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DÉCLARATIONS DE M. ROUME

GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE

M. Roume, gouverneur général de l'Afrique Occidentale Française, est arrivé, le 29 août, à Paris. Il vient prendre en France un repos bien gagné après quatre voyages exécutés dans l'immense territoire qu'il administre, à la Casamance, à la Guinée, à la baie du Lévrier, sur la côte du Sahara, et en dernier lieu à Tombouctou, à 2.500 kilomètres dans l'intérieur. Mais ses vacances ne sauraient être un loisir complet; il devra préparer la discussion qui aura lieu à la rentrée du Parlement sur le projet d'emprunt de 100 millions que le ministre des Colonies a déposé à la Chambre. Un rédacteur du Temps a été voir M. Roume à ce sujet, et lui a demandé comment il se proposait de justifier cet emprunt. Voici quelle a été la réponse du gouverneur général :

Cet emprunt nous est nécessaire pour continuer normalement l'exécution de notre programme, qui peut se résumer d'un mot : ouvrir l'intérieur de l'Afrique, relier à la côte un pays qui ne possède aucune voie de communication naturelle et auquel il en faut donc créer artificiellement si on veut le mettre en valeur. Sur 100 millions, nous en consacrerons 78 à pousser plus avant nos chemins de fer, 2 à améliorer la navigation du Sénégal et du Niger, 2 à construire de nouvelles lignes télégraphiques. Comme vous le voyez, ils seront absorbés pour plus des quatre cinquièmes par notre œuvre de pénétration.

M. Roume a ensuite, au cours de la conversation, parlé ainsi de Tombouctou et de la vallée du Niger qu'il vient de visiter et qui, dit-il, est appelée à devenir un des grands centres de production du monde.

Ce que j'ai vu cette fois m'a vraiment ému. Il y a trois ans, j'ai voyagé en saison sèche, et ce n'est pas le bon moment pour juger du pays. La terre, brûlée par le soleil, a partout un air de désolation. Cela correspond aux aspects d'hiver de nos climats. De plus, je me servais de la carte du lieutenant de vaisseau Caron, dressée il y a quatorze ans; par centaines, elle marque sur les bords du fleuve des villages ruinés, et ces villages ruinés défilaient désespérément sous nos yeux. El Hadj Omar et Abamadou Cheikhne ont passé par là, et sauf celles sur lesquelles a sévi Sa nory, il n'y a peut-être pas de régions qui aient été plus horriblement ravagées en Afrique. Que le pays fût fertile, on le constatait à plus d'un signe,

mais il paraissait vide; ce n'était que par une vue de l'esprit qu'on pouvait se représenter ce qu'il serait s'il redevenait peuplé et prospère. Et je me demandais, non sans mélancolie, dans quel lointain avenir ce rêve pourrait devenir une réalité.

Cette fois, c'était la saison des pluies; un épais tapis vert couvrait le sol, et avec les bouquets de bois remis çà et là dans le paysage, on se serait cru dans un parc anglais. Mais ce qui m'a été bien plus agréable encore, c'est le changement qui s'est opéré en trois ans. D'une part, grâce aux efforts de nos officiers des territoires militaires, nous avons contenu les nomades sahariens, qui auparavant pillaient régulièrement les sédentaires de la vallée du Niger, Nous n'avons nullement l'intention de sacrifier les uns aux autres. Les nomades ont besoin de se ravitailler en pays noir et le pays noir doit trouver une clientèle importante dans les nomades. Mais nous exigeons de tous qu'aux habitudes de violence et de rapine on substitue les pacifiques rapports des échanges commerciaux. A ce point de vue, la création de nos compagnies méharistes achèvera la pacification. Elles donneront la main aux méharistes algériens et aucune influence hostile ne pourra plus se glisser entre les deux colonies. D'autre part, le chemin de fer de Kayes au Niger a été ouvert à la circulation, il y a quatorze mois. Ç'a été comme un coup de baguette qui a éveillé le pays. Jusque-là on n'en sortait guère que du caoutchouc dont la production est d'ailleurs en six ans montée à mille tonnes; mais dès que les marchandises lourdes ont trouvé un moyen de transport économique, des possibilités commerciales nouvelles sont apparues de tous côtés. Dans une première campagne, les traitants de Saint-Louis ont ramassé 6.000 tonnes d'arachides. Le riz du Niger est venu sur les marchés du Sénégal concurrencer celui de l'Extrême-Orient. Il existe entre le lac Debo et Tombouctou d'immenses troupeaux de moutons à laine, et j'ai décidé, à Niafunké, le chef-lieu du cercle de l'Issa-Ber, la création d'une bergerie d'expériences pour étudier toutes les questions relatives à cet élevage. Je crois à une production de laine considérable avant peu. Un commerce de peaux est déjà amorcé. Nos essais de coton ont dès maintenant déterminé que les variétés qu'il convient de répandre sont les variétés américaines Mississipi et Excelsior et de grands espaces ont été ensemencés cette année. Enfin les graines et les matières oléagineuses, comme le karité, doivent fournir de leur côté les éléments d'un trafic de grande importance.

