conservatrice et la gauche libérale, ont publié leurs programmes, mais dans des termes si vagues qu'ils semblent sur bien des points semblables. La gauche cependant se prononce pour le suffrage des femmes, pour une législation sociale plus accentuée, et surtout pour le dialecte national, le maal, opposé à la langue littéraire, le danois. Cette question du maal est de celles qui peuvent avoir le plus d'influence sur les élections, à défaut d'autre plate-forme sensationnelle. M. Lovland, ministre des Affaires étrangères, est le plus ferme et le plus ardent avocat du maal. Il est, dans le ministère de coalition, formé pour la solution de la crise unioniste, et depuis resté aux affaires, le représentant des partis de gauche. Si ceux-ci triomphaient aux élections, ce qui n'est cependant pas probable, il deviendrait le chef du gouvernement en remplacement de M. Michelsen. Les élections se présentent comme devant être assez confuses. Les Norvégiens n'ont, en effet, pas beaucoup de discipline électorale, et dans de nombreuses circonscriptions plusieurs candidats de même nuance se présentent simultanément.

Russie. La situation politique. La grève générale, tentéc au lendemain de la dissolution de la Douma, a échoué, et M. Stolypine a pu constituer son ministère après de longues et difficiles négociations tels sont les deux faits importants de cette quinzaine. L'échec de la grève et de l'agitation révolutionnaire a été certainement pour beaucoup dans le succès final des efforts de M. Stolypine pour former son cabinet. M. Stolypine, en effet, avait commencé à se heurter à de graves difficultés, dont la note officielle suivante,

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