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On le voit, l'abbé Lecance constate que les Ecrehous sont un fragment du continent français, mais il ne fixe pas l'année de la séparation. Certains historiens jersiais ont essayé de préciser la date où Jersey aurait été arrachée à la terre ferme, et d'éta→ blir la disjonction des Ecrehous, non du continent, mais de Jersey. Ils ont désigné l'année 709 comme ayant été celle où se serait produite une grande marée d'équinoxe, laquelle aurait amené ce cataclysme. Voici comment M. Pégot-Ogier, dans son Histoire des îles de la Manche, Jersey, Guernesey, Aurigny, Serck, s'explique sur ce point:

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« La géologie démontre que, dans les temps préhistoriques, « l'Europe se prolongeait jusqu'à l'extrémité occidentale de <«<l'Irlande, lorsque, à une époque non déterminée par la science, << un cataclysme créa le canal Saint-Georges, isolant l'Irlande. << Un cataclysme postérieur, dont la tradition a persisté, donna << naissance au canal de la Manche, isolant l'Ecosse et la GrandeBretagne, Guernesey, la table de Serk, les Casquets, Herm, Aurigny. Une immense plaine, traversée par un fleuve dont <«<l'embouchure était entre Aurigny et la côte continentale, se << relevait insensiblement jusqu'à une haute table granitique « qui comprenait une partie basse, où les eaux de la mer et les <«< eaux fluviales formaient des marécages; vers le centre, un "pays légèrement ondulé, cultivé et habité, et du Nord au Sud, « une grande forêt. Des golfes échancrés et profonds élevaient « les marées à des hauteurs menaçantes; des détroits resserrés <«< créaient des courants d'une violence extrême qui, lentement, préparaient l'œuvre de la séparation d'avec le continent. » Ce ne fut pas cependant le travail incessant et régulier de ces forces qui amena l'isolation, mais un cataclysme accidentel et probablement local. Durant le vir° siècle de notre ère, une succession anormale de violentes tempêtes avaient élargi les détroits, rongé les côtes, creusé les golfes, délité les terres, lorsqu'en 709 les grandes marées d'équinoxe, accrues par des tempêtes d'Ouest formidables, séparèrent la table de Jersey du continent. Ainsi furent engloutis, avec leurs habitants, les villages, les couvents, les hameaux (une ville peut-être) et la forêt de Scissiacum; l'immense plaine disparut sous les flots de l'Océan, qui creusa la baie de Saint-Michel. Les Minquiers, les Beuftiers, les Ecrehous, Pater Noster et quelques roches surnagèrent au milieu des bancs et des bas-fonds comme pour constater le désastre. Dès lors, l'archipel des îles de la Manche était formé. Le sol granitique et l'élévation des tables insulaires semblent assurer leur avenir.

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D'autres historiens, d'accord avec les précédents pour fixer à

l'année 709 l'époque de la séparation de Jersey du continent, ont cru pouvoir reporter à une époque plus récente l'isolation des Ecrehous.

A l'appui de cette dernière opinion, citons l'« Archipel des iles normandes, Jersey, Guernesey, Aurigny, Serk et dépendances », par Théodore Le Cerf, de la Société des antiquaires de Normandie.

« On fixe à l'année 709 de notre ère l'époque à laquelle « l'île de Jersey et les îlots environnants auraient été séparés « de la terre ferme et seraient devenus l'archipel que nous « voyons aujourd'hui. On comprend qu'en raison de leur << enfoncement dans la baie, ces îles qui faisaient partie de la grande forêt de Scissy (Scissiacum nemus) n'ont dû apparaître qu'en dernier lieu.

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«< Au Nord de la forêt de Scissy s'étendait un vaste marais « portant le même nom et qui rejoignait la partie Est de Jersey; les points culminants de ce marais étaient à l'endroit marqué sur les cartes sous le nom des Ecrehous et des Di« rouilles; mais, en l'année 1203, les Ecrehous se trouvèrent séparés de la France par l'invasion de la mer qui tendait à «se frayer une issue dans l'endroit nommé plus tard passage de la Déroute. Cette île, alors très peuplée, fut donnée par « Jean Sans Terre au seigneur du Pratel, lequel, à son tour, "en fit don aux moines de Val-Richer, pour bâtir une église << en l'honneur de Dieu et de la Sainte-Vierge, attendu, dit la «< charte de fondation, que les habitants ne peuvent plus venir << entendre la messe à l'église de Port-Baïl, en Cotentin. >>

Ceci se passait en 1203; or, aujourd'hui, il ne reste plus de cette île si peuplée qu'un amas de rochers qui ne laissent voir à marée basse que les ruines de la Vieille Chapelle.