La sécurité et ce mouvement naissant ont ramené sur le Niger une animation qui a eu pour nous un bien vif intérêt de nouveauté. Les villages ruinés se sont reconstruits, pas tous encore, mais pour la plupart. Non seulement les traitants de Saint-Louis, mais un certain nombre de commerçants blancs sont arrivés. A côté des chaloupes à vapeur du gouvernement, des chaloupes à vapeur particulières naviguent maintenant. sur le fleuve, traînant des convois de chalands en acier. De leur côté, les pirogues indigènes se sont multipliées. En un mot, ce qui m'a comblé de joie, c'est que le pays renaît et se développe bien plus rapidement que je ne l'avais espéré. Je dois dire que j'ai là-bas, dans le lieutenant-gouverneur Ponty, un collaborateur parfait, d'un esprit pratique, précis et agissant. Certes, tous nos chemins de fer n'auront pas, comme celui de Kayes, la chance d'aboutir à un bief navigable de 1.400 kilomètres de long. Mais tous produiront, dans les parties de la vallée du Niger où ils aboutissent, des effets semblables. C'est pourquoi on ne saurait avoir en Afrique occidentale d'autre politique que de les continuer. Quelles quantités de riz, de coton, de laine, d'arachides et d'autres matières grasses la vallée

du Niger peut-elle produire? Elle est si vaste; qui pourrait le dire? Je n'ai donc pas cru exagérer en parlant des « espoirs illimités » qu'elle offre. D'ailleurs ce programme emporte maintenant toutes les adhésions, tellement évidents sont les résultats de la pénétration! D'où viennent les ouvriers que nous employons dans les ateliers de chemins de fer et de navigation au Soudan? Du Sénégal, qui nous fournit des artisans aussi adroits que les ouvriers d'Europe. Qui est-ce qui profitera de ce grand mouvement d'affaires qui est en train de se constituer au Soudan? Ce sont les commerçants de la côte. L'intérêt des colonies côtières à l'ouverture de l'intérieur n'échappe donc à personne. L'inquiétude dont vous parlez provenait de la crainte d'avoir à payer trop cher cette œuvre nécessaire. On avait peur d'impôts nouveaux. Le président de la chambre de commerce m'a demandé de rassurer le commerce à ce sujet. Je l'ai fait bien volontiers en répétant ce que j'avais déjà dit. Non seulement les ressources pour payer l'emprunt sont dès maintenant constituées dans notre budget, mais encore notre dernier exercice s'est liquidé par un excédent de 2 millions et demi. Par conséquent, nous n'avons aucun besoin d'impôts nouveaux.

Mais tous ces chemins de fer une fois construits, il faudra les entretenir. L'avenir des finances de la colonie ne va-t-il pas se trouver gravement engagé par là?

