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terres qu'ils ont achetées. Le tableau suivant indique, en effet, dans quelle proportion les domaines ont été partagés :

De 1887 à 1900, sur 100 concessions :"

14,9 étaient de moins de...

18,6 étaient de....

5 hectares;

5 à 10 hectares; 10 à 15 hectares;

21,5.

18,7.

11,9.

11,8.

15 à 20 hectares;

20 à 25 hectares;

25 à 50 hectares;
50 hectares.

2,6 étaient de plus de.

On estime que les concessions au-dessus de 20 hectares, dont la totalité porte sur plus du quart des terrains mis en vente, cccupent une trop large place dans ce pourcentage.

Il ne faut pas oublier que les nouveaux centres de colonisation ont été fondés en pleine région polonaise et qu'ils s'y trouvent comme noyés; le régime des grandes concessions les empêche de vivre d'une vie nationale autonome.

Une exploitation de plus de 20 hectares demande déjà un personnel assez nombreux. La famille du concessionnaire le fournit rarement tout entier. Le grand propriétaire sera donc forcé de se faire l'employeur d'ouvriers polonais qui s'établiront sur cette terre, si péniblement et si éphémèrement acquise au germanisme, qui va être reconquise à la collectivité slave, par le prolétariat. Dans certains centres, la population polonaise forme déjà presque la moitié de la population totale. Rien n'est plus curieux à cet égard que de consulter les rapports scolaires des colonies.

A Lulkau, par exemple, près de Thorn, ces documents donnent les chiffres suivants :

ÉTAIENT INSCRITS SUR LES REGISTRES DES ÉCOLES

54 enfants allemands et 13 enfants polonais

En 1896 1

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En 1899, dans les deux colonies voisines de Biechowo et de Siberia, il y avait en tout 231 Allemands et 133 Polonais; en 1900, il n'y avait plus que 229 Allemands et il y avait déjà 167 Polonais.

Quand on se rappelle que, fin 1905, cette politique de germanisation avait déjà coûté à l'Allemagne plus de 261 millions de marks, on comprend les récriminations de certains

1 Année de fondation.

QUEST. DIPL. ET COL. -T. XXII.

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publicistes allemands qui prétendent que cette prodigieuse dépense n'a servi qu'à répandre une large aisance dans les milieux polonais. Il est certain qu'une grande partie des 261 millions déjà dépensés a été encaissée par les Slaves du royaume, et comme, en outre, de 1897 à 1900, les Allemands ont malgré tout perdu 30.627 hectares dans les deux provinces orientales et qu'ils en ont perdu presque autant de 1900 à 1906, on peut conclure, avec les plus intransigeants, que toutes les charges qu'on s'est imposées n'ont réussi qu'à enrichir la population polonaise.

On ne manque pas néanmoins d'engager la Commission à poursuivre énergiquement son œuvre de colonisation, mais les sous-préfets (Landräte) des provinces où on ne colonise pas se sont fait un principe de garder «< la neutralité » la plus absolue sur cette question. Les archives de la Commission contiennent des lettres de certains de ces fonctionnaires où, sans difficultés, on devine le désir de ne plus être importuné. L'administration des chemins de fer a refusé toutes les demandes de la Commission relatives à la publicité et au transport à prix réduit des colons qui viennent des provinces orientales. Les frais occasionnés par l'émigration de toute une famille sont naturellement très élevés, et devant le mauvais vouloir des chemins de fer, la Commission a dû accorder des subventions assez forte aux colons devant parcourir plus de 300 kilomètres.

La Commission a cru, d'autre part, utile de confier, dans chaque province allemande, à des « hommes de confiance », le soin de recruter des colons. D'après le Bauernland (année 1901), ils étaient au nombre de :

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Il serait intéressant de rapprocher de cette statistique celle des colons fournis par chaque région de l'Allemagne. On verrait, par exemple, que le Schleswig-Holstein n'a donné à la Pologne que 13 colons, et la Commission a, dans cette province, 18 agents!

Une multitude de faits montrent d'ailleurs jusqu'où peut aller l'indifférence du public allemand pour la question polonaise. Nous ne citerons que les plus typiques.

En août 1902, les impérialistes allemands apprirent avec stupéfaction que le grand domaine allemand Gross-Jauth était tombé en des mains polonaises par les soins de la Banque foncière (Landbank), qui soutient énergiquement la germanisation des provinces slaves. Cette victoire polonaise fit tant de bruit que la Landbank se vit obligée d'envoyer à la Gazette nationale un communiqué qui donnait des explications véritablement intéressantes.

Le 17 juillet 1902, la direction de la Banque recevait un acte notarié passé entre un de ses agents et M. Stephan Stern, domicilié à Posen, d'après lequel M. Stern déclarait acheter le domaine seigneurial (Rittergut) Gross-Jauth, situé dans l'arrondissement de Rosenberg, dans la Prusse orientale. Le traité stipulait, comme de coutume, qu'au cas où le domaine serait revendu à une personne de nationalité non-allemande, M. Stern s'engageait à payer à la banque une somme déterminée. Pour plus de sûreté, la direction de la Banque foncière demanda à M. Stern un supplément de renseignements. Celui-ci prouva par un certificat de confirmation qu'il était protestant. Il ajouta que, riche, il était fiancé avec une jeune fille également très aisée habitant actuellement la Silésie, mais dont la famille était originaire de la Prusse orientale. Les parents de la jeune fille avaient saisi avec empressement l'occasion de retourner dans cette province. M. Stern se montrait très impatient, à cause de son mariage, de voir l'affaire définitivement arrangée. Comme la somme convenue avait été immédiatement versée, la Banque ratifia la vente, le 9 août. Quelques jours après, elle apprit que M. Stern avait revendu le domaine Gross-Jauth au grand propriétaire polonais M. de Slaski d'Orlowo. M. Stern n'avait été tout simplement qu'un entremetteur. La Banque l'a assigné en paiement de l'amende convenue; mais ceci n'a pas empêché M. de Slaski de conserver sa nouvelle propriété; et les réserves polonaises se sont augmentées d'autant.