Enfin, et comme dernière preuve que nous emprunterons aux documents déjà cités, disons quelques mots d'une tradition universellement admise et confirmée d'ailleurs par des titres certains. C'est qu'avant l'invasion de la mer, en 709, l'évêque ou l'archidiacre de Coutances passait à pied de France à Jersey. D'autres documents parlent du droit de l'évêque de Coutances au sujet d'une planche ou d'un pont qui lui servait de passage. En effet, d'après les recherches de M. Alisen, ce passage devait se trouver à l'endroit dit « le Saut du boeuf ou «<les Beuftiers », rocher qui apparaît à marée basse et qui formait alors le prolongement de l'île dans la partie Sud-Est. Jersey n'était donc séparée de la terre ferme que par la rivière de Coutances qui, selon les inductions tirées des sondages, devait avoir son embouchure dans la partie Est, au delà du châ

teau Montorgueil et de Rosel. Aujourd'hui encore, les pêcheurs d'huîtres retirent, dans ces parages, des racines de hêtre, de sycomore et de saule. Nous avons recherché sur quelles données ces histoires s'appuyaient pour fixer l'époque de la disjonction du continent, les unes tant pour Jersey que pour les Ecrehous, les autres pour Jersey seulement, en reportant à 1203 le moment de la séparation des Ecrehous. En ce qui concerne la détermination de l'an 709, il nous a été facile de remonter à la légende qui y a donné naissance, et de constater que cette légende repose sur une interprétation de certains textes, qu'elle est erronée et aujourd'hui définitivement abandonnée.

M. A. Maury, dans son ouvrage intitulé Les Forêts de la Gaule et de l'ancienne France, résume ainsi l'origine de cette légende.

L'extension et l'emplacement originels de la forêt de Scissy ont fait l'objet de recherches nombreuses. Mais récemment, M. Laisné a jeté sur cette question un jour nouveau et voici les résultats auxquels il a été conduit.

La forêt de Scissy (Scissiacum), d'après un texte datant certainement du Ix ou x° siècle, entourait le mont Saint-Michel sur une épaisseur d'environ six milles. Ce témoignage, appuyé sur d'anciens souvenirs, est confirmé par le moine Guillaume de Saint-Pair qui reproduisit en vers, au xiv° siècle, les mêmes traditions. L'auteur anonyme d'un manuscrit écrit du xiv au XVe siècle et donné par M. L. Delisle à la bibliothèque d'Avranches, fait aller la forêt primitive du territoire de cette ville jusqu'à Aleth (Dalethum), autrement dit Saint-Servan, à une demi-lieue de Saint-Malo.

Cette forêt, qui subsistait en 540 et quelques années plus tard, fut graduellement envahie par les eaux; la mer la détruisit et les grèves en ont pris la place; on a découvert de nos jours, enfoncés dans le sable, d'antiques troncs encore debout qui en proviennent. Ce phénomène naturel fut représenté, par la légende, comme un miracle opéré par l'archange Michel. Il date de la fin du vi° siècle ou du commencement du vir; mais la croyance à un événement surnaturel qui serait lié à l'arrivée de saint Aubert en ces lieux le fit reporter au vi° siècle, et l'on donna pour un cataclysme soudain ce qui était dû simplement à l'invasion successive de l'Océan.

Nous nous sommes reportés au travail cité par M. A. Maury, Ce travail est intitulé: « Etude sur l'ancien état de la baie du Mont-Saint-Michel, d'après les manuscrits de l'abbaye de ce mont, » par M. A.-M. Laisné, président de la Société d'archéologie, de littérature, sciences et arts d'Avranches. Il a paru

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dans le recueil des mémoires lus à la Sorbonne, dans les séances extraordinaires du Comité impérial des travaux historiques et des sociétés savantes tenues les 19, 20 et 21 avril 1865. (Archéologie. Imprimerie impériale, 1866.)

Nous nous bornerons à reproduire les conclusions de cette remarquable dissertation, dont la critique sûre et la logique serrée ne laissent place à aucune hésitation. Les voici :

« Il parait donc résulter irrévocablement de l'examen qui « précède : 1o qu'il y avait réellement, au moins jusque vers le << milieu du vi° siècle, une épaisse forêt autour du Mont-Tombe, << forêt à laquelle Guillaume de Saint-Pair attribue une étendue <«< de 7 milles ou environ 2 lieues 1/2, tout alentour;

«< 2° Que, vers la fin du vi° ou le commencement du << VII siècle, cette forêt fut détruite entièrement et réduite en « grève, non par un seul cataclysme, mais par une série d'in«vasions successives et d'érosions de marées, comme il a con«<tinué de s'en faire à diverses époques et comme nous en << voyons encore s'opérer fréquemment de partielles ;

« 3° Qu'à l'époque des révélations faites à saint Aubert, le << Mont-Tombe était dégagé tout alentour et environné de «< grèves comme il l'est aujourd'hui ;

«< 4° Que ni l'étonnement des envoyés de saint Aubert, lors « de leur retour, ni aucune circonstance mentionnée par les «manuscrits primitifs ou les documents historiques des envi<< rons n'annonce qu'il y ait eu en 709 un grand cataclysme ni << même aucune marée extraordinaire ».

Ces conclusions sont trop bien motivées pour laisser des chances à une réfutation, et elles peuvent être considérées maintenant comme réellement définitives.

L'auteur du plus ancien manuscrit relatant la fondation de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, manuscrit possédé par la bibliothèque d'Avranches et datant du Iv° siècle, décrit le MontTombe et ses alentours, grève et mer, tels qu'ils étaient au moment de la fondation, et tels à peu près qu'ils sont encore aujourd'hui.

Mais il ajoute qu'il n'en était pas ainsi autrefois; que, d'après des récits véridiques, il y avait antérieurement, autour du mont une forêt très épaisse.

Dom Jean Hugues n'est pas moins formel sur ce point, dans son «< Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint-Michel »>, publiée pour la première fois par M. E. de Robillard de Beaurepaire (Rouen):

«... Anciennement ce rocher paraissait tout autre qu'il fait << maintenant, car, outre qu'il n'était couvert que d'espines et de

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