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Nous pouvons l'envisager avec confiance. En effet, nos lignes déjà en service ont tout de suite payé leurs frais d'exploitation et elles commencent à rémunérer leur capital. La ligne de Kayes au Niger, par exemple, a donné en 1905, première année de son exploitation totale, un excédent de 1.265.732 francs, soit 2.280 francs au kilomètre. Cela a été une surprise pour tout le monde, et je vous l'assure, un peu pour moimême. A l'étude, les régions desservies n'avaient pas paru capables d'un développement économique aussi prompt. Il s'ensuit que les fonds que nous consacrons à nos constructions de chemins de fer sont un placement donnant un revenu presque immédiat. Dans ces conditions, il serait tout à fait inexact de présenter nos lignes comme engageant l'avenir. Elles se suffiront parfaitement à elles-mêmes. D'ailleurs, notre système financier est loin de donner encore toutes les recettes qu'il doit produire, sans qu'il soit nécessaire de l'aggraver. L'impôt de capitation, par exemple, qui en est une des bases, n'est pas encore perçu partout. Il rend actuellement 12 millions; mais d'après ce que nous savons aujourd'hui du chiffre de la population, il pourrait en rendre 20. Il les rendra sùrement un jour, quand notre organisation administrative sera complète, car il est un des plus modérés qui soit perçu aux colonies, et il est accepté sans difficulté par les indigènes, qui se rendent parfaitement compte qu'il est le juste payement de la paix que nous faisons régner parmi eux. La race noire est une des plus gouvernables qu'il y ait; c'est, vraiment, une bonne race, à la fois brave et docile, laborieuse, confiante, douce; le crime est presque inconnu chez elle. C'est ce que j'aurais constaté publiquement à l'inauguration de la cour d'appel de Dakar qui a eu lieu la veille de mon départ, si un accès de fièvre bilieuse ne m'avait empêché d'y aller. Plus j'apprends à la connaître, plus je l'aime. Nous pouvons faire fond sur ses qualités.

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France. Le congrès colonial de Marseille; discours de M. J. CharlesRoux. Le congrès colonial, organisé à Marseille à l'occasion de l'Exposition qui se tient dans cette ville et dont nous nous sommes déjà occupés à plusieurs reprises ', s'est ouvert le 5 septembre, sous la présidence de M. J. Charles-Roux, commissaire général de l'Exposition coloniale, président du congrès. Dans son discours d'inauguration, M. J. Charles-Roux a excellemment exposé l'objet du congrès, qui devra examiner les résultats obtenus par notre politique coloniale et rechercher, par l'étude critique des institutions actuelles, si les résultats n'auraient pas été supérieurs en employant de meilleures méthodes.

Le champ est vaste, a dit M. Charles-Roux, la tâche complexe et difficile. Il ne s'agit, en effet, je n'ose pas dire de fonder, mais d'ébaucher, pour ainsi dire, de toutes pièces, une science nouvelle, dont nos aînés n'ont pas suffisamment envisagé l'utilité, bien qu'à vrai dire, les occa

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sions de l'appliquer ne leur fissent pas défaut, et dont je me hâte de reconnaitre que la nécessité s'impose à nous avec un caractère autrement impérieux qu'à nos devauciers.

Pour s'en rendre compte, il suffit de comparer ce qu'était l'empire colonial de la France, il y a trente-cinq ans, à ce qu'il est aujourd'hui...

A l'heure actuelle, notre domination englobe plus de douze millions de kilomètres carrés et s'étend sur plus de quarante millions d'hommes de toutes races. Nous avions quelques possessions; nous sommes maintenant à la tête d'un véritable empire. Avec cet empire sont nés de nouveaux devoirs.

Il était permis à nos aînés de se désintéresser du sort de quelques territoires, disséminés au milieu des Océans. Si l'on en excepte l'Algérie, dont on avait fait trois départements, - c'est-à-dire tout le contraire d'une colonie, nous pouvions pratiquer dans nos possessions n'importe quel système de gouvernement ou d'administration, y introduire n'importe quel régime douanier, n'importe quelle politique indigène, sans que les intérêts généraux de la métropole et les intérêts particuliers de son commerce puissent en être sérieusement affectés.