D'autre part, le Berliner Tageblatt du 10 octobre 1905 a rapporté deux autres faits qui valent surtout par le contraste. A la fin de 1905, on apprit à Berlin que les domaines de Bielsk et d'Ossen avaient été vendus, le premier à M. de Grabski, et le deuxième au fameux nationaliste polonais Biedermann. Ce fut de la stupeur. Le domaine d'Ossen est en effet une propriété immense de plusieurs centaines d'hectares, et celui de

Bielsk, bien que moins considérable, n'en a pas moins une importance territoriale énorme. Le Berliner Tageblatt faisait observer, non sans ironie, que quelques mois auparavant l'Empereur avait, à Gnesen, dénoncé comme traître tout propriétaire allemand qui, sans y être absolument forcé, vendrait ses terres à la communauté polonaise. Le mot d'ordre n'était vraisemblablement pas accepté.

Et, juste au même moment, dans l'autre clan, dans le clan polonais, se passait le fait suivant : l'acquéreur du domaine de Bielsk, M. de Grabski, dont nous venons de citer le nom, était officiellement blàmé par sa famille pour avoir vendu à la Commission de colonisation son propre domaine de Wroble, dans le district de Strelno, afin de pouvoir acheter celui de la famille allemande Plehn. Il ne s'agissait pourtant là que d'une sorte d'échange; les réserves polonaises n'étaient pas diminuées parce que M. de Grabski préférait vivre dans le district de Marienverder plutôt que dans celui de Strelno, et cependant la famille de M. de Grabski fit paraître dans le Oziennik Poznanski l'entrefilet suivant : « En présence de l'affirmation « déshonorante pour nous que nous aurions su qu'il était << question de vendre le domaine de Wroble à des étrangers, << nous déclarons que cette vente a été préparée à notre insu << dans le plus grand secret et que même la propre femme du << vendeur n'a appris le fait, en grande partie par les journaux, « qu'après la signature du contrat notarié. En accomplissant « cet acte ignominieux sans prendre l'avis de qui que ce fût, «<l'ancien propriétaire de Wroble a lésé gravement et la collec«tivité et sa famille et a montré par cela même à quel point <«<lui sont indifférents les liens de famille qu'un pareil procédé « brise naturellement. >>

Tout commentaire ne ferait qu'affaiblir les faits rapportés. D'ailleurs les statistiques prouvent péremptoirement que la question polonaise est considérée en Allemagne comme une question avant tout prussienne. Nous avons dit plus haut que, au 1er janvier 1901, la Commission avait installé dans des concessions 4.277 familles de colons. Or, sur ces 4.277 familles, 3.600, c'est-à-dire 84,2 %, étaient d'origine prussienne; 459, soit 10,7 % seulement, étaient venues des autres parties de l'Allemagne. Le reste avait été fourni par les Allemands déjà émigrés à l'étranger.

Cette inertie du public allemand permet aux Slaves de l'Empire de faire chaque jour des progrès surprenants. Soutenus par un patriotisme ardent, les Polonais se sont groupés étroitement pour la lutte. Leurs efforts sont dirigés par des comités

puissants, par des banques entreprenantes, créées exprès pour le combat comme la Banque foncière (Banque Ziemski), fondée en 1888, comme les Coopératives foncières (Spolki Ziemski), comme la banque Le Morcellement (Banque Parcelacyjny) comme la Coopérative pour le morcellement des propriétés (Spolka rolnikow parcelacyjna). Le germanisme a reculé partout. Personne ne cherche à le contester. La défaite a été avouée, à la tribune, par le chancelier, M. de Bülow.

Nous croyons, pour notre part, que la race polonaise sortira fortifiée de cette guerre âpre qui se déroule systématiquement le long de la Vistule, et dans le bassin de la Warte jusqu'à l'Oder. Les mesures de répression excessives qu'on a prises à l'égard des populations slaves d'Allemagne, les vexations de fonctionnaires qui recherchent surtout leur avancement, ont exalté le patriotisme de ce peuple opprimé.

Pour l'instant, tout autre sentiment fait place à la haine de race. Un proverbe polonais dit : « Tant que le monde sera « monde, le Polonais ne sera pas le frère de l'Allemand. » Les Polonais sont de plus en plus conscients de leur nationalité, et pour un grand nombre déjà, la frontière de l'Est n'existe

((

pas.

Nous pensons, comme eux, que l'avenir de la Pologne ne dépend pas de l'Allemagne, mais de la Russie. Le gouvernement de Berlin l'a probablement pressenti également. Il se pourrait que cette certitude fût une des raisons du zèle que l'Empereur met à entretenir d'amicales relations avec SaintPétersbourg : une Russie libérale au sein de laquelle les Polonais jouiraient de toutes les libertés politiques exercerait sur les Polonais de Prusse une attraction qui pourrait devenir irrésistible.

RENÉ MOREUX.

(1) Il existe de plus une Ligue Polonaise Internationale qui a des sections dans toutes les grandes villes d'Europe. Nous rappelons également que la Société Martschinkowski, fondée dans le but de donner des bourses à des jeunes élèves polonais, est très active; elle dépense environ 100.000 francs par an pour son

œuvre.

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