Il ne nous serait plus possible aujourd'hui de traiter avec la même indifférence les problèmes qui touchent à la mise en valeur et au gouvernement d'un empire dont je viens de caractériser l'importance par deux chiffres.

Le contre-coup des fautes commises serait immédiatement ressenti par l'ensemble du pays, en raison même de la multiplicité des points de contact et de la somme des intérêts communs que comporte un domaine colo

1 Cf. H. FROIDEVAUX, Vue d'ensemble de l'Exposition coloniale de Marseille, 16 mai 1906, t. XXI, p. 666; et ASPE-FLEURIMONT, Promenades à l'Exposition coloniale de Marseille, 1er juin 1906, t. XXI, p. 721.

nial aussi étendu et aussi peuplé. On peut soutenir, à l'heure actuelle, que la politique coloniale fait partie intégrante de la vie nationale, et qu'il n'est pas un Français qui, même à son insu, ne soit, par quelque côté, un colonial.

Nous sommes loin, en effet, des 600 millions de francs que représentait le mouvement commercial de nos colonies, il y a quelque trente-cinq ans, et dont un tiers seulement, soit 200 millions environ, profitait au commerce français, tant à l'importation qu'à l'exportation.

M. J. Charles-Roux a montré ensuite que nos colonies fournissent à notre marine marchande un trafic « sans lequel on pourrait se << demander où elle en serait », et il a ajouté :

Nos colonies ne se bornent pas à prendre une part de plus en plus considérable dans le mouvement commercial et maritime de notre pays. Soit par les emprunts qu'elles contractent, soit par les entreprises de toute sorte qui s'y fondent, elles offrent aux capitaux français des placements dont on ne soupçonne généralement pas l'importance.

Une enquête récente, dons M. le sénateur Saint-Germain a consigné les résultats dans son rapport sur le budget des colonies de 1906, a permis d'évaluer à 1.726.285.000 francs le chiffre des capitaux englobés soit dans ces emprunts, soit dans ces entreprises.

Il convient d'ajouter que ce chiffre ne comprend ni l'Algérie ni la Tunisie, et qu'il doit s'entendre, abstraction faite de la propriété et des capitaux indigènes, qui échappent, au moins dans l'état actuel, à toute évaluation. Or, sur ces 1.726 millions, il n'est pas excessif de chiffrer à 1.500 millions au moins la part qui revient aux capitaux français.

Enfin, dans ce remarquable discours que nous regrettons de ne pouvoir donner in extenso, M. Charles-Roux a parlé aussi du problème indigène et il a conclu ainsi :

A la différence de ce qui a eu lieu en 1900, nous avons tenu à ce que notre Congrès füt national. Sans dédaigner, tant s'en faut, les enseignements de l'expérience étrangère, il nous a paru qu'il n'appartenait qu'à des Français de débattre et de trancher des questions qui ne peuvent l'être utilement qu'en tenant compte de facteurs particuliers à nos pays et à nos colonies, questions qui, au surplus, ne peuvent intéresser que nous. L'efficacité des conclusions que vous formulerez et des vœux que vous émettrez n'en sera pas diminuée, bien au contraire. Par cela même qu'ils auront un caractère plus précis et plus limité, ils n'en deviendront que plus pratiques et plus facilement applicables.

- La loi de séparation; la deuxième assemblée plénière de l'épiscopat français. La seconde assemblée plénière des évêques de France, convoquée « pour prendre tous les moyens qne le droit reconnaît à tous les citoyens afin de disposer et d'organiser le culte dans leur pays », a siégé du mardi 4 septembre au vendredi 7. Aucun renseignement n'a été fourni relativement aux délibérations et aux décisions finales de la réunion.

Nous rappelons, à cette occasion, que la séparation des Eglises et de l'Etat est une de ces questions de politique intérieure dont nous n'aurions pas, quelque importantes qu'elles soient, à nous occuper

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